Qui est Hayden Dunham, icône de l’hyperpop proche d’A.G. Cook et SOPHIE ?
Chanteuse et performeuse, Hayden Dunham s’est notamment fait connaître au sein du projet musical QT (le projet auquel participaient A.G. Cook et la regrettée SOPHIE). Elle qui a grandi au Texas entourée de puits de pétrole est sensible aux métamorphoses de la matière, et ne cesse elle- même de se réinventer, notamment sous le nom de Hyd, qui est aussi le titre de son EP sorti l’an dernier.
Propos recueillis par Nicolas Trembley.
C’est au sein du projet musical QT que l’on avait découvert Hayden Dunham à travers ses collaborations avec les producteurs A.G. Cook et SOPHIE. En 2021, elle est revenue avec un EP intitulé Hyd, dont le premier morceau, No Shadow, évoque la cécité temporaire qui a affecté l’artiste. Avec sa voix électronique qui rappelle le son des sirènes, l’artiste nous emmène dans des paysages synthétiques dont l’origine s’inscrit dans le Texas de son enfance, plus précisément à Austin, dans les années 90. Pétrole et lassos sont des références que l’on retrouve dans ses performances et ses installations, qui parlent aussi d’intimité transdimensionnelle. Actuellement, elle prépare une exposition à la Company Gallery de New York car elle ne souhaite pas se restreindre à un seul médium. Nous l’avons rencontrée alors qu’elle était de passage à Paris pour réaliser une performance à l’espace 3537.
NUMÉRO : Quel a été votre parcours ? Quelles études avez-vous suivies ?
HAYDEN DUNHAM : À 17 ans, je suis partie pour New York où j’ai étudié à la Gallatin School of Individualized Studies, qui dépend de la New York University. Mon cursus portait sur l’intimité transdimensionnelle, la communication, la construction de mondes (worlds building), l’écologie, les sciences de l’environnement et la technologie humaine.
L’environnement dans lequel vous avez grandi vous a-t-il influencée ?
Tous les écosystèmes ont une influence sur leurs habitants. De façon très littérale, avoir vécu enfant dans une région aride affecte la façon dont je transpire ; un membre de ma famille a grandi juste à côté d’une décharge, ce qui a eu des conséquences sur sa fonction thyroïdienne ; ma proximité géographique avec la rivière Blanco a déterminé mon lien particulier aux roches volcaniques et aux courants. J’ai passé du temps à pêcher et à chasser, dans un État où il est possible d’avoir son permis de conduire à 15 ans. J’ai aussi grandi au contact des rodéos. J’ai appris à lancer le lasso. Les puits de pétrole faisaient également partie de mon environnement. Le pétrole est un matériau que je travaille depuis deux ans maintenant.J’aime ses transformations, le passage de l’état de goudron poisseux à celui de carburant.
Vous êtes performeuse et chanteuse, vous considérez-vous comme une artiste plasticienne ?
Chaque moyen d’expression fait partie d’un ensemble plus vaste. Comme une eau où tout reste lié, même lorsque les choses se séparent. Pour moi, les matériaux sont des dispositifs d’ancrage. Qu’il s’agisse d’air ou de verre, je les travaille afin de fabriquer des œuvres sculpturales de grande échelle ou des environnements immersifs qui deviennent ensuite des décors prévus pour que quelque chose s’y produise. Beaucoup de ces dispositifs sont explosifs et en expansion active. Ils peuvent prendre place dans le ciel, sous la terre ou dans le cadre d’une performance, sur le sol de la galerie, voire dans les bouches d’aération qui l’entourent. Je crée des matériaux nouveaux à partir de compositions minérales, comme, par exemple, cette substance qui se présente comme une pâte noire assez liquide, mais qui se solidifie durant l’exposition. En tant que Hyd [pseudonyme qu’elle utilise depuis 2020], c’est l’air que je travaille, en le sculptant avec ma bouche. La musique pop a un côté très ludique parce qu’elle permet de créer, en quelques minutes seulement, des univers entiers. J’aime beaucoup écouter, au sens large du mot.
Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec l’art ? Que regardiez-vous à l’époque ? Et aujourd’hui ?
Ce qui m’intéresse, c’est ce moment où une œuvre d’art peut transcender sa forme, où elle peut aller au-delà d’elle-même. C’est ce que je souhaiterais d’ailleurs pour chacune et chacun d’entre nous. Je suis électrisée par ce qui est présent mais reste invisible. Et par toutes les modalités “autres” de la communication, celles qui ne passent pas par le langage.
Pourriez-vous caractériser votre propre univers musical ?
Il m’évoque une fumée qui s’échappe par-dessous la porte, comme un minuscule nuage s’infiltrant par ce biais dans la pièce d’à côté. Quelque chose de tellement chaud qu’il paraît froid, si froid que vous pouvez sentir ce froid sur votre langue.
Pour vous, la musique électronique relève-t-elle de l’art contemporain ?
Les morceaux de musique vocale sont des corps qui traversent le temps. Des dispositifs qui nous transportent et façonnent aussi le monde tel que nous le voyons, ici et maintenant.
Comment décririez-vous votre style ?
La rencontre du pétrole avec un fluide plus léger. Des extensions que l’on ne peut pas voir.
Pouvez-vous nous donner une définition de la musique pop contemporaine ?
Les définitions ne m’intéressent pas beaucoup. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui ne peut être contenu. Au bout du compte, je ne pense pas que le contenant soit un support, il peut au contraire restreindre la capacité du message. Pour moi, la pop peut contenir des idées dans de minuscules bouchées de son, et cette façon de faire circuler des idées m’enthousiasme.
Le photographe Torbjørn Rødland a fait votre portrait, comment est-ce arrivé ?
Lorsque nous avons commencé ce travail, je me trouvais dans le désert des Mojaves. Torbjørn, lui, vivait à Londres et je lui ai envoyé un cliché de moi pris par Collier Schorr. Les premières choses qu’il a faites, c’est d’y mettre le feu, de le faire prendre dans la glace, puis de le laisser séjourner dans un étang. En Californie, c’était le début du premier confinement, donc personne ne pouvait voyager, et j’ai dû me matérialiser sous une autre forme. Pendant toute la durée de ce processus, je me suis sentie extrêmement présente et impliquée. J’adore travailler avec lui.
Avez-vous le sentiment de faire partie d’un groupe ou d’un mouvement ? De qui vous sentez-vous proche aujourd’hui ?
Je me sens surtout en phase avec le cycle biologique des plantes. Elles commencent leur vie sous terre, dans le noir le plus total, puis traversent la surface du sol, grandissent, fleurissent et finissent par perdre tous leurs pétales, qui tombent en même temps que les graines, qui, à leur tour, recommenceront à germer. Ce mouvement cyclique est en parfaite adéquation avec ce que je fais, moi, sur cette terre. Revenir, encore et encore.
Quel sera votre prochain projet ? Quand revenez-vous à Paris ?
Ma prochaine exposition personnelle ouvrira en septembre à la Company Gallery, à New York, et il est prévu que je revienne à Paris pour une performance début 2023.
Afar (2022) de Hyd, disponible sur toutes les plateformes.