9 nov 2023

En Égypte, l’artiste Stephan Breuer renverse les pyramides de Gizeh

Jusqu’au 18 novembre 2023, la troisième édition de l’exposition “Forever is Now” prend ses quartiers sur le plateau des pyramides de Gizeh en Égypte, où 14 artistes contemporains font revivre, à travers leur œuvres, la civilisation égyptienne antique. Numéro s’est entretenu avec le Français Stephan Breuer, auteur d’un artefact triangulaire en or infra-mince qui mêle avant-garde technologique et geste poétique.

Propos recueillis par La rédaction.

Interview de l’artiste français Stephan Breuer à propos de son œuvre TEMPLE •I• , en Égypte 

 

 

Numéro : Ces dernières années, vous avez réalisé des projets sur mesure pour le Jardin du Palais Royal, à Paris, ou le musée national romain à Rome. Quelles sont les grandes thématiques de ce nouveau projet en Égypte, produit dans le cadre de l’exposition collective “Forever is Now” ?

Stephan Breuer : Le désert est un espace dont je rêvais depuis très longtemps. L’œuvre TEMPLE •I• synthétise deux axes de recherches qui ont fusionné pour la première fois au sein du Plateau de Gizeh. L’un était un travail en relation avec les monuments et la recherche de la perspective, de la notion d’atemporalité et du sublime. L’autre est une recherche autour des “icônes”, qui part des peintures italiennes, en particulier des Annonciations, où le fond d’or évoque un espace intangible. Lors de l’exposition “Forever is Now 3” [exposition qui fait revivre l’esprit de la civilisation égyptienne antique via quatorze œuvres d’artistes sur le plateau de Gizeh], ce triangle d’or inversé en lévitation qui reflète la lumière du soleil vient se surimposer au cœur des trois Pyramides telle une apparition dans l’espace désertique.

 

Le site des pyramides de Gizeh est lun des plus touristiques du monde. Comment êtes-vous parvenu à linvestir de façon originale ?

Il a fallu trouver un positionnement très précis afin que l’œuvre, dans ce paysage, ne prenne pas l’apparence d’un fond d’écran. Lorsque l’on tourne autour des trois pyramides [Kheops, Khephren et Mykerinos°, on les voit se mouvoir comme dans une danse. D’après un certain point de vue, elles fusionnent pour former un triangle parfait. Alors, Kheops, Khephren et Mykerinos s’assemblent et dessinent dans l’horizon une seule et même pyramide. C’est cet axe sublime que j’ai choisi.

 

Les pyramides sont des monuments en volume. Pourquoi avoir choisi de proposer une œuvre complètement bidimensionnelle ?

À l’heure de la réalité virtuelle, je crois à la force de la bidimensionnalité. Le processus que j’ai défini dès le premier jour démarre à partir d’un dessin digital sur Keynote, un logiciel pas du tout destiné à l’art qui offre très peu de possibilités. C’est la contrainte que je me suis imposée. Il est impossible de créer des images complexes avec des textures particulières et cela me force à utiliser au maximum la puissance de mon imagination plutôt que celle de l’ordinateur. Depuis plusieurs années, je tente de concevoir un langage d’une grande rigueur à partir de toutes ces contraintes, par l’utilisation de lignes, de triangles, de carrés ou de cercles.

Pourquoi avoir accordé autant dimportance à la transparence et à la lumière dans cette nouvelle installation ?

Dans le désert, il faut travailler en accord avec le soleil. Les Égyptiens antiques comprenaient à la perfection leur environnement dont le placement de ces pyramides axées par rapport à la course du soleil. Il m’a paru important de ne surtout pas chercher à entrer en compétition avec les pyramides, qui sont d’une puissance matérielle inégalable. Ainsi, j’ai souhaité une œuvre légère et lumineuse. Ce triangle d’or qui semble flotter sur un mur en verre cristallin, de la plus grande transparence, culmine à 2,20 mètres de haut, la largeur compilée du triangle et de cette plaque de verre est de 2,6 centimètres, et le triangle tient par un système d’accroche avec des aimants. Nous sommes ici dans ce que Marcel Duchamp a nommé l’infra-mince, un espace imperceptible à la limite absolue de la matière. L’œuvre est fragile et forte à la fois, elle sort de terre et se tient droite tout en reflétant la lumière du soleil. À quatorze heures, la course du soleil qui illumine TEMPLE •I• permet à ce triangle de projeter la lumière et de se retrouver dans la perspective exacte des trois pyramides.

 

 

“Au départ, on se sent écrasé par ce lieu. Il faut surmonter cette première impression pour réussir à entrer en osmose avec lui.” 

 

 

 

Lexpérience physique de l’œuvre se double dune expérience virtuelle, puisque les visiteurs peuvent s’y connecter avec leur téléphone…

Le principe a été de créer un miroir inversé de la pyramide pour, avec technologies actuelles, penser l’éternité. TEMPLE •I• est un monument d’un nouveau type qui existe de façon très légère dans le monde physique et en grande partie dans les “clouds”. J’ai développé une série de 15 œuvres digitales NFT visibles sur la plateforme d’art digital DANAE.IO. Cette collection s’appelle Higher Consciousness. Grâce à une puce NFC (Near Field Communication – échange d’informations entre deux objets connectés jusqu’à une distance d’environ 10 cm), le public peut se connecter à l‘œuvre avec son téléphone de façon totalement intuitive. La personne récupère un POAP nommée “You Are in The Axis”, qui est un token (jeton) enregistré sur la blockchain ainsi qu’une oeuvre digitale offerte qui prouve leur rencontre avec l’œuvre physique. Au sein de TEMPLE •I• sont stockés des textes philosophiques fascinants, tels que celui de la Française Baldine Saint Girons sur les liens entre le sublime et l’Égypte antique.

Quels défis avez-vous rencontrés dans la conception, la production puis l’installation de l’œuvre ?

Celui de travailler avec des monuments aussi puissants. Au départ, on se sent écrasé par le lieu, il faut surmonter cette première impression pour réussir à entrer en osmose avec lui. Bien que mon travail soit intimement lié à des espaces physiques, mon approche est principalement mentale. Dans le cas des pyramides, je ne me suis jamais rendu sur le site avant l’installation de l’œuvre. J’ai dû comprendre l’espace au travers de photos ou de plans du plateau de Gizeh afin de définir cet axe dans lequel l’œuvre allait être positionnée. En général, lorsque je compose avec un monument, j’y vais une fois tout au plus, puis je tente de comprendre et de revivre l’espace comme si j’avais un casque de VR. Je m’y projette en fermant les yeux.

 

Quespérez-vous provoquer avec cette œuvre ?

Nous sommes dans un moment très difficile et l’on ne peut oublier qu’à quelques kilomètres de Gizeh, il y a Gaza… Cette exposition collective a réuni des artistes de tous les horizons, de toutes les croyances, avec des points de vues très différents sur le monde. L’art qui est devenu aujourd’hui une grande machine avec ses foires et autres méga galeries, ou le graal est de pouvoir collaborer avec une marque de luxe, s’est un peu vidé de son essence. Avec le projet “Forever is now”, nous étions tous immergés dans le désert. C’était une expérience tellement forte qu’elle nous a tous liés. J’espère ainsi que cette œuvre sera le symbole de ce que l’art peut permettre de créer comme nouvelles connections intellectuelles et sensibles.

 

L’œuvre TEMPLE •I• de Stephan Breuer est présentée dans le cadre de la troisième édition de l’exposition “Forever is Now ”d’Art d’Égypte, jusqu’au 18 novembre 2023 sur le plateau de Gizeh .