Comment Matthew Day Jackson transforme le cosmos en œuvre d’art
Ancrées dans l’histoire américaine, les nouvelles peintures de Matthew Day Jackson nous transportent derrière les hublots des navettes spatiales, explorant les forces chaotiques du cosmos et nous invitant à un voyage aux confins du monde connu.
Par Thibaut Wychowanok.
Les récentes peintures de Matthew Day Jackson sont séduisantes, bien trop séduisantes pour que l’émerveillement qu’elles suscitent ne se transforme en doute, et en crainte. Trop belles. Trop puissantes. Trop riches. Feux d’artifice ou explosions atomiques ? Ses nouvelles compositions florales – criardes – étouffent le regard sous les détails et les jeux de matières. Dans une autre série présentée à la galerie Hauser & Wirth de Zurich, des représentations de l’espace stellaire fulminent. Rouge. Bleu. Jaune. Argent. Oubliée l’apaisante monochromie de la nuit infinie. L’artiste est américain, l’un des plus brillants de sa génération. Il faut sans doute vivre au cœur des grandes plaines états-uniennes et conduire des cabriolets aussi vastes que des navettes spatiales pour acquérir cette capacité à agréger l’immensité, la densité et l’intensité du monde sur une toile, fût-elle de deux mètres. Tout de la nature et de l’Univers s’y presse. Matthew Day Jackson peint ces déchaînements de couleurs jusqu’à l’excès.
Cette nouvelle série présentée en Suisse est constituée de peintures reprenant la forme des hublots des vaisseaux des missions Apollo, Mercury ou Gemini, les premiers modules spatiaux à conduire des Américains dans l’espace. L’histoire des États-Unis a toujours nourri le travail de Matthew Day Jackson : histoire de l’art, sociale, politique, technologique ou scientifique… Une Amérique dont le mythe originel, fondé sur l’idée de progrès à marche forcée, est observée par l’artiste d’un regard critique qui n’écarte en rien les aspects les plus fascinants (la magie de la conquête spatiale, nouvelle frontière de l’Amérique), tout en plongeant sans détour dans ses échecs et ses côtés les plus sombres (la réalité guerrière de cette conquête, poussée par une course à l’armement que Reagan appelait sans humour “la guerre des étoiles”). De ses “fenêtres” d’Apollo s’observe ainsi autant la beauté d’une nature sublime et terrifiante renvoyant l’humanité à sa propre précarité et modicité, que la réalité d’un espace déjà pollué par une toile de satellites, de flux incessants d’informations et d’images. Plus encore, d’une technologie de surveillance généralisée et guerrière. Le résultat est explosif. Matthew Day Jackson est le grand artiste de l’horreur et de la possibilité du désastre.
La puissance de ces œuvres ne réside pas pour autant dans une pure réflexion, sociétale ou métaphysique. Lorsque Jackson mobilise le passé de la conquête spatiale au présent, le passé est réactivé de manière concrète, l’artiste réalisant lui-même et à la main ses explosions de couleurs et les cadres en bois qui les délimitent. Son corps tout entier devient, dans l’atelier, le réceptacle d’une histoire américaine. Le corps est la mesure de l’expérience du monde, du passé, du présent, et de leur réactivation.
Chez Matthew Day Jackson, la question de l’émerveillement, ou plus précisément de la fascination (qui a pour corollaire l’horreur), ne peut se dissocier de celle du voyage physique. Ses œuvres invitent à un périple vers l’inconnu. C’est celui emprunté par la science, toujours tâtonnante, la technologie, la nature ou la politique. Cette attitude s’ancre là encore dans une tradition américaine, celle de la littérature qui, de Ralph Waldo Emerson à Jack Kerouac, invite à se perdre pour mieux se trouver soi-même. Plus qu’un mantra, c’est une expérience physique, celle du corps qui regarde le monde et doit se situer en son sein pour prendre conscience de sa place : ici, mais perdu ; à la recherche de la connaissance, mais ignorant. C’est l’espace de l’artiste et de l’art. Le lieu d’où nous parle Matthew Day Jackson.
Expostion Matthew Day Jackson. Flowers, Windows and Thistles à la galerie Hauser & Wirth, Zurich. Jusqu’au 18 décembre.