Lucia Koch transforme le Palais d’Iéna en théâtre de couleurs et de lumières
Dans le cadre de la semaine de l’art, l’artiste brésilienne Lucia Koch investit l’architecture du Palais d’Iéna avec une installation textile monumentale aux couleurs vibrantes, transformant notre perception de l’espace. Une exposition immersive et poétique à découvrir jusqu’au 28 octobre.
Des fenêtres de l’imposant bâtiment en béton du Palais d’Iéna s’échappent des voilages aux nuances évoquant un coucher de soleil. Du brun intense au bleu profond en passant par l’orange vibrant, de longs voilages flottants teintés par ces dégradés colorés amènent, dans l’espace principal de l’édifice parisien construit dans les années 30, une fluidité inédite à son architecture autoritaire, composant un véritable labyrinthe de couleurs et de lumière qui le changerait presque en salle de théâtre. Présentée jusqu’au 28 octobre, cette nouvelle exposition suit la tradition mise en place par le Palais d’Iéna depuis quelques années. Chaque année durant la semaine de l’art, le bâtiment – désormais siège du Conseil Économique Environnemental et Social – accueille dans sa salle hypostyle (dont le plafond est soutenu par des colonnes) l’installation in situ d’un artiste contemporain. Après avoir exposé un arbre couché monumental du représentant de l’arte povera Giuseppe Penone en 2019 et des figures humaines en bois du sculpteur allemand Stephan Balkenhol en 2020, le bâtiment a invité l’artiste Lucia Koch à dialoguer avec l’architecture du Français Auguste Perret. L’occasion de se plonger dans l’œuvre poétique et immersive de cette Brésilienne née en 1966, dont le travail a été encore peu présenté en France.
L’exposition débute et se termine par deux photographies monumentales en trompe-l’œil, maintenues par des structures. Dans la première prises de vue de Lucia Koch, un grand carton érige dans l’espace les cloisons d’une pièce domestique tandis que dans la seconde, placée en haut de l’escalier imposant du bâtiment, une cagette à légumes renversée devient une architecture subtile dont les jeux d’ombre et de lumière font écho aux ouvertures des fenêtres traversantes du Palais d’Iéna. Mais la pièce majeure de l’exposition restera sans doute l’installation textile qui se déploie sur 1200 mètres carrés et 6 mètres de hauteur sous plafond, de l’extrémité de la salle hypostyle aux marches de l’escalier. Les drapés translucides, suspendus aux colonnes à différents niveaux, se superposent et se croisent, comme une toile sans châssis transformant la structure même de l’espace. Un dégradé de couleurs chatoyantes s’y fond sur des tissus flottants et semble faire onduler les colonnes cannelées rigides de la salle hypostyle. Aux jeux de couleurs des rideaux provoqués par les rayons lumineux s’ajoutent des mouvements subtils du textile, qui varient en fonction des courants d’air ou du passage des visiteurs. Un rien altère l’œuvre, pensée comme évolutive. “L’espace est comme un être vivant, confie l’artiste, qui assume son approche organique de l’architecture. Sa vie se nourrit de la lumière, de l’air”. L’expérience sensorielle qui en résulte, pensée avec la complicité du commissaire d’exposition Matthieu Poirier, bouleverse avec élégance la perception de l’architecture du bâtiment et installe le public dans un moment suspendu, empreint de poésie.
À travers ce projet inédit, Lucia Koch démontre la force des ses installations éphémères qui, depuis près de trente ans, reconfigurent l’espace, qu’il soit public ou domestique. Dès le début des années 90, l’artiste brésilienne basée à São Paulo commence à déployer ses longs voilages translucides un peu partout dans le monde. En 2019, par exemple, elle installait sur un immeuble d’habitation de la mégalopole brésilienne de longs rideaux à chacun des étages, dont les déclinaisons de couleur, du pourpre au noir, évoquaient les toiles abstraites et méditatives du peintre américain Mark Rothko. À chaque fenêtre, un dégradé chromatique subtil se mouvait ainsi aux rythmes des éléments, variant selon les conditions météorologiques. Au fil de ses projets, celle qui a suivi une formation de photographe a pour habitude d’apposer aux fenêtres et ouvertures d’immenses filtres colorés en gélatine, qui décomposent la lumière et apportent des ondulations liquides à la rigidité du bâti. Par ces procédés adaptés chaque fois aux éléments architecturaux du lieu investi, l’artiste propose une appréhension nouvelle des espaces familiers et bouleverse les habitudes du visiteur tout en détournant la fonction initiale de ce décor, l’invitant à découvrir dans l’ossature des bâtiments des détails méticuleusement choisis. A l’image de son projet pour le Palais d’Iéna, l’œuvre profondément optique et immersive de Lucia Koch génère ainsi des expériences aussi ludiques que contemplatives.