16 déc 2024

Rencontre avec Kevin Germanier : “Le designer star, ça ne marche plus en 2024”

Depuis 2018, Kevin Germanier illumine les Fashion Weeks de Paris avec des créations flamboyantes et fascinantes, fabriquées à partir de deadstocks de grandes marques de joaillerie et de luxe. Sa collection Prélude, présentée en septembre 2024 et conçue en partenariat avec LVMH à partir de vêtements upcyclés issus d’archives des maisons du groupe, révèle une nouvelle facette de son talent. Un projet innovant, que le créateur suisse nous raconte sans tabou.

Propos recueillis par Camille Bois-Martin.

Portrait du créateur Kevin Germanier.
Kevin Germanier.

Kevin Germanier et LVMH lancent une collection upcyclée

Numéro : Cette collaboration avec LVMH était-elle votre idée ?

Kevin Germanier : C’est une idée développée avec Alexandre [ndlr : Capelli, Experienced Environment Specialist chez LVMH] que nous avons développé pendant longtemps avant de la proposer à LVMH, avec le soutien d’Antoine Arnault. Mais, notre projet était tellement frais qu’il a été accepté sans grande concession…

Combien de temps s’est écoulé entre la première esquisse et la présentation de la collection Prélude en septembre dernier ?

Près de quatre ans ! C’est long, mais toute bonne chose prend du temps. Surtout, c’est la première fois qu’un projet LVMH ne subit aucune contrainte de temps. Nous avons établis nous-mêmes nos règles, et c’était très appréciable.

Le groupe LVMH vous a-t-il imposé des directives ou restrictions ?

Non, et si je n’avais pas disposé de tout ce dont j’avais besoin, je n’aurais pas accepté le projet. Et cette façon de fonctionner devrait être la norme. Chez Germanier, on se lance dans des projets quand nous sommes sûrs qu’ils vont fonctionner.

Où avez-vous trouvé les matières pour réaliser cette collection upcyclée ?

Nous avons démarché de nombreuses maisons du groupe LVMH pour les convaincre de nous ouvrir les portes de leur stocks. Il a suffit que deux maisons acceptent de participer, pour que sept autres envisagent par la suite de nous soutenir… Puis les petites mains des ateliers Germanier ont démontré leur expertise et leur dans le domaine de l’upcycling.

Pouvez-vous nous partager un souvenir qui vous a marqué durant ce projet ?

Je dirait que c’est découvrir chaque vêtement, et constater la qualité et la beauté des tissus et des techniques de fabrication. Car d’habitude, chez Germanier, on est davantage habitués à décortiquer des bijoux, travailler avec des pneus de vélos… Là, on a vraiment fait face à la qualité de pièces faites avec de la double Georgette en soie par exemple !

Cette collection Prélude est donc fabriquée à partir de vêtements de grandes maisons de luxe et non pas de tissus ?

Oui! Nous n’avons pas directement utilisé des tissus mais des vêtements que nous avons entièrement décortiqués. Un processus qui nous a permis de déconstruire des pièces de luxe et de d’admirer chaque détail et technique de couture utilisés. Après vous parlez à un geek du vêtement !

Avec Prélude, zoom sur les techniques fascinantes de Germanier

Y-a-t-il une silhouette qui vous a demandé plus d’implication que les autres ?

Sans aucun doute un top en « fourrure » bleu et jaune. Je l’ai fait de mes propres mains et le process a été très, très… très long. Mais c’est aussi ce qui définit le luxe. Je suis parti d’un tee-shirt en jersey, une matière plutôt casual, que j’ai transformé en un vêtement coloré et ultra pointu. C’est avec ce genre de pièces que je me suis senti assez confiant pour solliciter Antoine Arnault et lui dire : “Voilà, c’est ça ma version de l’upcyling de luxe !

C’est d’ailleurs l’une des pièces qui se rapproche peut-être le plus de l’univers Germanier. Était-ce un challenge pour vous de concevoir cette collection, qui plus portable que vos collections Germanier ?

Le but de ce projet était effectivement de montrer que je sais faire du vêtement “portable au quotidien ». La collection Prélude était l’occasion de créer un vestiaire du quotidien, et c’était d’ailleurs une des attentes des équipes LVMH.

Le communiqué de presse évoque de nouvelles techniques inventées pour la collection – découpage en bande, détricotage pour retricoter des pièces…

C’est mon côté pragmatique et suisse qui ressort [Rires]. Parmi les vêtements mis à disposition, il y avait beaucoup de logos et d’imprimés distinctifs à chaque marque. Donc je ne pouvais pas utiliser ces tissus tels quels. J’ai trouvé des techniques pour les transformer. Comme par exemple, découper des bandelettes de trois millimètres pour les retisser, et produire des bobines de fils.

Quand LVMH encourage la jeune création et l’upcycling

Cette collaboration, mais aussi votre propre marque, évoque immédiatement l’upcycling. Or, vous n’aimez pas définir vos créations avec ce terme. Pourquoi ?

Ce n’est pas le mot en lui-même qui me dérange. Mais son utilisation galvaudée ainsi que l’abus du greenwashing. Pour beaucoup, l’upcycling c’est “faisons de beaux vêtements ; ah oui, et, tant mieux, ils ont été réalisés de façon écologique et responsable”. Si tu engages Kevin Germanier, ou si tu fais appel aux ateliers Germanier, les pièces produites seront forcément surcyclées. Mais ce n’est pas ce qui les définit.

Qu’est ce qui vous plaît particulièrement dans ce process de surcyclage ?

Je pense que c’est le challenge. J’ai la chance de travailler avec des matériaux auxquels je n’aurais jamais pensé pour créer des vêtements. J’adore qu’on me dise : “Tu ne vas pas y arriver”. Et puis, il ne faut pas oublier que la mode doit surtout rester légère. Je dis toujours qu’il faut prendre une chill pill ! S’il n’y a pas de fun dans le process, moi j’arrête tout. Quand j’accepte un projet, je ne me pose pas la question deux fois : je ne crée jamais si ça me met en danger, ou si ça ne correspond pas à mes valeurs.

Il ne faut pas oublier que la mode doit surtout rester légère. Je dis toujours qu’il faut prendre une chill pill ! S’il n’y a pas de fun dans le process, moi j’arrête tout.”

Kevin Germanier.

Qu’est-ce que cette façon de travailler dit de votre rapport aux vêtements ?

Avant même le vêtement, c’est l’anatomie humaine qui m’intéresse. Quelle partie du corps je décide de montrer, ou de cacher. Beaucoup considèrent la mode comme futile, mais, à ce que je sache, tout le monde doit s’habiller ! Les vêtements s’adaptent au quotidien de chacun, selon si l’on travaille sur un chantier, si l’on est un jeune parent, s’il fait froid… Un vêtement est plus qu’un bout de tissu, et la collection d’un créateur n’est pas juste un défilé pendant la Fashion Week.

Quelle est votre vision de la mode actuelle et future ?

Moins de bullshit et plus de gentillesse.

C’est-à-dire ?

Qu’il faut arrêter de prendre les gens pour des sots et qu’il faut plus de transparence. On ne peut pas faire toujours tout juste, moi le premier. Je ne suis rien sans mes équipes, et c’est nécessaire de leur rendre justice et d’arrêter avec les égos surdimensionnés. Le designer star, ça ne marche plus en 2024. Le vêtement d’abord, le créateur après.