Art

18 avr 2025

Quand les artistes s’improvisent créatrices de mode

Jusqu’au 21 juillet 2025, le musée du Louvre-Lens dévoile une exposition fleuve, où l’art et la mode se mêlent et s’entremêlent dans un dialogue prolifique et continu au fil des époques. L’occasion pour Numéro de revenir sur ces artistes du 20e siècle qui se sont improvisés créateurs de mode, imaginant des collections de vêtements en écho à leurs propres œuvres.

  • Par Camille Bois-Martin.

  • Sonia Delaunay : artiste et créatrice de mode

    Dans les années 20 et 30 émergent les premières grandes figures féminines de la mode. Jeanne Lanvin, Elsa Schiaparelli, Madeleine Vionnet, Gabrielle Chanel… et Sonia Delaunay (1885-1979).

    Si elle est aujourd’hui connue pour ses expérimentations autour des couleurs, l’artiste ukrainienne s’illustre dans l’entre-deux-guerres dans un tout autre domaine. Tandis qu’à l’époque elle ne vit pas encore de son art, elle lane alors des collections de vêtements, d’accessoires et de décoration d’intérieur.

    La Casa Sonia à Madrid

    Exilée en Espagne et au Portugal au début du siècle, elle ouvre à Madrid sa “Casa Sonia”. À partir de 1918, ce petit commerce permettra au couple qu’elle forme avec Robert Delaunay de subvenir à leurs besoins. Comme dans ses peintures, l’artiste explore le simultanéisme. Un concept qu’elle a inventé avec son mari pour désigner l’interaction des couleurs et des motifs géométriques.

    Dans ses collections, le jaune cotoie du bleu, du rouge ou du vert… Et recouvrent des sacs à main, des foulards, des vestes, des robes ou des chapeaux. Une pratique que l’on peut observer actuellement sur les nombreux dessins et photographies affichés au Louvre-Lens.

    Un pop-up store parisien dans les Années folles

    Fidèles à l’esprit des Années folles, ces créations hautes en couleurs font de Sonia Delaunay une créatrice de mode très appréciée par ses contemporains. Au point de participer, sous l’égide du couturier Jacques Heim, à l’Exposition internationale des arts décoratifs industriels et modernes à l’été 1925. Sur le pont Alexandre III, elle organise même un défilé de mode. Et ses mannequins arborent des ensembles aux motifs géométriques et colorés, tandis que l’artiste accueille des clientes internationales. Une sorte de “pop-up store” avant l’heure.

    À cette période, elle inaugure également la Maison Sonia Delaunay dans son appartement boulevard Malesherbes où elle reçoit sa clientèle sur rendez-vous. Elle finit même par engager plusieurs dizaines d’employées pour produire ses créations. Ses maillots de bain, ombrelles et cravates seront alors vendues jusqu’à New York, sur la prestigieuse 5th avenue.

    Et si sa production artistique connaît progressivement un large succès, Sonia Delaunay n’abandonnera jamais le monde de la mode. Tout au long de sa vie, elle conçoit des vêtements pour elle-même. Mais aussi pour ses amis célèbres, de Serge Diaghile à Tristan Tzara, René Crevel…

    Niki de Saint-Phalle, la mode comme revendication artistique

    Aujourd’hui, de nombreuses artistes sont largement implantées dans le monde de la mode. Ambassadrice, collaboratrice ou muse, des personnalités comme Michèle Lamy, Judy Chicago, Anne Imhof ou Nadia Lee Cohen figurent aux premiers rangs des défilés. Mais aussi sur les campagnes publicitaires de maisons telles que Saint Laurent, Dior, Balenciaga.

    Un fait commum dans notre société contemporaine, mais qui reste au milieu du 20e siècle, assez marginal. Consciente du pouvoir de son image, Niki de Saint-Phalle (1930-2002) pose dès les années 40 dans les pages de magazines de mode comme Vogue ou Elle.

    Elle collabore également, deux décennies plus tard, avec Marc Bohan, directeur artistique de la maison Dior (de 1961 à 1989). Ensemble, ils imaginent les tenues arborées par la plasticienne franco-américaine lors d’évènements officiels ou au sein de ses projets artistiques, accrochées actuellement sur les cimaises du Louvre-Lens.

    De muse de Marc Bohan à créatrice de bijoux

    À l’image notamment de sa célèbre combinaison en velours noir aux manches ganseés de dentelle brodée pour son film Daddy (1973). Ou encore de son iconique ensemble doré, immortalisé aux côtés d’Andy Warhol en 1982 à l’occasion du lancement de son parfum. Aussi audacieuses que ses œuvres, ses tenues prolongent alors sa personnalité. Mais ils façonnent aussi un univers total, au sein duquel son style devient une marque de fabrique, tout comme sa production artistique.

    Terrain d’exploration, la mode devient, comme pour Sonia Delaunay, un moyen de prolonger ses recherches plastiques. Dans le sillage de son parfum dont le flaçon se compose de deux serpents entrelacés – animal-totem de Niki de Saint Phalle –, elle imagine dans les années 80 plusieurs collections de bijoux. Boucles d’oreilles, colliers, bracelets… Semblables à de petites sculptures, ses créations joaillières deviennent signatures de son style bourgeois et excentrique.

    L’univers entre art et mode de Yayoi Kusama

    Difficile d’évoquer les collaborations entre les artistes et la mode sans mentionner Yayoi Kusama (née en 1929). Si l’exposition du Louvre-Lens dédie un mur entier à son style très marqué du milieu des années 60, son lien avec la mode et le vêtement reste très actuel. On pense évidemment à ses célèbres (et auréolées de succès) collaborations avec la maison Louis Vuitton, dont les sacs et les vêtements se recouvrent de ses fameux dots au gré de leurs collections depuis le début des années 2010.

    Mais l’artiste japonaise, s’intéressait, dès ses débuts, à l’univers de la mode. Outre des costumes qu’elle confectionnait pour ses performances, elle signe des collections destinées à être commercialisés. Dans sa maison-atelier new-yorkaise, elle conçoit, dans les années 60, d’étonnants ensembles unisexes brodés de pois ou découpés ci et là, sur l’épaule, le ventre, le sexe ou les jambes.

    Des vêtements excentriques, à l’image de l’artiste

    Aussi excentriques et provocateurs que son travail de l’époque, ces pièces brouillent les limites de la mode féminine, alors en pleine émancipation. Et séduisent une clientèle hippie et libérée, qui se pressent au sein de sa petite boutique nichée dans Greenwich Village.

    Transpositions vestimentaires de son art, les collections de Yayoi Kusama sont même, au début des années 70, vendues dans de grands magasins tels que Bloomingdales, sous le nom de Yayoi Kusama Fashion Company. Et quelle meilleure égérie pour promouvoir sa marque que l’artiste elle-même ? Elle arbore ses vêtements à chacune de ses apparitions publiques et lors de ses performances. Et contribue ainsi à sa légende, encore aujourd’hui fascinante…

    “S’habiller en artiste. L’artiste et le vêtement”, exposition jusqu’au 21 juillet 2025 au Louvre-Lens, Lens.