3 jan 2024

Comment le chat noir de Théophile-Alexandre Steinlen est devenu une icône parisienne

Au cœur d’une exposition au musée de Montmartre jusqu’au 11 février 2024, le peintre Théophile-Alexandre Steinlen est connu pour sa fascination pour les chats des rues de Montmartre, au point de les transformer, à travers une affiche bien connue, en icône parisienne…

Le cabaret du Chat Noir, haut-lieu du Montmartre bohème de la fin 19e siècle

 

Dressé, griffes enfoncées et regard espiègle : le chat noir de cette célèbre affiche réalisée en 1896 par Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923) nous dévisage. Derrière ses oreilles, un nimbe rouge déroule la phrase “Montjoye Montmartre”, allégeance à la vie de bohème et aux soirées nocturnes qui animent à la fin du 19e siècle les rues du fameux quartier parisien… 

 

Sous ses pattes, le nom de Rodolphe Salis se détache, illustre fondateur du cabaret du Chat Noir dont cette lithographie fait justement la promotion, et où les artistes et poètes de l’époque s’engouffrent à la nuit tombée, à la recherche d’inspiration ou de compagnie. Niché au pied de la butte, le lieu vibre au rythme de chants improvisés, de débats agités, de lectures poétiques ou de théâtres d’ombres, auxquels assistent quelques grands noms de la période, d’Émile Zola à Henri de Toulouse-Lautrec, Paul Verlaine, Vincent Van Gogh en passant par Félix Vallotton.

Le chat noir de Steinlen, allégorie de l’artiste solitaire

 

Imaginé par le peintre Steinlen (autre client fidèle du lieu), ce chat noir malicieux semble alors, comme ceux qui courent les rues de la capitale, devenir l’allégorie de la bohème de la fin 19e siècle : solitaires, pauvres mais autonomes, parfois incompris, ces animaux errants sont à l’image des peintres et des écrivains, qui trouvent en eux une signification quelque peu… mystique. Certains s’identifient en effet à la symbolique démoniaque du chat noir, dont la vie nocturne semble faire écho à la vie sociale de ces “marginaux”, habitués des cabarets de Montmartre.

 

Rien d’étonnant, donc, à ce que l’animal devienne l’icône de cet établissement. Baptisé cabaret du Chat Noir en référence à un vieux matou qui y aurait élu domicile au début des travaux, le nom de l’établissement s’inscrit parfaitement dans l’état d’esprit bohémien de ses clients de l’époque, tout en rendant hommage à la nouvelle éponyme d’Edgar Allan Poe (1843) dont le traducteur n’était autre que Charles Baudelaire, autre visiteur fréquent du bar. Le félin inspire même au fondateur du lieu Rodolphe Salis une revue hebdomadaire lancée en 1882, Le Chat Noir, à laquelle Théophile-Alexandre Steinlen contribue entre 1884 et 1895, au gré de récits dessinés dont les protagonistes sont majoritairement des chats, préfigurant sa future célèbre illustration.

 

Réalisée en 1896 pour la promotion d’une pièce d’ombres au cabaret du Chat Noir, l’affiche connaît un succès fulgurant, porté la prospérité du cabaret de Montmartre autant que par la symbolique bohémienne incarnée par le félin, mais aussi par le courant japonisant qui s’empare alors de l’Europe, dont cette image aux allures d’estampe semble s’inspirer. Sans oublier la célébrité de son autre comparse poilu, peint aux pieds de la célèbre Olympia de Manet quelques décennies plus tôt (1863)…

Théophile-Alexandre Steinlen, un peintre passionné des chats exposé au musée Montmartre

 

Si l’on oublie souvent le nom de l’artiste qui se cache derrière cette image (d’ailleurs longtemps confondu avec son ami Henri de Toulouse-Lautrec), Théophile-Alexandre Steinlen figure pourtant parmi les plus prolifiques illustrateurs de son temps, en particulier pour ses – très – nombreuses représentations de félins, tout comme pour ses représentations des invisibles ou des marginaux de la société parisienne.

 

Dans sa maison du 58 rue Caulaincourt, cet artiste originaire de Lausanne croque, dès son arrivée à Paris dans les années 1880, aussi bien les vagabonds, maçons et les prostituées de la capitale que ses chats errants. Chats qu’il recueille d’ailleurs par dizaines chez lui, au point que son domicile soit rebaptisé par ses contemporains “The Cat’s Cottage” (et que l’artiste se voie lui-même récompensé par la Société de protection des animaux).

 

Parmi ces félins installés sur ses canapés et autour de ses chevalets s’est ainsi peut-être retrouvée une petite frimousse noire, qui le guida lors des travaux préparatoires de sa célèbre lithographie, et pour bien d’autres œuvres. À commencer, notamment, par son étonnante huile sur toile intitulée Apothéose des chats (1905), exposée à l’époque dans la salle du bas du cabaret du Chat Noir, représentant une horde de félins qui semble avoir envahi les toits de Paris… avant, peut-être, d’assiéger toute la ville.

L’affiche de la Tournée du Chat Noir : une icône parisienne

 

Aujourd’hui, l’affiche de La tournée du Chat Noir se rencontre partout dans la capitale française, et même partout sur la toile. Vendue sous forme de produits dérivés en tout genre que les touristes s’arrachent, de la carte postale au porte-clés en passant par les magnets et les posters, cette lithographie souvent détournée a fait du chat noir une véritable icône parisienne, appuyée par la nostalgie du Paris de la Belle Époque, dont les récits, films et séries de fiction sont toujours aussi friands.

 

Car outre les produits dérivés, la représentation féline a en effet infusé la culture populaire, apparaissant autant dans un épisode de la série les Simpson qu’au sein de jeux vidéos tels que Fallout ou Résident Evil, en musique (notamment dans le clip I Still Remember de Bloc Party)… Ou encore au musée de Montmartre, où l’affiche est actuellement exposée parmi les nombreuses peintures et sculptures de chats réalisées par Théophile-Alexandre Steinlen, dont la rétrospective ferme ses portes dans une petite dizaine de jours.

 

“Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923) L’exposition du centenaire”, jusqu’au 11 février 2024 au musée de Montmartre, Paris 18e.