Harmony Korine : l’Amérique borderline d’un cinéaste insolent et controversé
Jusqu’au 23 mars, la galerie La Fab d’agnès b. célèbre le cinéaste, écrivain et plasticien californien dans une grande rétrospective. Qui est vraiment Harmony Korine, scénariste nihiliste résolument cool… et controversé ?
Par Alexis Thibault.
Harmony Korine, d’abord un provocateur formidable
Harmony Korine est-il vraiment un antihéros underground qui filme les âmes infréquentables ? C’est en tout cas ce que l’on raconte sur ce scénariste de 52 ans dont la côte n’a jamais faibli. Un provocateur formidable capable d’écrire une chanson pour Björk (Harm of Will en 2001) comme de se faire bannir à vie du Late show de David Letterman. D’après la rumeur, le type aurait fouillé dans le sac à main de Meryl Streep en coulisse…
Cinéaste épris de l’esthétique VHS, il a d’abord proposé une Amérique désœuvrée en écrivant Kids, pour Larry Clark, chronique adolescente façon documentaire huée lors de sa première projection à Cannes, en 1995. Du sexe, de la drogue et de la violence. Quelque chose de brutal et de cru qui permet à Harmony Korine de se faire remarquer, un type résolument cool mais clairement pas encore assez chic.
Trois ans plus tard, en 1997, son premier film, Gummo, nous plonge dans l’intimité d’une communauté oisive et décadente de l’Ohio dont la ville a été saccagée par une tornade. Un film sans structure narrative, sombre, absurde… sa propre vision du nihilisme. Il y aura aussi le bouquin Craques, coupes et meutes raciales, récit jouissif et fragmenté. Une sorte d’autofiction pleine d’ironie et de rumeurs grossières, évoquant l’inceste puis l’attrait supposé du cinéaste John Ford pour la cocaïne et le corps des femmes noires obèses… Tout un programme.
De Kids à Spring Breakers, du malaise à la confusion
Amateur de scènes grotesques, d’idiotie intelligente et d’improbables associations – bikini et white trash, notamment dans son long-métrage Spring Breakers (2013) avec James Franco, Vanessa Hudgens et Selena Gomez –, on comprend qu’il existe une logique dans son chaos. Pour Harmony Korine, les images surgissent avant le récit.
Et c’est à partir de ces plans imaginaires qu’une histoire sera construite, de force. Ses assemblages faussement aléatoires proposent, dès Kids, “une expérience physique, une sensation de malaise, de confusion, de transcendance, de gêne, d’humour” comme il le confiait lui-même aux équipes du Centre Pompidou à l’occasion de la grande rétrospective qui lui était consacrée en 2017.
Une rétrospective de l’œuvre de Harmony Korine à La Fab d’agnes. b
Jusqu’au 23 mars, La Fab. d’agnès b. s’intéresse justement à l’œuvre d’Harmony Korine, dont elle possède la plus grande collection au monde. On découvre, dans cette exposition, trente années de photographies absurdes, dérangeantes ou hypnotiques qui interrogent l’identité américaine. La relation ne date pas d’hier. En 2009, Agnès b. avait déjà co-produit Trash Humpers, quatrième long-métrage d’Harmony Korine. Un ovni horrifique qui met en scène des personnes âgées lubriques, masquées, hurlant et massacrant gratuitement des quidams tout en récitant des poèmes approximatifs.
Cette exposition célèbre ainsi une complicité artistique et amicale entre Harmony Korine et agnès b. On y trouvera par exemple une série de peintures aux teintes acides issues de son film Aggro Dr1ft (2023) et présenté tour à tour à la Mostra de Venise et dans des strip-clubs… Ce thriller expérimental en infrarouge narre les péripéties d’un tueur à gages dans les bas-fonds de Miami. Un film aux airs de jeu vidéo féroce, projet projet un peu fou qui révélait, pour certains, le génie du réalisateur et, pour d’autres, les limites d’un cinéaste à la mode.
Finalement, c’est ainsi que La Fab envisage de célébrer Harmony Korine : “Il crée des œuvres qui interrogent les normes esthétiques et sociales. Ses œuvres, qu’il s’agisse de films ou de peintures, mêlent des éléments de fiction et de réalité, générant une atmosphère à la fois ludique et dérangeante. En jouant avec les motifs de l’absurde et de l’éphémère, il invite le spectateur à remettre en question sa perception du monde et à s’engager dans une réflexion profonde sur l’identité, la société et l’art lui-même.”
Rétrospective Harmony Korine, jusqu’au 23 mars, La Fab d’agnes. b. Place Jean-Michel Basquiat, Paris XIIIe.