Pitchfork Festival : qui est Cobrah, la sulfureuse chanteuse pop au look SM ?
Dans sa combinaison de latex, la chanteuse suédoise Cobrah déploie une pop féroce dont raffole un public de plus en plus vaste. Numéro est allé à sa rencontre, avant qu’elle ne s’apprête à se produire en concert au Trianon, à Paris, ce dimanche 10 novembre 2024, dans le cadre du Pitchfork Music Festival.
propos recueillis par Camille Bois-Martin.
Elle se produisait, il y a quelques années, dans tous les sex clubs de Stockholm. Combinaison en latex, esthétique futuriste, rythmes entraînants et voix envoûtante… La jeune chanteuse suédoise Cobrah, 28 ans, a depuis vu ses chansons playlistées dans des campagnes pour Jean Paul Gaultier et Mugler, lors de défilés, ou encore dans la bande-annonce du dernier film de Yorgos Lanthimos, Kinds of Kindness (sorti le 26 juin au cinéma).
L’interprète de tubes tels que Brand New Bitch (2022) ou Good Puss (2021), adoubée par Charli xcx, séduit chaque mois une foule de fans de plus en plus nombreux. En témoigne son concert à guichets complets à la Gaîté Lyrique de Paris en février dernier, où une foule de robes et de pantalons en cuir, latex et chaînes hurlait les paroles des chansons de son nouvel EP, Succubus, dévoilé à l’automne 2023.
Une performance parisienne auréolée de succès, que Cobrah s’apprête à reproduire ce week-end dans la salle du Trianon (Paris) à l’occasion du Pitchfork Music Festival 2024. Numéro est allé à la rencontre de cette créature pop aussi étrange qu’ensorcelante…
L’interview de Cobrah, en concert au Pitchfork Music Festival 2024
Numéro : En début d’année, vous avez donné votre premier concert à Paris, à la Gaîté Lyrique, seule sur scène devant une foule exaltée. Comment c’était ?
Cobrah : C’était fou. Tout le monde était heureux et excité d’être là, et ça m’a vraiment remplie de joie. À travers mes concerts, j’essaie vraiment de transmettre une énergie à la fois cool et féroce. Je prends vraiment ces performances très au sérieux, mais je veux aussi créer un moment joyeux, agréable et peut-être un peu absurde ou extravagant.
Vous souvenez-vous de votre tout premier concert ?
En fait, j’ai commencé à me produire en concert avant même de sortir mes morceaux ! Je ne voulais pas passer par les voies traditionnelles de l’industrie, c’est-à-dire sortir un single, faire un concert, avoir un agent, etc. Je souhaitais faire parler de moi d’abord, créer le buzz. Que les gens se demandent “Mais qui est cette Cobrah ?” Ma toute première performance était dans un sex club à Stockholm, qu’une amie m’avait recommandé. Partout autour de la scène, il y avait une cage, une grand croix, une balançoire sexuelle… J’avais 20 ans à peine et ce show a eu un vrai impact sur ma musique. J’avais acheté une combinaison en latex pour l’occasion, et je me souviens m’être promenée dans la foule et avoir senti mes bras se frotter à ceux des personnes présentes, elles aussi habillées en latex. Ça produisait une sorte de grincement qui m’est resté en tête et que j’utilise dans énormément de mes chansons, même encore aujourd’hui.
En parlant de latex : avec cette matière, vous vous êtes façonné un style et une esthétique uniques, très sexy et sulfureux.
J’ai beaucoup expérimenté les premières années. Et puis, un jour, je suis allée chez une photographe pour un shooting et elle avait toute une chambre remplie de vêtements en latex qu’elle fabriquait elle-même. Elle m’a proposé d’essayer un ensemble et je me suis retrouvée nue chez elle au bout de dix minutes, alors qu’elle me mettait du lubrifiant pour enfiler la combinaison. Une fois habillée, j’ai été envahie par un sentiment de confiance en moi incroyable : j’avais enfin trouvé mon style.
Quel style aviez-vous avant cela ?
Depuis que j’ai 12 ans, je suis fan des looks gothiques et punk. Je me souviens écouter en boucle la chanteuse allemande Nina Hagen et acheter en cachette des grosses bottes à plateformes dans des boutiques spécialisées, avant de les cacher dans mon sac à dos pour les enfiler à l’arrêt de bus le matin, en cachette, parce que mes parents les détestaient.
Vous venez de clôturer votre tournée après la sortie de votre dernier EP Succubus en octobre 2023. Pourquoi ce titre ?
Selon la légende, le succube attire les hommes dans les bois pour coucher avec eux puis les dévorer… J’étais très inspirée par ce démon féminin effrayant et à la fois très cool qui, il y a longtemps, avait une image terriblement laide. Cette figure s’est transformée avec la pop culture en un monstre puissant et séduisant, grâce aux jeux vidéo et aux films (Jennifer’s Body, ndlr).
“J’utilise ma musique contre vous, pour vous engloutir dans mon univers !”
Cobrah.
Que dit cette inspiration à propos de votre musique ?
