9 jan 2025

Rencontre avec Halina Reijn, réalisatrice du film choc Babygirl avec Nicole Kidman

Depuis sa projection à la Mostra de Venise en août dernier, le film Babygirl alimente de nombreux fantasmes et figure parmi les longs-métrages les plus attendus de l’année 2025. Avec Nicole Kidman et Harris Dickinson dans le rôle des personnages principaux, le scénario nous plonge dans la redécouverte sexuelle d’une femme de plus de quarante ans, entre liaison adultère et désirs tabous… À l’occasion de sa sortie au cinéma ce mercredi 15 janvier 2025, sa réalisatrice, la Néerlandaise Halina Reijn se confie à Numéro sur le casting du film, sur l’orgasme féminin et sur ce qu’elle espère transmettre avec sa caméra.

Propos recueillis par Camille Bois-Martin.

Nicole Kidman et Halina Reijn à la projection de "Babygirl" à la 82e Mostra de Venise en août 2024. © Photo by Franco Origlia/Getty Images.
Nicole Kidman et Halina Reijn à la projection de Babygirl à la 82e Mostra de Venise en août 2024. © Photo by Franco Origlia/Getty Images.

L’interview d’Halina Reijn, réalisatrice du film Babygirl

Numéro : Pourquoi avez-vous choisi Nicole Kidman pour interpréter ce rôle à la fois puissant et vulnérable dans Babygirl ?

Halina Reijn : Nicole Kidman est, à mes yeux, la meilleure actrice de ces dernières décennies. Elle peut jouer tout et n’importe quoi. Elle a un côté très vulnérable, mais elle peut également s’avérer puissante et impressionnante. Mais en réalité, c’est elle qui m’a choisie. Après avoir vu mon premier film [Instinct : Liaison interdite, 2019] , elle m’a écrit car elle souhaitait travailler avec une réalisatrice femme. Donc, quand je lui ai dit que je commençais à rédiger le script de Babygirl, elle s’est montrée très curieuse, au point d’en lire l’un des tous premiers brouillons. Immédiatement, elle m’a dit qu’elle voulait absolument faire partie du projet. C’était comme un rêve éveillé pour moi, et j’ai évidemment accepté !

Vous avez vous-même une longue carrière d’actrice. Auriez-vous été capable de jouer le rôle de Nicole Kidman (la PDG d’une grande entreprise spécialisée en e-commerce qui a une liaison avec son stagiaire) dans votre film ?

Je pense que oui. Lorsque j’écris mes scénarios, je joue chaque scène et chaque personnage seule dans mon appartement. J’ai besoin de les interpréter moi-même pour trouver le rythme de mon futur film, voir ce qui est possible de changer, mais aussi pour m’identifier à chaque personnage. Donc, en un sens, j’ai déjà un peu joué ce rôle !

Pourquoi avoir abordé les thèmes du plaisir et du pouvoir féminins à travers un thriller ?

Le film commence comme un thriller mais, à la fin, je pense qu’il s’en éloigne. Je le décrirais plutôt comme un drame érotique, même si j’espère qu’il possède aussi une dimension comique. J’ai vraiment essayé d’ajouter beaucoup d’humour dans mon récit car le comportement humain me fascine, en particulier lorsqu’il touche à l’absurde.

Nicole Kidman dans le film Babygirl d'Halina Reijn (2025). © Constantin Film / Niko Tavernise.
Nicole Kidman dans le film Babygirl d’Halina Reijn (2025). © Constantin Film / Niko Tavernise.

Babygirl, ou comment représenter l’orgasme et le fantasme féminins au cinéma en 2025

Ce sont des sujets qui vous tiennent à cœur ?

J’ai voulu faire ce film car je suis moi-même très confuse à propos de mes propres désirs, voire honteuse de ma sexualité. Ce à quoi il faut ajouter une relation étrange avec mon corps. J’ai remarqué que beaucoup de femmes dans mon entourage luttaient avec ces mêmes problématiques, et que les récits qui nous sont racontés à ce sujet, en particulier dans les studios hollywoodiens, ne font aucun sens, en particulier lorsqu’il s’agit d’illustrer un orgasme féminin. Mon projet était finalement de faire un film authentique, auquel les femmes peuvent s’identifier.

Justement, avec les scènes de sexe de Babygirl, que souhaitiez-vous montrer qui ne l’était pas jusqu’alors au cinéma ?

Si vous vous penchez sur mon film, vous remarquerez que l’acte sexuel au sens de pénétration n’est jamais réellement montré, ou très peu. Je filme surtout l’histoire préliminaire. Par exemple, la scène durant laquelle Samuel [interprété par Harris Dickinson] commande un verre de lait pour Romy [jouée par Nicole Kidman], et qu’elle le boit d’une traite en le fixant, est à mes yeux incroyablement érotique, malgré le fait qu’ils soient chacun à un bout du bar. Je voulais représenter l’idée que la sexualité féminine se construit principalement dans notre esprit : c’est une histoire qui nourrit notre désir. Le désir féminin a quelque chose de plus spirituel… Surtout, notre orgasme n’advient pas directement. Il faut un peu plus de temps à une femme pour jouir et, d’ailleurs, la plupart ne savent toujours pas comment y parvenir.

Et c’est encore aujourd’hui un tabou...

