24 mai 2025

Cannes 2025 : Oliver Laxe remporte le Prix du Jury pour le génial Sirat

Avec Sirat, son exceptionnel road-movie dans le désert marocain, l’Espagnol Oliver Laxe a secoué la compétition du Festival de Cannes 2025, un peu sage jusque-là. Notre critique depuis la Croisette du long-métrage qui a reçu le Prix du jury.

  • par Olivier Joyard.

  • Publié le 24 mai 2025. Modifié le 26 mai 2025.

    Sirat, le nouveau film très attendu d’Oliver Laxe

    On en sort presque aussi lessivé que les personnages, désorienté, pas loin de la transe, certain que le noir d’une salle de cinéma est fait pour ça. L’espagnol Oliver Laxe était attendu avec son nouveau film Sirat après avoir remporté deux prix cannois pour ses premières fictions, Mimosas, la voie de l’Atlas (Grand Prix de la Semaine de la Critique en 2016) et Viendra le feu (Prix du Jury à Un Certain regard en 2019).

    Cette fois, il remporte le Prix du jury dans la Compétition. Une récompense méritée au vu de l’ampleur de son geste cinématographique qui impressionne et rend les autres propositions, par contraste, bien convenues.

    Sirat débute en expliquant la signification de ce mot dans la tradition musulmane, l’idée que les humains traversent un pont au-dessus de l’Enfer lors du Jugement Dernier. Entre extase et tragédie, tel sera le territoire du film, qui s’ouvre avec une majestueuse “teuf” dans le désert marocain.

    L’Espagnol Oliver Laxe secoue le Festival de Cannes

    Deux intrus s’y font remarquer. Un père nommé Luis (Sergi López) et son jeune fils Esteban (Bruno Núñez), tous deux à la recherche de Mar, fille du premier et sœur du second, disparue depuis quelques mois. Alors que la free party est interrompue par l’armée, ils suivent un petit groupe de marginaux qui s’enfuit en camion en direction d’une autre soirée illégale, à plusieurs centaines de kilomètres de là, au Sud de l’Atlas, près de la Mauritanie. Mar pourrait s’y trouver.

    Le road-movie s’enclenche. Les clichés du genre sont respectés mais aussi malaxés. Le film conserve et amplifie la pulsation techno trance entendue dans les premières minutes. Avant de se transformer en exploration mystique, intense, dangereuse, à mesure que le petit groupe avance en terrain hostile.

    Les images radicales et pleines de références de Sirat

    Sirat peut passer plusieurs minutes à filmer un véhicule qui tente de traverser une rivière, enserrant les personnages dans un paysage stupéfiant de beauté qui pourrait devenir leur tombeau. La séquence d’après, l’apaisement arrive. Et tout recommence.

    La radicalité d’Oliver Laxe s’invente sous nos yeux, pleine de références qui chez un autre ennuieraient. On pense aux westerns de Raoul Walsh et John Ford. Mais aussi aux expériences folles de William Friedkin dans Le Convoi de la peur (1977), à Gus Van Sant et son très beau Gerry (2022), un autre trip désertique. Sans oublier le vétéran furieux George Miller, l’auteur de la saga Mad Max, saturée elle aussi de camions et de poussière, ou encore Michelangelo Antonioni.

    Cela donne un film moins tourné vers le passé que vers l’infini, en dehors des limites connues. “Ça fait longtemps que c’est la fin du monde”, prévient un personnage tandis que son camion roule près d’une falaise. Comme pour signifier qu’après le trip, il y aura forcément la descente.

    Une danse collée-serrée avec la mort

    Le tour de force du film est de montrer des personnages, même isolés, qui reçoivent les échos du monde, ses guerres et ses compromissions, son refus de la beauté, pourtant présente partout, ses désirs de liberté et d’utopie aussi.

    Dans une deuxième partie qui bascule vers l’abîme, Sirat propose une danse collée-serrée avec la mort et la fin de tout. Ce qui, étrangement, ne nous rebute en rien. Ce film puissant porte en lui une énergie vitale considérable. S’il nous laisse seul, pantois, secoués par l’absurdité du destin, c’est aussi par souci d’honnêteté. Regarder le chaos en face permet de continuer à prendre la route, coûte que coûte.

    Sirat (2025) d’Oliver Laxe, au cinéma le 3 septembres 2025. En compétition officielle au Festival de Cannes 2025.