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1 fév 2023

Cerith Wyn Evans orchestre un ballet lumineux à la galerie Marian Goodman

Représenté par Marian Goodman, Cerith Wyn Evans est actuellement à l’affiche de deux expositions personnelles dans la galerie : la première dans son espace new-yorkais et la seconde dans l’espace parisien. Dans cette dernière, l’artiste gallois continue à enrichir son œuvre lumineux et poétique, orchestrant un ballet multisensoriel jalonné d’hommages à ses aînés Frank Stella ou Marcel Duchamp.

Cerith Wyn Evans, chef d’orchestre de la lumière depuis trois décennies

Milan, fin octobre 2019. Les visiteurs de la fondation Pirelli découvrent dans l’immense enceinte du HangarBicocca sept colonnes lumineuses s’élevant sur 20 mètres de haut. Composées de tubes LED en verre, ces sculptures impressionnantes évoquent immédiatement l’architecture antique et notamment l’ordre dorique, style le plus ancien des temples grecs. Mais le spectacle ne s’arrête pas là : dans la pénombre du hangar, les œuvres s’allument et s’éteignent progressivement à leur rythme, créant un ballet visuel captivant le spectateur. C’est avec cette installation cathédrale que Cerith Wyn Evans introduisait alors sa grande exposition personnelle dans l’institution italienne, rappelant d’emblée les enjeux de sa pratique : l’exploration des liens entre la lumière, le son et l’espace pour écrire une poésie multisensorielle. Plus de trois ans plus tard, l’artiste gallois présente à nouveau ces colonnes – mais réduites en hauteur cette fois – au sous-sol de la galerie Marian Goodman à Paris, qui lui consacre jusqu’au 25 février 2023 une exposition personnelle, tout comme son antenne à New York jusqu’au 4 mars. À travers les nouveaux travaux qu’il y dévoile, sa pratique s’enrichit de nombreuses références explicites à des artistes qui l’ont marqué, de Frank Stella à Marcel Duchamp.

Cerith Wyn Evans dessine avec la lumière depuis maintenant bientôt trente ans. Si le discret Britannique né en 1958 a fait ses armes dans les années 70 avec des courts-métrages expérimentaux, les néons sont devenus par la suite l’un de ses supports d’expression principaux et, à ce jour, le plus notoire. Fasciné par les enseignes lumineuses, l’artiste a utilisé au fil de sa carrière le néon pour tracer des lignes abstraites dans le vide de la salle, écrire des phrases poétiques aux airs d’aphorismes ou bien allumer plus littéralement des lustres imposants. Dans la première salle de l’exposition à la galerie Marian Goodman, plusieurs de ses nouveaux assemblages lumineux se répondent. Mais sur ces œuvres entamées en 2021, les néons sont alignés sur une surface plane, formant des tableaux lumineux suspendus en quinconce. Droites, obliques et géométriques, les lignes qui les composent, ainsi superposées, semblent alors vibrer aux yeux du spectateur. Le décor est planté : derrière ce cadre d’apparence aride et ce matériau industriel, Cerith Wyn Evans insuffle son âme dans l’abstraction, laissant les dizaines de néons s’animer selon les points de vue et leurs variations d’intensité et de couleurs.

De Frank Stella à Alexander Calder, des clins d’œil à des artistes majeurs

Les visiteurs les plus familiers de la peinture du 20e siècle le remarqueront sans doute : les motifs dessinés par ces structures lumineuses citent explicitement les Black Paintings de Frank Stella, série de toiles réalisées par l’Américain entre 1958 et 1960. Dans ses œuvres inédites, Cerith Wyn Evans transpose en néons les lignes blanches séparant les bandes noires présentes sur les tableaux de l’artiste expressionniste. La toile opaque de jadis devient désormais une surface ouverte et poreuse à son environnement où, entre les fins cylindres luminescents, le spectateur est incité à explorer du regard l’espace d’exposition, ainsi que la cour intérieure du bâtiment, visible à travers les hautes fenêtres voûtées. Par cet habile pastiche, l’artiste gallois embrasse l’œuvre d’origine autant qu’il la réadapte.

On retrouve ce parti pris dans la première salle du sous-sol, où flottent une dizaine de pare-brise fissurés, maintenus par des fils autour des colonnes lumineuses. Ces “mobiles”, qui ne sont pas sans rappeler les sculptures du même nom devenues la signature d’Alexander Calder dès 1932, troquent ici les pièces de métal aux couleurs unies pour ces éléments automobiles en verre feuilleté récupérés dans une décharge en région parisienne. À l’image du Grand Verre de Marcel Duchamp, œuvre inachevée de l’artiste français réalisée entre 1915 et 1923, Cerith Wyn Evans tient à conserver la brisure du fragile matériau. Ainsi détournés, ces nouveaux “ready-made” évoquant des écrans de télévision par leur forme rectangulaire et leur couleur bleutée, rencontrent dans l’espace les canons architecturaux de l’Antiquité et jouent joyeusement des anachronismes.

À la galerie Marian Goodman, une exposition écrite comme une partition

En bon vidéaste accoutumé à coordonner son et lumière, Cerith Wyn Evans se pose ici en véritable chef d’orchestre de l’éclairage. On pourrait ainsi lire cette exposition comme une partition dans l’espace, où la circulation du visiteur minutieusement maîtrisée par l’artiste semble faire écho aux lignes tracées par les œuvres. Les pièces d’Evans s’apparenteraient ainsi davantage aux installations colorées d’un Jesús-Rafael Soto, invitant à déambuler entre elles, qu’aux néons d’un Dan Flavin, souvent présentés immobiles contre un mur. Ce sens de la théâtralité se prolonge dans les colonnes de LED combinées aux pare-brise mobiles, qui décuplent leur mélodie lumineuse dans leurs reflets propagés à l’infini. La magie de l’artiste va encore plus loin, avec le renversement qu’il opère au fil du parcours : alors qu’au rez-de-chaussée, les lumières des panneaux statiques semblent s’animer à mesure que le visiteur traverse la salle, au sous-sol, ce sont les œuvres elles-mêmes qui s’activent autour du spectateur immobile, renversant subitement le centre gravitationnel de l’exposition.

Comme à son habitude, l’artiste gallois n’hésite pas à semer le trouble en laissant quelques zones d’ombre. Un pin en pot tournant sur lui-même, un gong enveloppé d’une couverture argentée et de chaises transparentes rythmée par la diffusion de compositions jouées au piano. Si l’exposition parisienne s’appelle “No realm of thought…”, son pendant new-yorkais livre une clé de l’énigme en la complétant de son titre “…no field of vision” : “sans royaume de la pensée, pas de champ de vision”. L’approche phénoménologique de l’artiste est aussi claire qu’assumée. Plutôt qu’enfermer ses œuvres dans un discours, Cerith Wyn Evans les livre, tels des organes autonomes, à la conscience et la perception sensorielle de chacun. Dans l’ici et le maintenant de leur expérience unique. 

Cerith Wyn Evans, “no realm of thought…”, jusqu’au 25 février 2023 à la galerie Marian Goodman, Paris 3e & “…no field of vision”, jusqu’au 4 mars 2023 à la galerie Marian Goodman, New York.