13 nov 2023

Madonna : l’artiste Gabriel Massan raconte les secrets du Celebration Tour

Ce dimanche 13 novembre à l’Accor Arena, Madonna présentait sa tournée “Celebration Tour”. Parmi les titres réinterprétés sur scène par la reine de la pop, le fascinant morceau Bedtime Story s’accompagne d’une installation vidéo impressionnante de Gabriel Massan. Pour Numéro, le jeune artiste brésilien, actuellement exposé à la Serpentine à Londres, revient sur cette collaboration exceptionnelle.

Propos recueillis par Matthieu Jacquet.

Numéro : Comment cette collaboration est-elle née ?

Gabriel Massan : Tout a commencé cet été. M [le surnom de Madonna] se baladait dans Hyde Park en vélo et s’est arrêtée devant la Serpentine pour voir les événements du moment. Elle est rentrée et a visité mon exposition, qui contient à la fois un installation vidéo, un jeu vidéo interactif, ainsi que des captures de souvenirs NFT générées sur la plateforme blockchain Tezos. Quelques jours plus tard, je reçois un message de sa part sur Instagram pour me dire qu’elle avait adoré l’exposition, et qu’elle souhaite m’appeler pour en parler. Par téléphone, elle me propose alors de collaborer avec elle pour sa tournée Celebration Tour, et notamment pour une chanson : Bedtime Story, le single titre de son album Bedtime Stories [1995], co-écrit par Björk. Il s’avère que cet album correspond à ma période préférée de sa carrière et cette chanson est l’une de mes préférées du monde entier ! Je l’écoute quasiment chaque semaine.

 

Comment réagit-on lorsque l’on reçoit un message de Madonna sur Instagram ?

J’étais très surpris, bien sûr. La commissaire de mon exposition m’avait informé que Madonna était venue la voir, qu’elle avait beaucoup apprécié et avait pris des photos sur son téléphone, mais lorsqu’elle m’a écrit directement je me suis dit : “Oh mon dieu. Quelque chose va se passer, sinon pourquoi m’aurait-elle contacté ?” Il n’y a pas de hasard : le fait que Madonna ait suivi son instinct en me contactant, et que cela concerne cette chanson qui me parle autant, c’est que tout devait se passer à ce moment-là. Elle a collaboré avec tant d’artistes qui m’inspirent, comme Keith Haring, que c’est un honneur pour moi de m’inscrire dans cette liste de figures majeures. C’est comme si on bouclait une boucle.

 

 

Quand j’ai commencé à échanger avec Madonna, je savais d’avance comment elle allait réagir et me répondre, comme quand on parle avec quelqu’un que l’on connaît très bien.

 

 

Quelle était votre histoire avec Madonna avant cette collaboration ? 
Madonna est très populaire au Brésil donc j’ai grandi en écoutant sa musique, d’autant que mon père est très fan. Comme beaucoup d’enfants queer, j’étais très inspiré par les divas, et c’est la diva ultime ! Étant artiste, j’apprécie également beaucoup sa manière de diriger et coordonner tout ce dans quoi elle s’implique. Je suis donc très inspiré par ses chansons, mais aussi sa personnalité. J’ai grandi en regardant ses interviews, notamment sur la chaîne de télé principale du Brésil, à tel point que quand nous avons commencé à échanger, je savais d’avance comment elle allait réagir et me répondre, comme quand on parle avec quelqu’un que l’on connaît très bien. C’était assez amusant.

 

Dans ses paroles, Bedtime Story parle d’un voyage dans le monde de l’inconscient où l’on laisse derrière soi la raison, le langage, les mots. Quelles étaient ses idées pour l’installation en question ?

Ce qui lui a surtout plu dans mon travail, c’était la façon dont je créais des paysages et des personnages de toutes pièces. C’est donc ce qu’elle m’a demandé : elle voulait que je compose un nouvel univers et que je réalise un avatar à son image. Elle me parlait sans cesse d’une petite fille qui vivait dans un rêve, passant constamment d’un monde à l’autre. J’ai donc imaginé Madonna en train d’accéder à des méandres oniriques, emplis de créatures, de rituels, de possibilités que l’on ne saurait expliquer. Tout ce monde est très spirituel, rattaché à l’âme. On y rencontre les images que génère notre inconscient et que l’on ne peut transposer à la réalité.

 

 

Madonna s’intéresse énormément aux énergies et aux symboles, aux mystères de la vie et à la part occulte de notre monde.

 

 

Ce que vous décrivez est également très présent dans le clip original du morceau, réalisé par Mark Romanek en 1995. On y croise de nombreuses références, au film Sayat Nova de Sergueï Paradjanov, aux peintures des artistes surréalistes – Leonora Carrington, Remedios Varo, Leonor Fini… – ou encore de Lucian Freud. Quelles ont été les inspirations de votre projet ?

J’adore le clip et je l’ai beaucoup re-regardé pour préparer ce film. Madonna est quelqu’un qui s’intéresse énormément aux énergies et aux symboles, aux mystères de la vie et à la part occulte de notre monde, et c’était déjà très visible à l’époque. Elle m’a beaucoup répété : “Tout doit avoir un sens. Les couleurs, les formes…” Un jour, elle m’a dit aussi : “Pense anime.” Ma proposition croisait donc de nombreuses références, à la fois au sens des couleurs, à l’analyse des rêves et des multiples façons de rêver, mais aussi à plusieurs films d’animation japonaise comme ceux de la saga Neon Genesis Evangelion.

