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Nobuyoshi Araki : reporter des “cafés sans culottes”
Manifeste de l’érotisme pour les uns, simple collection pornographique pour les autres, l’ouvrage “Tokyo Lucky Hole” condense les fantasmes politiquement incorrects du photographe Nobuyoshi Araki. À défaut de nus idéalistes, le Japonais sonde les “centres de divertissement” du Tokyo des années 80, entre fellations floues et lolitas en pleine extase.
Par Alexis Thibault.
Des hommes en costume sombre scrutent attentivement le sol du bar dans lequel ils ont pénétré. Tous sont d’origine japonaise. Si leur œil lubrique s’attarde sur le plancher, c’est parce qu’il est composé de miroirs qui reflètent les parties intimes des serveuses en minijupes, sans aucun sous-vêtement… Au début des années 80, les no-pan kissa – littéralement “cafés sans culotte” –, foisonnent à Tokyo. Ici, des caméras filment en direct le sexe des employées et le souffle des ventilateurs soulève par intermittence leurs jupes, satisfaisant les clients stimulés par la simple suggestion. Ouvert en 1978, le Johnny de Kyoto mène la danse autant que le Lucky Hole, l’un des établissements les plus populaires de Tokyo. Mais dans ces bars qui ont fonction d’exutoire, tout attouchement est prohibé. Pour aller plus loin, il faut payer. Masturbations désincarnées et fellations anonymes sont légion dans les salons roses qui proposent différents services jusqu’à ce que le New Amusement Business Control and Improvement Act ne régule cette pratique, en février 1985.
Héros de la contre-culture nippone, Nobuyoshi Araki écume les bars, les boîtes de strip-tease, rencontre les geishas et les prostituées, collabore avec des revues SM et s'autorise les poses les plus suggestives. Langue sur une verge floue ou sexe féminin dévoré par une mosaïque, tel un carnet de voyage sulfureux, Tokyo Lucky Hole condense les fantasmes du photographe en 800 clichés. Habitué de ces clubs subversifs, Araki a eu le temps d’immortaliser les lolitas et leurs cris d’extase, les yeux révulsés des voyeurs et l’esprit libertaire d’une époque révolue. Répertoire érotique sublime pour les uns, portfolio pornographique repoussant pour d’autres, les clichés de Tokyo Lucky Hole demeurent les stigmates de la période la plus crue du photographe nippon.
Amoureux des femmes, mais épris d’une seule, il publie en 1971 Sentimental Journey, récit de sa lune de miel avec Aoki Yoko. Gravement malade, sa muse le quitte en 1990. La photographie d’Araki se pare alors d’un filtre ébène.
Né à Tokyo en 1940, Nobuyoshi Araki étudie la photographie à l’université de Chiba et obtient son diplôme en 1963. Photographe freelance, il intègre l’agence de publicité Dentsu en tant que caméraman et réalise son premier film en 1963 : Les enfants des cités. Inspiré du néoréalisme italien, mouvement cinématographique qui documente le quotidien et porte son regard sur le collectif, ce film donne lieu à une série de photographies un an plus tard : Satchin, qui lui vaut son premier prix artistique. Dès lors, le photographe d’après-guerre explore les spécificités de chaque médium : Polaroïd, collage, peinture ou cinéma.
Dans son périple obscène, Araki conte chacune de ses nombreuses rencontres. Amoureux des femmes, mais épris d’une seule, il publie en 1971 Sentimental Journey, récit de sa lune de miel avec Aoki Yoko. Gravement malade, sa muse le quitte en 1990. La photographie d’Araki se pare alors d’un filtre ébène : Winter Journey fait office d’hommage sombre et nostalgique. Auteur du visuel de l’album de remix Telegram (1996) de Björk, Nobuyoshi Araki propose en 2009 une série de Polaroïd aux côtés de Lady Gaga. Et puisqu’il a perdu l’usage de son œil droit, il publie avec humour Love on the left eye, hommage au Love on the left Bank d’Ed van der Elsken qu’il a toujours admiré.
“Tokyo Lucky Hole” de Nobuyoshi Araki, TASCHEN. Disponible.