The Blessed Madonna raconte la fête, l’amour et le deuil dans son premier album dance et house
Collaborateur.ice d’Elton John, Dua Lipa ou Kylie Minogue, The Blessed Madonna aura attendu trente ans pour sortir son premier album studio. Disponible le 18 octobre, le disque Godspeed s’impose comme le journal intime dance/house d’une figure bien aimée des noctambules, une grande annonce à destination des clubs fiévreux et des âmes les plus esseulées.
Par Alexis Thibault.
Godspeed, le premier album house/dance de The Blessed Madonna en trente ans de carrière
On ne peut pas vraiment dire que Marea Stamper ait grandi dans une maison comme les autres. C’est en tout cas ce qu’iel affirme, à 46 ans, en se remémorant le petit jardin qu’iel apercevait, par la fenêtre du grenier qui lui servait de nid. Lexington, Kentucky. Pas de chauffage, pas beaucoup d’argent non plus, mais, malgré les mauvais côtés, c’était tout de même bien. Au moins, là-bas, les gosses se sentaient vraiment libres. Désormais, il faut l’appeler The Blessed Madonna. Surtout qu’iel défend aujourd’hui son tout premier album studio, Godspeed, plus de trente ans après ses débuts dans le milieu, lorsqu’iel bazardait des mixtapes d’artistes underground dans les raves party de son quartier.
Ce disque house/dance s’autorise un certain niveau d’intimité. Tout récemment, The Blessed Madonna a malheureusement perdu son père “un véritable musicien itinérant”. Une absence comblée par sa présence sur l’œuvre, histoire qu’elle puisse entendre cette voix familière ailleurs que dans sa propre tête. Dans cet album tardif, elle aperçoit des nuances bleu. Plus précisément celui que peignait Marc Chagall vers 1920.
Son œuvre spontanée voire parfois entièrement improvisée – en témoignent les titres Carry Me Higher ou Back to Love –, reste portée par le morceau Edge Of Saturday Night, en duo avec l’icône pop Kylie Minogue et d’innombrables heures de travail aux côtés du compositeur Paul Epworth, collaborateur du groupe Foster The People, d’Adele, de Florence and The Machine, de Lana Del Rey ou d’Azealia Banks. De la musique électronique efficace et pensée pour les clubs qui nécessitera plusieurs écoutes pour être vraiment apprécié. Bref, comme le bon vin, on l’appréciera complètement d’ici quelques années, avec un peu de recul. Mais peut-être est-il préférable de laisser la parole à l’artiste, pour en savoir davantage…
Numéro : Bah alors ? Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de sortir votre premier album ?
The Blessed Madonna : Je le dis souvent que si les gens prenaient plus de temps pour sortir leur premier disque… on aurait de meilleurs disques. En réalité être à la hauteur de l’occasion et ne surtout pas me ridiculiser, vous-voyez. Ne pas présenter quelque chose de superflu, composé sans le moindre risque, sans cœur, sans espèce d’intimité ou forme de puissance. Quelque chose qui aurait évité la confrontation directe avec le public.
Et alors ? Godspeed est-elle une œuvre expérimentale ?
Je pense que la plupart des expériences sont des échecs, mais cela ne signifie pas qu’elles n’avaient pas besoin d’exister pour autant. Probablement que la plupart de mes expériences artistiques… ont été des échecs. Ou peut-être des étapes vers mon but, finalement. En fait, je crois que je me sens bien quand je ne sais pas vraiment ce que je fais. Quand je me sens un peu dépassé.e par les événements, quand mes orteils ne touchent plus le fond de mes chaussures. Vous savez quoi ? C’est pour cela que j’ai mis autant de temps pour composer cet album : à chaque fois que je me sentais trop à l’aise, je me disais que le disque méritait mieux.
On perçoit à plusieurs reprises, dans cet album, le tic tac d’une horloge. Notamment dans les morceaux Strength, en collaboration avec la chanteuse de R’n’B britannique Joy Crooks ou God Has Left the Room. Était-ce une pointe d’ironie de votre part.
Construire un album c’est aussi prendre conscience du temps et de sa finitude. Pendant sa création, j’ai appris une terrible nouvelle puisque j’ai perdu mon père. Il n’aura pas vécu assez longtemps pour entendre sa propre voix sur le premier titre du disque… Il aurait adoré ça, vous savez. Le connaissant, il aurait probablement fanfaronné dans les bars du coin. Maintenant, j’ai l’impression de devoir courir après le temps. Mais, qu’on entende son tic tac ou pas, l’horloge tourne toujours. Elle tourne à l’envers pour vous et pour moi. Comme pour mon père. Ces bruits ont été intégrés à l’album à la fin de sa création. En me repassant les morceaux un à un, j’ai réalisé que chacun d’entre eux évoquait le temps d’une manière ou d’une autre. Et cela ajoutait aussi une sorte de fil d’Ariane sonore et musical. En jouant l’album en live, j’utilise parfois ces tic tac comme des percussions…
Je pensais que cet album n’évoquait que la beauté des clubs mais, en fait, il raconte aussi la douleur et le deuil, n’est-ce pas ?
Lorsque l’on danse, les lumières finissent toujours par se rallumer. Ces moments, on ne les garde jamais en mémoire. Comme s’ils nous exposaient à une sorte de fragilité. Moi, j’ai toujours recherché quelque chose de plus profond dans la musique. Cet album évoque ce qui est agréable mais aussi le deuil de la fête. Ce qu’il y a de l’autre côté, après la musique.
J’ai lu quelque part que vous cherchiez le parfait équilibre entre la rave et la religion… Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
Oh, vous savez, ce que les autres pensent de moi, ça ne me regarde pas…
C’est une réponse recevable mais ça ne m’aide pas beaucoup.
Moi j’aimerais simplement transmettre une force, une énergie, un souffle, peu importe. J’aime imaginer Dieu comme une figure bienveillante qui vous accepte tel que vous êtes. Je ne crois pas vraiment à une quelconque combinaison de mots magiques. Si Dieu existe, alors il est probablement proche de nous… quand on est au plus mal, quand on souffre énormément. Mais peu importe mes croyances à ce sujet, moi, tout ce que je veux, c’est être une figure bienveillante pour les autres. Après tout, je ne pense pas que Dieu se soucie de savoir si je crois en lui…
Avez-vous utilisé le même processus de composition pour chacun des morceaux de l’album ?
Non, non. L’album, plus que tout, représente mon parcours, comme si je passais de l’école primaire à l’université. J’ai composé certain morceaux il y a dix ou douze ans. J’ai continué à les retravailler sans relâche encore et encore. Certains d’entre eux ont littéralement connu cinquante voire soixante-dix versions. Il fallait bien que j’apprenne à faire un disque, non ? Avec le temps, j’ai parfois même schématisé les tubes des autres artistes que je trouvais parfaits pour comprendre ce qui les rendait si bons, comme As (1976), par exemple, celui de Stevie Wonder.
Godspeed de The Blessed Madonna, disponible le 18 octobre.