Les œuvres de Gina Beavers, du food porn à l’art contemporain
À l’heure d’Instagram, les œuvres en relief de Gina Beavers réinterprètent des images glanées sur Internet. Entrée dans l’univers cru de cette jeune artiste américaine, exposée au MoMA PS1 jusqu’au 2 septembre.
Par Matthieu Jacquet.
Une assiette de hot-dogs dégoulinants de sauce, un torse luisant aux muscles saillants, une paire de fesses fondante coupée comme un gâteau, des tranches de bœuf cru : voilà un avant-goût de ce que l’on peut trouver dans les œuvres de Gina Beavers. Avec ses cadrages en gros plan, cette plasticienne américaine nous immerge dans le détail et semble transgresser les limites de la pudeur. Nous sommes alors immédiatement captifs des œuvres, happés par leurs sujets alléchants et leur texture presque palpable.
Derrière ces thématiques, un regard posé sur les symptômes du narcissisme contemporain et de la mise en scène de soi.
Dans son travail, Gina Beavers mêle porn et food porn, cette tendance issue d’Instagram qui consiste à mettre en scène puis photographier ses repas. La crudité s’y érige en mot-clé : des corps dénudés, des parties du visage maquillées, de la nourriture. Derrière ces thématiques, l’artiste évoque les symptômes du narcissisme contemporain qui passe par l’exhibition de son corps, de ses cosmétiques… ou de ses repas. Autant d’éléments qui, réunis sur un réseau social, participent à la formation d’une image fantasmée.
Mais l’artiste ne s’arrête pas là. Titulaire d’un master en anthropologie, sa démarche artistique traduit sa curiosité presque scientifique pour le rapport de tout un chacun à son image mais aussi à l’autre, et sa manière de l’exprimer sur les plateformes virtuelles. Car Internet demeure la source d’inspiration principale de Gina Beavers, qui parcourt Instagram, Youtube ou Google à la recherche d’images qu’elle retranscrira dans ses toiles. Dans ce vaste terrain d’étude continuellement réapprovisionné, c’est toute une nouvelle forme de pop culture qui l’intéresse : celle des réseaux sociaux, des mèmes, alimentée massivement par les profils des millenials.
Dans son travail, Gina Beavers mêle le food porn et le porn. La crudité s'y érige comme mot-clé.
Au cœur d'une ère saturée d’images, où le plagiat contamine l’ensemble de la création artistique, Gina Beavers l’assume et le revendique : elle conçoit ses œuvres à partir d’images publiques qui ne lui appartiennent pas. Comme un pied de nez à l’uniformité plastique et à la platitude du numérique, elle convoque une technique picturale bien particulière qui consiste à superposer des couches d’acrylique incolore et des formes en papier afin de créer, sur la toile, un effet de matière et de relief. Elle recouvre ensuite le tout de peinture colorée. Toujours en vue de transcender l’espace bidimensionnel, l'artiste ajoute parfois à ces toiles d’autres éléments en volume tels que des balles de tennis ou de football.
Depuis le mois dernier, le MoMA PS1 accueille Gina Beavers pour sa première exposition personnelle en musée. Un corpus qui présente l’étendue de son travail jusqu’à ses toiles les plus récentes où elle reprend avec humour des œuvres ayant marqué l’histoire de l’art. Définitivement ancrée dans son époque, sa pratique picturale touche à des sujets qui habitent notre imagerie quotidienne. Par son regard et sa technique, elle leur attribue une valeur éminemment singulière.
L'exposition Gina Beavers : The Life I Deserve est à voir jusqu'au 2 septembre au MoMA PS1, New York.