Faut-il que les femmes soient nues pour entrer au Metropolitan Museum ?
L’exposition Terres de femmes à la galerie Praz-Delavallade met à l’honneur 25 artistes femmes parmi lesquelles Marlene Dumas, Louise Bourgeois ou encore Niki de Saint Phalle. Elle interroge la place des femmes dans le monde de l’art et leur regard sur la société. À découvrir jusqu’au 12 janvier.
Par Marthe Rousseau.
“Faut-il que les femmes soient nues pour entrer au Metropolitan Museum ? Moins de 5% des artistes de la section d’art moderne sont des femmes, mais 85% des nus sont féminins.” C’est par une affiche du groupe d’activistes Guerrilla Girls que démarre l’exposition Terres de femmes à la galerie Praz-Delavallade. Affublés de masques de gorille, les membres de ce collectif formé en 1985 aux États-Unis dénoncent le sexisme dans le milieu de l’art, en particulier grâce à des prospectus et des affiches aux images provocatrices qu’ils collent dans la rue. Vingt ans plus tard, le fondateur éponyme de la galerie et commissaire de l’exposition, René-Julien Praz, tombe sur un livre à Los Angeles (The Guerrilla Girls’ Bedside Companion to the History of Western Art) qui célèbre les artistes femmes à travers l’Histoire : “Ce fut un vrai coup de poing que je recevais à l’estomac et qui m'a laissé sans voix si ce n’est celle de ces filles qui ont eu le cran – ‘the gust’ – de dire tout haut ce que nous savions depuis des lustres : l’omniprésence des artistes mâles dans le milieu de l’art face à une minorité de femmes artistes.”
Depuis, Julien-René Praz ne cesse de réfléchir à une exposition consacrée à des artistes femmes. Si cela peut prêter à confusion, Terres de femmes n’est pas une exposition dite “féministe”, d’ailleurs certaines artistes représentées ne se revendiquent pas comme telles. “Chaque femme est singulière, et c’est cette singularité que je souhaitais mettre en avant en choisissant des artistes de différentes générations et aux formes d’expression diverses”, déclare Julien-René Praz.
Au début de l’exposition, le visiteur découvre une photo de la fameuse sculpture Un déjeuner en fourrure (1936), de l’artiste surréaliste Meret Oppenheim (1913-1985) : la première œuvre d’art contemporain créée par une femme à entrer dans les collections permanentes du MoMA de New-York. Celle qui devint la muse de Man Ray grâce à son physique androgyne adopta le titre que lui souffla André Breton – référence à la toile Le déjeuner sur l’herbe (1863) d’Edouard Manet et au roman érotique La Vénus à la fourrure (1870) de Leopold von Sacher-Masoch – qui confère à l’œuvre de Meret Oppenheim un esprit éminemment transgressif.
Transgressive, tel est l’adjectif que l’on pourrait aussi attribuer à la sculpture Fallen Woman (1996) de l’artiste franco-américaine et inclassable Louise Bourgeois (1911-2010) dont le travail interroge le rapport à la domesticité et aux relations homme/femme. Dépourvu de bras et de jambes, le corps de cette femme en porcelaine à la tête dorée fait penser à une poignée de porte, ou bien plus trivialement à un godemichet. Ne pouvant bouger, cette femme tombante est impuissante. L’exposition rend certes hommage à des artistes femmes de générations et de nationalités différentes, mais révèle surtout des univers propres à chacune d’entre elles.
Alors que Meret Oppenheim puise dans son inconscient, notamment ses rêves, pour créer, l’artiste américaine Marnie Weber (née en 1959), inspirée par le surréalisme mais aussi par le spiritisme, fait surgir son imaginaire loufoque. Elle présente ainsi des personnages, The Spirit Girls, un jeune groupe de rock féminin qui aurait été assassiné et reviendrait sur Terre avec des masques pour hanter les humains. Dans son photocollage The Lily Pond (2008), les Spirit Girls trouvent refuge sur des nénuphars à leur propre échelle. Leur air de poupées dérange. Il évoque aussi bien l’angélisme d’Alice au Pays des Merveilles que le pantin machiavélique de Saw : “À la fois anges, fées et sorcières, les Spirit Girls nous entraînent dans un rêve lancinant”, déclare le commissaire d’exposition. Un rêve où l’on pourrait vivre dans des fleurs.
En face de The Lily Pond, c’est un autre monde que l’on découvre, plus kitsch, et élaboré comme les comptes Instagram de la jeunesse dorée. Influencée par la pop culture, la photographe américaine Geneviève Gaignard (née en 1981) se met en scène sous une perruque blonde, les bras sur les hanches, un collier de perles autour du cou dans Pearl (2015). Fille d’une mère blanche et d’un père noir, cette métisse a souvent eu l’impression d’être invisible. Alors, elle se déguise dans ses photos comme si ses autoportraits jouaient avec la notion même d’identité. Une question qui, au-delà du genre et du statut d’artiste relie tous les êtres humains. Qui suis-je ? D’où est-ce que je viens ? Quel est mon rôle dans ce monde ? L’artiste star d’origine sud-africaine Marlene Dumas (née en 1953) s’y est beaucoup intéressée. Celle qui a grandi sous le régime de l’apartheid part vivre à 23 ans aux Pays-Bas et n’a jamais voulu choisir entre ces deux pays. Dans ses peintures à l’huile, elle invite le spectateur à se questionner à propos de la douleur, de la mort, du sexe mais aussi des figures médiatisées qu’elle représente – de Naomi Campbell à Nelson Mandela en passant par Oussama Ben Laden…
Plus loin dans la galerie, on distingue, posés sur une planche de bois : un vieux magazine allemand Der Spiegel datant des années 1980, une photo en noir et blanc d’un immeuble, un produit Hugo Boss, une ventouse et une brosse à chiotte… Dans Shelf n°25 (Neue Heimat) (2005), l’artiste d’origine allemande Josephine Meckseper (née en 1964) représente des éléments du quotidien mais aussi issus de la culture populaire. En ligne de mire, la société de consommation aliénante. Zoe Leonard (née en 1961) s’intéresse également à notre système économique contemporain, et à ce qu’il fait disparaître, comme les vieilles échoppes new-yorkaises qu’elle capture sous son objectif, une dernière fois, pour immortaliser une ville en constante mutation.
Exposition Terres de femmes à la galerie Praz-Delavallade, jusqu’au 12 janvier 2019, 5 rue des Haudriettes, Paris 3e.