FEMMES chez Perrotin : 5 artistes à découvrir dans l’exposition de Pharrell Williams
Curatée par Pharrell Williams, l’exposition ”FEMMES” à la galerie Perrotin célèbre jusqu’au 19 avril la figure féminine à travers les œuvres de trente-neuf artistes contemporains, dont une majorité de femmes. L’occasion de découvrir 5 d’entre elles, dont le travail a encore été peu aperçu en France.
Par Matthieu Jacquet.
Photo: Tanguy Beurdeley. Courtesy Perrotin.
Pharrell Williams, curateur d’une exposition sur les femmes chez Perrotin
”ll n’est pas fréquent de voir autant de femmes noires exposer en même temps dans une galerie parisienne. Cela nous donne une grande vitalité !”, signale l’artiste Eden Tinto Collins, invitée de la grande exposition “FEMMES”, présentée jusqu’au 19 avril à la galerie Perrotin, à Paris. C’est là sans doute le tour de force réalisé par son commissaire star, le musicien et designer Pharrell Williams, qui a choisi de réunir non moins de trente-neuf artistes contemporains de couleur, avec une grande majorité de femmes, dont les œuvres rendent hommage à la figure féminine.
Imaginée en discussion avec Emmanuel Perrotin et la commissaire d’exposition Louise Thurin, la sélection invite à un voyage entre les styles et les médiums, portés par des figures majeures et stars du marché telles que Betye Saar, Carrie Mae Weems, Glenn Ligon et Henry Taylor, plusieurs artistes proches de la galerie, de Tavares Strachan à Nina Chanel Abney, d’autres récemment mis à l’honneur dans les institutions françaises tels que Gaëlle Choisne, Mickalene Thomas ou encore Kapwani Kiwanga, mais aussi des pratiques plus émergentes. Focus sur cinq artistes à découvrir.
Portrait de Theresa Chromati. Photo : Phillip MaiselImage. Courtesy of the artist
Theresa Chromati, Seasonal Bloom (Woman Pollinated) (2024).
Courtesy of the artist.
Theresa Chromati
“Je cherche à célébrer les complexités des femmes noires, et la dualité qui émane de nos âmes”, nous annonce Theresa Chromati. Accrochées au mur de la salle d’entrée de la galerie, ses deux toiles juxtaposées captivent immédiatement par leur explosion de couleurs vives – rouges, jaune, orange, bleu ciel – et de formes – arcs, arabesques, spirales –, qui jaillissent depuis leur centre. Si l’on n’y distingue de prime abord aucune silhouette féminine complète, quelques fragments de corps se dessinent discrètement – une main par ici, un pied arqué par là –, mais aussi, et surtout, des tiges et pétales qui esquissent un végétal, et explorent par l’abstraction la thématique séculaire de la femme-fleur.
Un motif revient d’ailleurs dans les deux toiles : la “fleur scrotum”, forme organique évoquant aussi bien une paire de testicules que le cœur d’une orchidée, que l’artiste n’hésite pas à décliner aussi dans des sculptures monumentales, et dans d’autres toiles vibrantes où le mouvement et la joie triomphent, appuyés par l’utilisation de paillettes. Rarement exposée à Paris, la trentenaire basée à Brooklyn ne masque pas son enthousiasme de faire partie de cette sélection d’artistes qui explorent la féminité contemporaine : “C’est le moment ! En tant que femmes artistes de couleur, nous devons créer cet espace pour nous enlacer, nous soutenir les unes et les autres.”
Portrait de Kennedy Yanko. Photo : Jesse Frohman
Courtesy of the artist.
Kennedy Yanko, Teary Eyed (2024). Photo : Dan Bradica. Courtesy of the artist and James Cohan, NY.
Kennedy Yanko
Comme une réponse directe aux peintures de Theresa Chromati, la sculpture de Kennedy Yanko trône au milieu de la première salle, sur un socle circulaire. Ici aussi, le corps féminin est réduit à son essence, en l’occurence à sa posture, à travers les reliefs et les lignes de tension qui régissent cet assemblage de matériaux industriels où l’on croit parfois apercevoir une silhouette assise. Comptant parmi les seules sculptrices de cette sélection, l’artiste américaine montre ici les composantes de son vocabulaire plastique, qui rappelle aussi bien les assemblages des Nouveaux réalistes – César, Arman – que les volumes extrudés d’Anita Molinero.
Dans les décharges publiques, Kennedy Yanko chine des pièces et morceaux métalliques qu’elle compresse, tord et soude ensuite. Parallèlement, l’artiste déverse sur une surface plane des litres de peinture acrylique colorée qu’elle laisse sécher quelques temps, avant de la manipuler et l’apposer délicatement sur le métal pour lui en donner la forme. Naît alors un dialogue d’une grande sensualité entre la chaleur duveteuse de cette peinture, proche d’un tissu drapé ou d’une “seconde peau”, et la froideur industrielle du métal, qui donne à ses compositions aérées une apparente légèreté malgré leur épaisseur et leur poids. “C’est ça que j’aime avec l’abstraction, explique l’artiste, la capacité à créer la sensation d’un corps tout en faisant écho à l’histoire de l’art, notamment à la sculpture hellénistique en marbre.”
