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Asia Now : que retenir de la foire à la Monnaie de Paris ?
Du Grand Palais au Marais, la capitale vibre cette semaine au rythme d’inaugurations d’expositions et de foires d’art contemporain. Et la rive gauche n’en est pas exempte : à la Monnaie de Paris, Asia Now revient du 22 au 26 octobre 2025 pour sa 11e édition. Visite guidée.
Par Camille Bois-Martin.
Publié le 24 octobre 2025. Modifié le 27 octobre 2025.

Asia Now réinvestit la Monnaie de Paris pour sa 11e édition
Sous le ciel gris d’une matinée brumeuse, Asia Now ouvre péniblement ses portes à la Monnaie de Paris ce mardi 21 octobre. Les tasses de café dans les mains des exposants de la foire répandent une odeur enivrante, tandis que chacun s’active à l’installation de son stand. À 10h30, on croise un artiste en train de finaliser son œuvre sur les pavés de la cour de l’Or, tandis que des galeristes transportent encore des tableaux vers leur espace d’exposition…
Alors que la capitale française vibre toute la semaine au rythme de l’art, sous l’impulsion donnée notamment par Art Basel Paris au Grand Palais, la foire revient dans l’institution du quai de Conti pour présenter sa 11e édition. Ici, comme chaque année depuis dix ans, on profite d’un parcours moins dense que sous les célèbres verrières de l’avenue des Champs-Élysées, mais exclusivement centré sur la scène artistique asiatique, représentée cette année par 70 galeries internationales – soit une sélection plus réduite qu’en 2024.
Un parcours riche en installations et en médiums
Dès le hall d’entrée, le ton est donné. Sur le sol, un tas de morceaux de terre brute et cuite dissimule des fragments métalliques et des bouts de céramiques. Une sorte de fouille archéologique imaginaire du troc et de la valeur, imaginé par Marion Flament. Car nous nous trouvons en effet au sein d’une foire d’art contemporain, où la mise en avant d’artistes participe à l’accroissement de leur cote dans le marché…
En face se déploient les larges escaliers de la Monnaie de Paris, recouverts d’un tapis en velours rouge, en haut desquels débute le parcours d’Asia Now. D’un côté et de l’autre des marches, deux larges écrans vidéo de Sarah Brahim font apparaître des personnes en suspension, comme en lévitation. Curatée par Arnaud Morand, cette installation de la vidéaste et performeuse américano-saoudienne décompose un mouvement de danse classique lent et répétitif, le plié sauté, en une multitude d’images à échelle humaine, qui dilatent la perception et le passage du temps…


Sequoia Scavullo, lauréate du prix Matsutani
Avant de pénétrer au sein des salons d’Honneur, un petit détour sur la droite s’impose pour découvrir les peintures oniriques de Sequoia Scavullo, exposée par la galerie Sans titre. Ces huiles sur toiles colorées à la lisière de l’abstraction – la galerie en présente également une sur son stand à Art Basel Paris – ont valu à la jeune plasticienne de remporter le prix Matsutani, destiné à un artiste basé en France, et dialoguent avec une œuvre du célèbre artiste japonais.
Puis, directions les salons sur Seine et sur Cour. On y observe un ensemble d’œuvres éclectiques, croisant des médiums aussi divers que la broderie, la peinture figurative, la sculpture… Sur notre passage, on s’arrête devant les impressions sur papier coréen de Jungwon Jay Hur, exposées par la galerie Third Born (stand 3F).
Semblables à des petites bulles de bande dessinée éparpillées sur la toile, les motifs de l’artiste sud-coréenne s’inspirent de paysages et d’évènements qui peuplent sa vie personnelle. Un monticule rocheux, qu’elle observe depuis l’appartement de son partenaire en Écosse, côtoie ainsi des figures féminines coiffées d’une longue tresse (que l’artiste arbore elle-même), s’adonnant à diverses activités spirituelles et fantasmées.

Les peintures photographiques de Jae Ho Jung
En quittant les espaces de la section “The Third Space” de la foire (relative aux pratiques artistiques expérimentales), les couloirs étroits nous mènent jusqu’aux peintures de Jae Ho Jung, bien plus larges et imposantes. Ici aussi, il faut s’approcher pour comprendre la technique employée : au premier coup d’œil, on croirait voir des photographies, mais c’est en réalité à l’aide de son pinceau que l’artiste dépeint ces bâtiments modernes presque abandonnés. Dont les fenêtres entrouvertes laissent apparaître, dans l’une, une batterie de vaisselle en porcelaine, dans une autre, une plante en pot…
“Son travail documente les bâtiments en Corée du Sud voués à être détruits. Il collecte les traces des temps modernes”, nous glisse la galeriste de Choi & Choi (stand S16). Ici, il s’agit d’un immeuble historique en plein cœur de Séoul, utilisé tantôt en hôtel, tantôt en lieu d’accueil pour les réfugiés de guerre.” Armé de son appareil photo, Jae Ho Jung s’y rend régulièrement mois après mois. Il capture chaque détail pour mieux les retranscrire sur la toile, la peinture lui permettant, selon lui, de transmettre davantage de sentiments que le médium photographique. L’émotion semble capter l’attention : nombreux sont les visiteurs qui s’arrêtent sur le stand, avant de poursuivre leur chemin en reprenant les escaliers de sortie des salons sur Seine…