Absolument. Et je voulais justement aborder ce phénomène, qui concerne énormément de femmes. C’est excitant de réaliser un film dans lequel on peut observer une femme mariée depuis vingt ans, mais qui pourtant n’a jamais eu d’orgasme avec son époux, et est obligée de se les procurer elle-même. Beaucoup simulent simplement parce qu’elles sont lassées ou parce qu’elles ne veulent pas ébranler l’égo de leur partenaire. On a tendance à se contenter du désir que l’on suscite, au point d’en oublier le nôtre, et ce qui, réellement, nous excite.

Nicole Kidman et Harris Dickinson dans le film Babygirl d'Halina Reijn (2025). © Constantin Film / Niko Tavernise.
Nicole Kidman et Harris Dickinson dans le film Babygirl d’Halina Reijn (2025). © Constantin Film / Niko Tavernise.

On a tendance à se contenter du désir que l’on suscite, au point d’en oublier le nôtre.”

Halina Reijn.

Une sexualité libérée que Romy redécouvre dans Babygirl

Oui, sa frustration finit par la ronger. Ce qui n’était qu’une banalité de sa vie sexuelle devient un problème : et c’est là tout mon propos. Beaucoup de femmes ne sont pas à l’aise avec leur sexualité, avec la bête qui sommeille en elles, qui peut s’exprimer au travers de la rage, du pouvoir, de l’argent… Ce film est finalement une lettre à moi-même, de l’empowerment, un élan de libération et de joie.

Pensez-vous que le pouvoir et la réussite professionnelle des femmes soient entravés par une forme de frustration sexuelle ?

Romy est très puissante dans mon film, et totalement soumise lorsqu’elle se retrouve seule à seule avec Samuel. Mais c’est une fable, un conte de fées, un déclencheur de conversation. Dans la vie réelle, peu importe son métier : ce qui est important, c’est de cheminer vers plus d’amour et d’acception de soi, pour s’autoriser à s’écouter, et à entendre nos désirs. Il est temps que nous osions agir plus comme des êtres humains que comme des anges !

Nicole Kidman et Harris Dickinson dans le film Babygirl d'Halina Reijn (2025). © A24.
Nicole Kidman et Harris Dickinson dans le film Babygirl d’Halina Reijn (2025). © A24.

Le fantasme de Romy n’est pas réellement défini dans votre film. Elle veut être une “babygirl”, mais en quoi cela consiste ?

Son fantasme représente un peu cette petite boîte remplie de fantasmes que nous transportons tous avec nous, année après année. Qu’il passe par un déguisement ou une attitude, un fantasme peut être parfois déroutant – surtout ici, dans Babygirl, avec Romy qui est une femme puissante, qui rêve d’être protégée et soumise par un homme fort. Des films comme Cinquante Nuances de Grey ou 9 Semaines ½ traitent ce sujet, mais je voulais aborder la confusion et l’antinomie qui peuvent entourer un tel fantasme.

Pourquoi avoir choisi le titre Babygirl pour votre film ?

Je trouvais ce titre amusant et il résumait bien le propos du film. Autant pour les personnages féminins que masculins – Samuel demande à Romy de le serrer dans ses bras. Ce côté enfantin dessine une forme de vulnérabilité, malgré l’âge, les accomplissements et les parcours qui ont jalonné la vie de chaque personnage.

Antonio Banderas et Nicole Kidman dans le film Babygirl d'Halina Reijn (2025). © Constantin Film / Niko Tavernise.
Antonio Banderas et Nicole Kidman dans le film Babygirl d’Halina Reijn (2025). © Constantin Film / Niko Tavernise.

Antonio Banderas et Harris Dickinson, entre vulnérabilité et puissance

À propos de Samuel : vous avez choisi Harris Dickinson pour l’interpréter, face à Antonio Banderas dans le rôle du mari. Ces acteurs incarnent chacun un type de masculinité bien différent. Qu’apportent-ils au récit ?

Harris a énormément de talent, et il apporte une masculinité très moderne, teintée de vulnérabilité. Je voulais créer un personnage qui serait capable de dominer Romy, mais qui se cherche également, et possède le sens de l’humour. Sa personnalité plus ou moins déconstruite vient aussi de sa génération : c’est naturel pour lui de lui ordonner, en une seule phrase, une action de soumission, tout en lui demandant son consentement. Et Antonio incarne cette légende masculine, imposante et forte. Le cœur du sujet ne se trouve pas dans l’échec de son mariage avec Romy. Leur relation fonctionne, ils sont complices. Mais c’est elle qui traverse une crise, qui cherche à s’accepter, à s’aimer plus…

Quelles étaient vos influences cinématographiques et visuelles ?

Les films qui m’ont le plus influencée sont les thrillers érotiques des années 90. Je joue avec les attentes des spectateurs et la fin punitive que l’on imagine généralement dans ce genre de longs-métrages. Je voulais créer ma propre version et rendre les personnages humains, sans séparer les mauvais des bons. Visuellement, j’ai été très influencée par John Cassavetes et par ses films Woman under the Influence [1974] et Opening Night [1977], qui se concentrent vraiment sur le danger, la tension entre les personnages que je trouve très excitante à regarder. Elle permet de tenir l’audience accrochée à son siège tout du long.

Babygirl d’Halina Reijn, avec Nicole Kidman, Harris Dickinson et Antonio Banderas, au cinéma le 15 janvier 2025.