Portrait de Kenia Almaraz Murillo. Photo : Benjamin Mc Mahon. Courtesy of Galerie Waddington Custot.
Kenia Almaraz Murillo, Torito (2024). Photo : Nicolas Brasseur. Courtesy of Galerie Waddington Custot.
Kenia Almaraz Murillo
Originaire de Bolivie et installée à Paris depuis ses études aux Beaux-arts, Kenia Almaraz Murillo s’emploie à “tisser” – littéralement – des liens entre les deux pays à travers le textile. Réalisées sur un métier à basse lisse qui lui vient d’Aubusson, fief historique de la tapisserie en France, ses œuvres se construisent en deux étapes : la première, par la création du chaîne et trame sur la machine, et la seconde, par l’intégration d’éléments sculpturaux et lumineux dans le textile.
En attestent les deux pièces présentées au premier étage de la galerie Perrotin, à travers laquelle l’artiste rend hommage à sa propre mère. Celle de droite, à base de laine rouge d’alpaga et de fil d’or, évoque par ses lignes sinueuses et douces son “énergie intérieure”, autant que la résilience des femmes du village dont elle est issue, perché à 4000 mètres d’altitude dans la Cordillère des Andes. L’œuvre de gauche, plus chargée, intègre à un camaïeu de fils verts des phares, fragments de pneus et de guidons mais aussi des amulettes et pompons présents dans les cérémonies et danses folkloriques boliviennes – une manière de matérialiser cette fois-ci l’énergie féminine moderne, urbaine et collective. Formée par l’artiste tisserande Simone Prouvé à Paris, Kenia Almaraz Murillo décrit le tissage comme un moment de “méditation constante, de purification du temps et de connexion spirituelle avec [sa] famille en Bolivie.”
Portrait de Eden Tinto Collins. Photo : Michael Huard, Say Who.
Eden Tinto Collins, Visuel de A Pinch of Kola – épisode 4 – saison 1 – J’irai twerker sur vos tombes, vue de vidéo (2021).
@ Eden Tinto Collins / ADAGP, Paris, 2025.
Eden Tinto Collins
Faisant face à des photographies historiques de Carrie Mae Weems dans la grande salle du rez-de-chaussée, l’installation multimédia d’Eden Tinto Collins est une véritable célébration de la danse – une “pratique qui permet de se reconnecter à la mémoire”, précise-t-elle. Ici, la trentenaire parisienne s’intéresse plus particulièrement à une danse, le twerk, dans son film J’irai twerker sur vos tombes tourné dans le parc de la Villette avec plusieurs danseuses, comme Patricia Badin. Mêlant vidéos de danses devant un fond galactique incrusté en post-production, photographies du parc et images trouvées sur Google Images, celle-ci est en réalité un épisode de la sitcom satirique A Pinch of Kola imaginée par l’artiste en 2021. On y suit son alter ego, Jane Dark, en train de traverser différents mondes où les méandres d’internet rencontrent des situations quotidiennes tirées vers l’absurde. Lauréate du prix Fondation Pernod Ricard en 2023, celle qui se décrit comme “poéticienne hypermédia” présente désormais cet opus dans une installation inédite, au milieu d’un papier-peint vert d’eau où des corps dansants apparaissent en transparence. Comme une manière d’abattre les frontières entre le virtuel et le réel pour mieux célébrer l’émancipation féminine.
Portrait de Emma Prempeh. Photo : Ellyse Anderson.
Emma Prempeh, Finally I’m Home (2025). Courtesy of the artist and Tiwani Contemporary.
Emma Prempeh
“J’ai grandi dans une maison de femmes, avec ma mère, ma soeur. Ce sont les femmes les plus importantes dans ma vie”, nous confie Emma Prempeh. Depuis des années, la peintre parcourt les souvenirs de son enfance, passée dans le sud de Londres, pour créer des compositions intimistes et chaleureuses dont les femmes sont souvent les personnages clés. Mais en 2024, la jeune femme change de décor lorsqu’elle emmène sa mère à Saint-Vincent-Les-Grenadines, où cette dernière a grandi avant de la quitter définitivement pour l’Angleterre, il y a quarante ans.
Un retour aux racines qui inspire à sa fille une nouvelle série de toiles, où les intérieurs domestiques laissent désormais place à la nature sauvage des Caraïbes. Invitée à présenter son travail dans “FEMMES”, Emma Prempeh a réalisé pour l’exposition une toile de deux mètres de haut et près d’un mètre cinquante de large, représentant sa mère debout, de profil, sur une plage de l’île dont la végétation apparaît en arrière-plan. “J’ai choisi cette œuvre car ici, on voit que ma mère se sent chez elle et on a presque l’impression que les arbres sortent de sa tête, explique la peintre. On la trouve plus détendue que je crois ne l’avoir jamais vue.” Une fois de plus, l’artiste complète sa toile par l’utilisation par endroits d’un alliage de cuivre et de zinc qui rappelle la feuille d’or et dote l’ensemble d’un éclat saisissant.
“FEMMES”, sur une idée de Pharrell Williams, exposition jusqu’au 19 avril 2025 à la galerie Perrotin, Paris 3e.