Exposition : 5 jeunes artistes qui dynamitent la peinture au MO.CO
Jusqu’au 4 juin 2023, le MO.CO présente “Immortelle”, une exposition ambitieuse visant à redorer le blason de la peinture figurative française des trente dernières années en traduisant sa vivacité. Déployé dans les deux bâtiments de l’institution montpelliéraine, l’événement présente les œuvres de 122 peintres de deux générations, dont les plus jeunes d’artistes traduisent à la Panacée le renouveau du médium. Focus sur 5 d’entre eux.
Par Matthieu Jacquet.
1. Elené Shatberashvili : l’écriture picturale du souvenir
Teinté de nostalgie, le travail d’Elené Shatbereashvili traduit sur la toile la prégnance de la mémoire, à travers des regards tournés vers l’horizon et des corps solitaires capturés dans l’immobilité de l’introspection. Installée à Paris depuis une dizaine d’années, après avoir grandi dans une Géorgie post-soviétique, l’artiste emplit les intérieurs domestiques dépeints dans ses portraits de souvenirs de sa propre famille : photographies décorant les murs, tapisseries et motifs qui ont bercé son enfance… Dans des couleurs douces souvent rabattues et des compositions mettant, en dépit des codes de la perspective, personnages et décors sur un même plan, la jeune peintre raconte les conséquences du déracinement et le rapport complexe aux origines, notamment à travers sa propre image représentée dans de nombreux autoportraits. Récemment présentées chez Perrotin, ses œuvres contiennent de nombreux cadres dans le cadre – fenêtres, tableaux, miroirs ou encore écrans de smartphones –, subtile mise en abîme de la peinture et des icônes.
2. Christine Safa : quand la poésie devient peinture
À 28 ans, Christine Safa contient le monde dans un mouchoir de poche. Dans des formats souvent réduits, les toiles de peintre d’origine libanaise deviennent autant de poèmes universels qui transcendent les époques et les régions. Celle qui, selon selon ses mots, “met en forme les ruines des souvenirs”, joue délicatement avec les contrastes de couleurs complémentaires, tout particulièrement entre les nuances d’orange de la peau ou d’étendues arides baignées par la lumière rougeoyante de la fin de journée, et le bleu roi du ciel ou de la mer – échos des paysages méditerranéens qui irriguent son imaginaire. Par ses cadrages et formats variés ainsi que les lignes simples et douces qui délimitent des formes épurées, l’artiste bouscule les repères d’échelle : ainsi, les visages endormis d’une toile, saisis en gros plan dans l’intimité d’un lit, s’apparentent aux dunes de sable représentés sur celle d’à côté, dans toute leur immensité. Dans la lignée de la peintre et poète Etel Adnan, aux côtés de laquelle elle exposait ses travaux en 2021, l’artiste développe une œuvre crépusculaire ouverte vers l’horizon, d’où émane une grande sérénité.
3. Inès di Folco : un éden féminin
Il y a quelque chose du paradis dans la peinture d’Inès di Folco. Entre deux jeunes femmes se tenant affectueusement la main, des humains enlaçant tendrement des animaux, une nature abondante et une végétation luxuriante, ses peintures traduisent un éden – principalement féminin – d’harmonie et de paix, délesté des affres de notre monde contemporain. Sur des toiles de lin montées sur châssis ou bien, plus légères, de coton directement tendues sur un mur, l’artiste dilue ses huiles et pigments pour composer ces scènes oniriques dont les éléments et personnages flottent comme des ilots. Inspirée par des légendes, récits oraux et rituels recueillis dans la littérature, les films ou encore ses propres voyages, l’artiste réunit régulièrement dans ses œuvres plusieurs narrations qui, à la manière des œuvres de Jérôme Bosch, définissent une nouvelle temporalité en phase avec l’écriture d’une mythologie purement subjective. Au MO.CO, deux petites peintures rouges délaissent ces multiples éléments pour se concentrer sur des figures dénudées, dont la féminité et l’érotisme se voient soulignés par ce camaïeu percutant de teintes écarlate.
4. Corentin Canesson : quand la peinture devient exercice de style
Dans le paysage de la peinture figurative française, Corentin Canesson fait figure de drôle d’oiseau. Là où nombre de ses homologues se spécialisent dans un genre qu’ils déclinent à l’envi, l’artiste assume depuis vingt ans un véritable éclectisme des styles et des sujets en papillonnant dans l’histoire picturale, entre références à Vincent Van Gogh et aux impressionnistes dans l’application vibrante du pincea, à Paul Cézanne et aux fauvistes dans son agencement des formes et des couleurs vives, à la période vache de René Magritte dans l’aspect irrévérencieux de ses sujets ou encore à Ben Vauthier, dans l’écriture d’aphorismes qui envahissent plusieurs de ses toiles. À l’image de son atelier parisien, l’artiste exacerbe cette pluralité en recouvrant souvent les murs de ses œuvres, décomposant et recomposant des récits rhizomatiques au fil de ses expositions. Dans l’enceinte de la Panacée, ses toiles de formats divers jalonnent cette fois-ci les murs blanc de la coursive, accompagnant le visiteur dans son parcours pictural. Ici, des fruits juteux éclaboussent de couleurs une nappe à carreaux, là, des corps nus dansent dans une clairière éclairée par un soleil, tandis qu’une cigogne ou un loup se dessinent de profil dans des compositions graphiques détaillées, qui rappellent,non sans humour, les gravures médiévales.
5. Neïla Czermak Ichti
5. Neïla Czermak Ichti : peindre pour faire exister les “aliens” du monde
Sur son compte Instagram, Neïla Czermak Ichti s’appelle “Neïla Alien”, manière d’attirer l’attention sur l’anagramme formé par son prénom. Un anagramme particulièrement adéquat pour une artiste dont l’œuvre, aussi fascinante que dérangeante, dénote par le sentiment d’étrangeté et d’altérité qu’elle provoque chez le spectateur. Inspirée par les comics, films d’épouvante et d’animation ou encore caricatures et bande-dessinées mordantes qui nourrissent l’inépuisable pop culture, la jeune Marseillaise prend ses crayons, stylos à bille et autres pinceaux trempés dans l’acrylique pour croquer les récits fantastiques qui habitent son imaginaire avec un trait vivace et affûté. Dotés de peaux verdâtres ou poupres, de visages longilignes, de regards graves et de sourires grimaçants, sa famille et ses proches se voient transportés dans ce monde peuplé de sorcières lascives, de femmes à antennes, de visages volants et autres créatures hybrides proches du monstre. Derrière ses abords macabres, l’univers dépeint par Neïla Czermak Ichti semble paradoxalement offrir aux marginaux, aux tabous et aux pulsions réfrénées une place privilégiée qu’ils ne peuvent pas prendre dans le monde réel. Représentés dans les postures conquérantes et puissantes de personnages super-héroïques, certains sujets proposent ainsi une image augmentée d’eux-mêmes.
“Immortelle”, du 11 mars au 4 juin 2023 au MO.CO & MO.CO Panacée, Montpellier.