De la Corée du Sud au Pakistan
Arrivés en bas, on découvre sur la gauche un long couloir rythmé d’œuvres colorées. Toutes s’articulent autour d’un thème commun, la féminité, abordé sous le prisme de la culture de chaque artiste. À l’instar de Fatima Kaleen Khan, originaire du Pakistan, dont le travail interroge les normes sociales et intimes qui ont régi son enfance. À Asia Now, elle présente chez Method (stand 3H) le tableau 8:07 AM : un horaire précis, qui fait écho à celui de son réveil pour se préparer pour l’école chaque matin.
Une petite fille peine à se réveiller, dépeinte au-dessus d’une figure diabolique évoquant son père. Tandis qu’une ribambelle de visages enfantins se bouchent les oreilles face à une mère au visage déformé par la colère, leur ordonnant de mieux se coiffer ou d’arranger leur uniforme… Autour de ces motifs peints à l’huile, l’artiste brode des mèches de ses propres cheveux et compose ainsi un diptyque saisissant.

Des céramiques anthropomorphes d’Ha My Nguyen aux peintures difformes de Jeehye Song
Après avoir traversé un couloir, on se retrouve dans la cour d’Honneur de l’institution, habitée pour les prochains jours d’une grande tente blanche et d’un buffet-bar. Dès l’entrée de ce pavillon, le regard se pose sur les sculptures en céramique d’Ha My Nguyen présentées par la galerie Bao (stand H12).
Sur des murs tapissés de velours noir, ses créations blanches détonnent et intriguent. Leur forme anthropomorphe et hybride donne l’impression d’observer des morceaux de corps humain, desquels se déversent des sortes de filaments… “Je travaille sur ce projet depuis ma grossesse,” nous explique alors l’artiste. “Je m’inspire du corps et de la nature. Plus précisément, de mes souvenirs de paysages montagneux du Vietnam où j’ai grandi. Mes créations contiennent toujours quelque chose en leur sein. Des feuilles, des pétales, qui seraient sur le point de sortir de ces bouts de corps.”
Ces œuvres troublantes et difformes font involontairement écho aux peintures de Jeehye Song, exposées tout près par la galerie IAH (H06). Née en 1991 en Corée du Sud, elle vit et travaille aujourd’hui à Düsseldorf, où elle compose d’étranges peintures à l’acrylique ou à l’huile sur toile. Ses motifs déploient des corps surréalistes, transformant des jambes et des bras en de longs spaghetti désarticulés, et dessinant des visages comme dissous, fondus par la chaleur. Ces corps humains fluides incarnent ainsi l’état de fatigue moderne, une impression de léthargie qui saisit la société moderne face à l’appel des réseaux sociaux et le paradoxe d’être toujours plus efficace et proactif…

De la cour d’Honneur à la cour Mansart
Des problématiques et des images ultra-contemporaines, qui détonnent en effet avec l’espace de la galerie Vazieux (stand H09). Signés par Moonassi, de grands aplats d’encre et d’acrylique sur papier hanji dévoilent des scènes mystiques, comme éclairées à la bougie, dont se détachent des figures stylisées et uniformes. Formé à la peinture traditionnelle asiatique à l’Université Hongik à Séoul, l’artiste coréen convoque un univers saisissant et méditatif, à la croisée du clair-obscur du 17e siècle et de la peinture réaliste actuelle.
Porté par la poésie de cette présentation, on se dirige vers le dernier espace de la foire Asia Now, situé dans la cour Mansart dans une autre tente blanche, plus petite. Éclairés par un grand ciel bleu, les stands des galeristes affichent ici des œuvres plus colorées. On s’arrête sur les tableaux de Shen Wei (Zeto Art, stand M12), inspirés par les propres photographies de l’artiste sino-américain où il s’autoreprésente dans des décors et des activités intimes.
Plus loin, juste avant la sortie, les tapisseries de Rambir Kaleka vibrent sur le stand de la galerie indienne Milaaya. Emplies de reliefs, ses œuvres englobent un univers bariolé au sein duquel papillons et insectes côtoient des architectures de Mumbai dans une explosion de riches ornementations. Des images fantasmagoriques qui terminent le parcours avec féerie, avant de poursuivre ses visites dans la capitale.
Asia Now, du 22 au 26 octobre à la Monnaie de Paris, 11 Quai de Conti, Paris 6e.