Madonna vous a contacté cet été et entamé sa tournée mi-octobre, à Londres. Comment êtes-vous parvenu à réaliser ce projet dans un délai aussi court ?
Nous avions peu de temps, en effet, mais j’étais déterminé à relever ce défi. J’ai passé quinze jours à Long Island avec près de dix personnes pour m’aider à construire tout cela, et j’avais eu quelques jours en amont pour organiser la pré-production et constituer cet équipe. Nous avions un spécialiste de l’animation, un designer de personnage, un designer graphique, deux producteurs, un assistant VFX. Malgré ce court délai, tout le monde était très impliqué, et tout s’est très bien passé. Nous avons travaillé jour et nuit, sans pause. À la fin de chaque journée, nous avions produit une nouvelle partie de la vidéo pour la faire valider. Heureusement que c’est allé vite, car je suis incapable de visualiser les résultats tant que tout n’est pas fini, et avec la 3D, cela demande beaucoup de temps…

 

 

L’avatar de Madonna existe comme un substitut virtuel qui lui permet d’exister au-dessus de ce monde onirique.

 

 

Au-delà du film, une grande partie du projet concerne sa mise en espace sur la scène et les interactions de Madonna avec les images. Très concrètement, comment progresse-t-elle dans l’installation ?

La scénographie de la tournée offre de nombreuses possibilités, donc en tant que directeur artistique de ce tableau j’ai dû écrire un script, décider de l’éclairage, des écrans, des structures, tout cela avec l’équipe. Au fond, il y a donc trois grands écrans où apparaît mon film. Lorsque le morceau commence, Madonna s’avance sur la scène et s’allonge au sol, qui s’élève pour faire apparaître sous elle un immense cube. Son placement est très important : elle doit respecter un repère très précis car ensuite, grâce à une intelligence artificielle, son corps apparaît en direct dans l’univers du film, sur le cube et les écrans au fond.

 

Que rencontre Madonna sur sa route lors de son voyage dans l’inconscient ? 

Nous arrivons dans un désert de neige, très froid et métallique, où l’on croise mes sculptures comme dans un vaste sanctuaire. Après l’entrée de Madonna dans ce monde, son avatar commence à apparaître et à voyager dans cet univers, puis mime également les paroles en même temps qu’elle. Lorsque l’avatar pénètre le sanctuaire, d’autres créatures apparaissent et l’accompagnent telles des gardiens d’un autre subconscient, puis une étrange fée communique avec lui… Avant que son corps ne se mette à léviter, comme connecté à son esprit. Toute la chorégraphie s’intensifie jusqu’à ce que l’avatar adopte la même position que Madonna au début, assise et les jambes écartées – une posture d’accouchement, comme si elle donnait naissance à cette nouvelle réalité. En somme, l’avatar existe comme un substitut virtuel de Madonna qui lui permet d’exister au-dessus de ce monde onirique. D’ailleurs, le personnage est tatoué de symboles qui font référence à des moments de sa carrière, à la religion et à la spiritualité.

Comment s’est passée la communication avec Madonna tout au long du processus ? 
Du début à la fin, elle est restée très proche de moi et m’a fait complètement confiance. Nous avions des réunions tous les jours, elle m’écrivait constamment, et nous avions la chance d’être sur la même longueur d’onde donc tout a été très fluide. Chaque nouvelle idée qu’elle avait améliorait l’œuvre et la rendait plus interactive, puisqu’elle sait ce qui lui va et ce que son public attend. Pour son avatar, elle a décidé des vêtements, des cheveux, des traits du visage… Elle voulait quelque chose qui dialogue avec la tenue qu’elle porte sur scène, cette incroyable combinaison métallique signée Versace. Elle avait déjà présenté des avatars à son image mais celui-ci a été produit très rapidement, et elle en était très satisfaite.

 

 

Du début à la fin, Madonna est restée très proche de moi et m’a fait complètement confiance. 
 

 

Vous n’avez que 26 ans, aussi, avoir cette grande opportunité mais aussi pouvoir travailler avec une telle équipe de professionnels a dû être passionnant, mais aussi effrayant. Comment l’avez-vous vécu ? 

C’était beaucoup de pression bien sûr, pas seulement à cause de l’équipe, mais aussi parce que je suis très jeune et que tout cela est très nouveau pour moi. Bien que ce n’était pas la première fois que je dirigeais une équipe, c’était la première fois que je m’impliquais dans la production au point d’en réaliser la plus grande partie par moi-même. J’ai eu la chance d’échanger avec des consultants qui m’ont permis de me sentir à l’aise et confiant. Nous avions ensemble ce pouvoir : comprendre ce que cela voulait dire de créer quelque chose pour Madonna. Et, à échelle plus personnelle, ce que cela signifiait pour moi de produire quelque chose d’aussi ambitieux à un si jeune âge. Et pour réaliser cet accomplissement, toute l’équipe a été d’un grand soutien.

 

Madonna: The Celebration Tour, les 13, 19 et 20 novembre 2023 à l’Accor Arena, Paris 12e. 

Gabriel Massan. Third World: The Better Dimension, jusqu’au 26 novembre 2023 à la Serpentine, Londres.

 

À lire aussi sur numero.com :
Madonna réinvente ses looks iconiques lors du Celebration Tour

Hans Ulrich Obrist : “Les jeux vidéo sont au 21e siècle ce que les films étaient au 20e”