Je trouve que ça résonne beaucoup avec la façon dont j’imagine ma musique qui n’est pas censée être horrifique. C’est plutôt dans la veine revendicatrice des rappeuses actuelles. Mes morceaux ne sont ni doux ni sexy, ni adorables. J’utilise ma musique contre vous, pour vous engloutir dans mon univers ! C’est un langage pour asseoir ma domination. C’est ce que je fais lorsque je chante des morceaux comme Suck ou Feminine Energy. Il s’agit du sentiment d’avoir du pouvoir sur soi-même et sur son corps et d’en profiter au maximum.
Vous aviez l’habitude d’enregistrer vos chansons seules et par vos propres moyens. Comment s’est déroulé l’enregistrement de votre album, maintenant que vous avez signé chez Warner ?
Le label n’était pas impliqué. Ça a toujours été moi et mon équipe. On a écrit tous les titres du nouvel EP en deux semaines ! Tout s’est fait très rapidement, car je suis incapable de travailler autrement. Si on passe trop de temps sur une chanson, je finis par la détester. Donc, généralement, j’arrive au studio avec un air ou une idée précise en tête et ils parviennent à saisir exactement ce que je veux. On travaille ensemble depuis sept ans, donc on sait se comprendre et être efficace. On réfléchit une demi-heure voire une heure sur un son, puis je prends le micro et je chante un peu n’importe quoi, juste pour voir comment poser ma voix. Et j’écris les vraies paroles en suivant. Mais parfois, on finit même par garder celles que j’ai totalement improvisées : c’est le cas de Suck et de Feminine Energy, qui font partie de mes tubes les plus écoutés. Parce qu’ils sont stupides et sérieux à la fois ! Je pense que si une chanson est écrite trop sérieusement, on perd le côté fun et authentique de la création.
Cobrah, un personnage entre pop, électro… et latex
Les visuels de votre EP Succubus sont très forts, tant par leur nudité que pour leur stylisme. Quelle image de Cobrah souhaitiez-vous créer ?
Je n’avais pas prévu d’être aussi nue. (Rires) Ça s’est fait au fur et à mesure du shooting. Mais, quand je regarde les photos, je ne me sens pas mise à nue, ni sexy. J’ai plutôt l’impression de montrer la nature d’une femme – un succube au naturel. Chaque clip encapsule un monde à lui seul, surtout celui de Suck, qui est un de mes préférés. Pas parce que j’y suis entièrement nue, mais parce qu’il incarne tout ce que l’album représente : quelque chose de terrifiant et séduisant à la fois. Je m’expose totalement mais je reste toujours en contrôle. Si tout est juste “cool” ou juste “dégoûtant”, c’est ennuyeux. Mais si on mélange tout ensemble, là ça devient intéressant !
Mais qui est Cobrah, au juste ?
Cobrah est née dans le donjon du latex. Cobrah est une créature d’un autre monde…
Faites-vous une différence entre votre personnage, Cobrah, et vous-même ?
Absolument pas. À travers Cobrah, je peux me permettre des choses que j’adorerais faire mais ne pourrait pas pour des raisons de bienséance. Les deux sont complémentaires. C’est la même personne. De toute façon, je pense que les gens remarquent si, en tant qu’artiste, vous ne vous retrouvez pas dans votre personnage de scène. Il faut que ce soit sincère et réel pour que ceux qui vous écoutent partagent votre univers.
“Cobrah est née dans le donjon du latex. Cobrah est une créature d’un autre monde…”
Cobrah
Avant de devenir Cobrah, vous étiez professeure…
Oui, je donnais des cours de musique à des élèves de 6 à 12 ans. Je suis devenue professeure parce qu’il fallait bien payer les factures ! Je ne pouvais pas encore vivre de ma musique. C’était une période assez dure car je travaillais toute la semaine et je passais mes soirées à chanter dans des sex clubs et mes week-ends en studio. J’ai tout arrêté après avoir terminé l’écriture de mon EP Cobrah. J’ai senti que j’entamais un nouveau chapitre de ma vie.
Et c’est à cette période que vous avez emménagé à Berlin pour essayer de trouver un producteur…
Oui, j’y ai fait un stage avec un producteur mais ça ne s’est pas très bien passé car il ne comprenait pas vraiment la culture alternative dans laquelle j’évoluais. Je me suis sentie vraiment seule et perdue à Berlin. J’ai voyagé à droite à gauche mais, à chaque fois, je finissais par rentrer chez moi, en Suède. C’est là où je me sens la plus créative et ouverte d’esprit, entourée de mes amis et de ma famille, à travailler avec des personnes qui me connaissent et, surtout, qui me comprennent.
Vous venez de traverser toute l’Europe puis les États-Unis pour votre tournée en 2024. Comment appréhendez-vous la suite ?
Je suis hyper heureuse et excitée parce que le plus dur est derrière moi. J’ai enregistré l’EP, maintenant je n’ai plus qu’à en profiter avec tous ceux qui l’ont apprécié, et à les faire vraiment entrer dans mon monde ! Et puis, c’est la première fois que je rencontre mes fans. Lors de mon concert à Paris, j’étais terrifiée à l’idée que personne ne connaisse les paroles. Quand la foule s’est mise à hurler mes chansons, je me suis dit : “C’est fou ! Ça y est, c’est parti !”
Succubus (2023) de Cobrah, disponible. En concert dans le cadre du Pitchfork Music Festival le dimanche 10 novembre 2024 à 18h30 au Trianon, 80 Blvd Marguerite de Rochechouart, Paris 18e. Pitchfork Music Festival, du 4 au 10 novembre 2024, Paris.