6 juin 2022

Qui est l’artiste Binta Diaw, première lauréate du prix Pujade-Lauraine ?

Lancé cette année par le couple Eric et Isabelle Pujade-Lauraine, éminents spécialistes dans le domaine de la santé, le prix Pujade-Lauraine Carta Bianca, récompensera, chaque année, huit artistes contemporains dont la pratique peut être reliée aux questions du soin, de la santé et du partage. Pour cette toute première édition, le jury composé des fondateurs et d’un comité d’experts réuni à Naples a décerné le premier prix à l’artiste italo-sénégalaise Binta Diaw pour sa pratique plastique et visuelle explorant avec une grande sensibilité les liens ancestraux et rituels qui unissent le corps et la terre, à l’aune de l’histoire des membres de la diaspora africaine, des migrations ou encore de l’esclavage.

Ce week-end du 4 juin, dans l’enceinte du MADRE (Musée d’Art contemporain Donnaregina) sis au nord de Naples, le prix Pujade-Lauraine Carta Bianca inaugurait sous le soleil sa toute première édition et révélait les noms de ses huit lauréats. Créé cette année par le couple formé par Éric Pujade-Lauraine, cancérologue renommé dans le monde entier, et son épouse Isabelle, haut fonctionnaire du secteur de la santé et coach au sein de la Ligue contre le cancer, le prix révèle d’abord la passion commune de ses deux fondateurs pour la création artistique contemporaine. Plus inattendu, il illustre la volonté d’enrichir le dialogue entre le monde de l’art et celui de la santé en dressant, selon les mots du duo, une “passerelle” entre artistes et patients. Développée entre la France et l’Italie – deux pays entre lesquels ses fondateurs partagent leur vie –, l’initiative distinguera, chaque année, huit artistes sélectionnés, chacun, par l’un des membres du comité d’experts. Pour cette première édition, il réunissait cinq représentants français (notamment les commissaires Gaël Charbau et Adélaïde Blanc, ainsi que et la directrice du département des œuvres aux Beaux-Arts de Paris, Kathy Alliou). De son côté, l’Italie fournissait les trois autres experts, dont Eugenio Viola, conservateur au musée d’Art moderne de Bogota et ex-conservateur du MADRE, et Kathryn Weir, actuelle directrice artistique du musée napolitain. Générosité, partage et humanité son les maîtres mots de ce nouveau prix, qui offre à sept de ses huit lauréats, 4000 euros et un accompagnement à l’année. Le huitième reçoit le premier prix à l’issue d’un vote entre fondateurs et experts. Doté d’un montant de 50 000 euros, somme élevée pour un prix artistique, n’impose aucune obligation de production à l’artiste, qui peut l’utiliser pour tous types de projets. Seule condition du prix : les lauréats, sélectionnés pour leurs pratiques liées de près ou de loin à la question du soin ou de la santé, devront s’engager auprès de personnes en voie de guérison.

Binta Diaw, “Paysage Corporel IV”, Série “Dïà s p o r a” (2021). Courtesy de l’artiste

À l’issue du vote des fondateurs et des membres du comité, le premier prix a été décerné ce week-end à Binta Diaw. À seulement 27 ans, l’artiste d’origine sénégalaise née à Milan, où elle vit et travaille aujourd’hui, s’est distinguée par une pratique très sensible explorant les liens à la fois ancestraux et contemporains entre le corps et la nature à travers une grande diversité de supports, de la sculpture à la peinture. Dans l’une de ses installations, Chorus of Soil, la jeune femme dessine au sol une arche faite de lignes de terre alignées comme des semis suivant une carte de plantations établie dans l’Europe du 18e siècle – manière pour l’artiste de rendre hommage à tous les esclaves ayant succombé aux voyages lors des grandes périodes de migrations d’un côté à l’autre de l’Atlantique. Si la terre est une constante dans son travail, le corps féminin l’est aussi, comme l’atteste sa série Diaspora qui a particulièrement séduit le jury du prix Pujade-Lauraine : sur d’élégantes photographies en noir et blanc de fragments de corps noirs, Binta Diaw dessine à la craie des motifs de tressage rappelant les chevelures des femmes africaines qui, lorsqu’elles étaient réduites à l’état d’esclaves travaillant dans les plantations, intégraient à leurs tresses des graines issues de leur propre patrie. “Sa recherche s’inspire du corps féminin pour repenser l’identité, l’effacement et la récupération, commente Anissa Touati, commissaire et membre du comité d’experts qui a soumis le nom de la jeune Italo-Sénégalaise au jury de cette édition, tout en établissant des enchevêtrements subjectifs qui proposent des soins radicaux aux traumatismes hérités.” Si l’artiste a bénéficié d’une certaine visibilité en Italie, à travers des exposition à Venise, Naples ou Florence, son travail reste moins connu en France, mais gagne à être découvert grâce à l’implantation récente de l’une de ses deux galeries à Paris : Cécile Fakhoury. Le premier prix offre également à l’artiste l’opportunité de travailler durant un an avec le critique d’art et commissaire d’exposition français Olivier Kaeppelin, qui officie auprès d’Eric et Isabelle Pujade-Lauraine en tant que grand témoin de leur projet, et pourra conseiller et accompagner la lauréate dans ses futurs projets.

Benoît Piéron, “Le Lit” (2011). Impression sur twill de soie et matériaux divers -Origins Studio / Fondation d’entreprise Hermès
Bianca Bondi, “The Antechambre” (2020). Site specific installation : MoCA Busan cur. J. Fabricius @Busan Biennale

Parmi les autres lauréats du prix Pujade-Lauraine, on trouve des noms plus familiers du public français, comme Myriam Mihindou, qui explore la question de la blessure et de la guérison à travers sculptures, photographies ou installations. On trouve aussi Bianca Bondi, récemment exposée à la Fondation Louis Vuitton, dont les installations jouent avec les éléments naturels comme le sel, les plantes ou le latex pour créer des espaces évolutifs et multisensoriels, ou encore le jeune plasticien Benoît Piéron, ex-résident de la Fondation d’entreprise Hermès et récemment exposé à la galerie Sultana, dont l’œuvre s’inspire de l’artisanat textile et de l’univers domestique pour raconter notamment son expérience de la chambre et du lit dans lesquels, atteint d’une maladie, il fut contraint de rester confiné à de nombreuses reprises. Avant d’annoncer les noms des huit prochaine lauréats, mi-2023, les fondateurs du prix Pujade-Lauraine Carta Bianca organiseront un événement en octobre prochain, au moment de la semaine de l’art à Paris, qui accueillera la première édition de la foire Paris+. Une occasion idéale de mettre en avant le travail des huit premiers lauréats 2022.

 

prixpujadelauraine.com