3 livres pour ceux qui veulent comprendre 2020
L’année 2020 aura complètement chamboulé les sorties littéraires. Pourtant, son contexte si particulier aura également permis la (re)découverte d’ouvrages divers, dénichés parmi les publications de ces dernières années ou exhumés des étagères des bibliothèques. Focus sur trois livres permettant de comprendre les multiples crises qui traversent le monde d’aujourd’hui : la crise sanitaire, la crise sociale liée au racisme et la crise écologique.
Par Honorine Boudzoumou.
Pandémie de Covid-19, confinement généralisé, hôpitaux débordés, méga-incendies dans les forêts australiennes, fuite de pétrole en Arctique, protestations contre les violences policières et assassinats à caractère racistes… L’année 2020 n’est pas encore terminée que son bilan est déjà chaotique pour tous. Parmi les domaines impactés par ces crises sociales, politiques, sanitaire et écologiques, le monde de la culture est en première ligne et le champ littéraire ne fait pas exception. Si la situation actuelle a certes empêché la sortie de nouveaux ouvrages et la tenue de nombreux événements majeurs du milieu – comme le Salon du Livre de Paris –, elle a aussi incité à redécouvrir des créations littéraires ancrées dans l’actualité. À l’occasion de la rentrée culturelle, Numéro revient sur trois livres qui permettront de comprendre les multiples bouleversements de cette année mouvementée.
1. Comprendre la crise sanitaire : Albert Camus, La Peste (1947)
Premier roman à succès de l’écrivain français Albert Camus, La Peste a vu ses ventes décoller durant la crise sanitaire. En se classant dès le mois de mars dans le top 20 des meilleures ventes de livre numérique en France et à l’étranger cette année, l’ouvrage démontre à quel point un grand classique peut nous éclairer sur une actualité très contemporaine, ce qui fut déjà le cas lors des attentats de 2015 avec Paris est une fête d’Ernest Hemingway et Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, après l’incendie de la célèbre cathédrale parisienne du même nom. Publié en 1947, La Peste raconte l’histoire de Bernard Rieux, médecin vivant à Oran en Algérie dans les années 40, qui découvre au pas de sa porte un rat mort. Alors qu’il enchaîne les visites médicales, le phénomène se répète et l’amène à en faire un constat : une nouvelle épidémie de peste fait son apparition. Rapidement, elle touche ses patients et les premiers morts ne se comptent plus sur les doigts d’une main. Les autorités de la ville se voient alors dans l’obligation de confiner sa population…
Opérant la transition entre l’absurde et la révolte, thèmes centraux dans l’œuvre d’Albert Camus qui lui vaudront le prix Nobel de littérature en 1957, La Peste propose une lecture à plusieurs niveaux. Allégorie du nazisme, le roman nous rappelle l’importance d’être solidaire en temps d’épreuve : on découvre la lutte acharnée d’un groupe de résistants pour sauver la majorité de l’hécatombe causée par la peste. Si face à cela, certains habitants agissent dans leurs intérêts – organisation d’un marché noir, magasins dévalisés en masse, réjouissance du malheur des autres, manipulation des croyances populaires, négligence de la maladie, hôpitaux débordés et nombreux morts… – pour Bernard Rieux, la peste reste “l’affaire de tous.” À travers cette métaphore de l’épidémie dont il retrace l’arrivée, l’apogée et l’affaissement, Albert Camus incite ainsi à l’introspection sur l’humanité et l’individualisme de la société. Il offre des clés pour surmonter une crise qui, comme celle que nous vivons, peut prendre une société au piège tout en nous laissant un message d’avertissement pour l’avenir : “Les hommes sont plutôt bons que mauvais, et en vérité ce n’est pas la question. Mais ils ignorent plus ou moins, et c’est ce qu’on appelle vertu ou vice, le vice le plus désespérant étant celui de l’ignorance qui croit tout savoir et qui s’autorise alors à tuer.”
La Peste de Albert Camus (1947), Gallimard.
2. Comprendre le racisme structurel : Reni Eddo-Lodge, Why I’m No Longer Talking to White People About Race (2017)
“Je pense que notre analyse du racisme est très enfantine et rachitique”, déclarait la journaliste britannique Reni Eddo-Lodge pour expliquer la genèse de son livre, Why I’m No Longer Talking to White People About Race. Évoquant à la fois le blackface, l’invisibilisation des personnes noires dans l’espace public et les médias, les micro-agressions ou les violences raciales ainsi que le privilège blanc, cet ouvrage recommandé par l’actrice Emma Watson aborde différentes problématiques du racisme structurel – système oppressif régissant le vécu et la perception des personnes noires dans la société occidentale – afin d’éveiller les consciences des personnes blanches. Trois ans avant de publier son essai en 2017, Reni Eddo-Lodge postait un article portant le même intitulé sur son blog, qui devitn rapidement viral. Face à ce succès, de nombreuses maisons d’édition contactent la journaliste en lui proposant de transformer son article en un livre où elle analyserait avec des mots très simples les rouages du racisme dans notre société : représentations stéréotypées dans la culture et la publicité, refus d’écouter la voix des personnes concernées par le racisme dans les milieux politiques et féministes, mais aussi traitement des Noirs dans l’histoire sont autant de sujets abordés par l’auteure.
En juin dernier, Why I’m No Longer Talking to White People About Race est devenu le livre plus vendu de l’année au Royaume-Uni. Peu avant cela et Reni Eddo-Lodge avait invité les lecteurs à verser des dons du même montant que son ouvrage à des associations antiracistes. Car bien que les propos de la journaliste se fondent sur l’expérience du racisme en Grande-Bretagne, ils font bien évidemment écho à la situation dénoncée par le mouvement Black Lives Matter ainsi que par les nombreux mouvements de protestations faisant suite aux violences et assassinats perpétrés sur de nombreux Afro-Américains, tels que George Floyd et Breonna Taylor. Avec pédagogie, l’auteure rappelle avant tout que le racisme structurel est problème international : “Je pense que si nous comprenions le racisme comme une idéologie dominante dans laquelle nous sommes tous nés et que nous pouvons choisir d’en être critiques ou complices, alors nous comprendrions que, bien sûr, n’importe qui peut reproduire le racisme”, écrit-elle.
Why I’m No Longer Talking to White People About Race de Reni Eddo-Lodge (2017), Bloomsbury Publishing.
3. Comprendre la pensée écologique : Aurélien Barrau, Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité (2019)
En septembre 2018, une tribune paraît dans le journal Le Monde afin d’alerter sur l’urgence du changement climatique. 200 personnalités, parmi lesquelles les actrices Isabelle Adjani, Juliette Binoche, Laetitia Casta, Sophie Marceau ou encore Kristin Scott-Thomas, en sont les signataires. Son initiateur, l’astrophysicien Aurélien Barrau – membre de l’Institut universitaire de France, docteur en philosophie et figure du militantisme écologique en France – fait rapidement suite à cet appel en entamant la rédaction de l’ouvrage Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité. Dans cet essai de 200 pages, le quarantenaire dresse un constat objectif et scientifiquement étayé sur l’état de notre planète. Son texte parvient à expliquer les enjeux du changement climatique et vulgariser les termes scientifiques définissant les changements que l’humanité inflige à la planète, tout en centrant son propos sur une question capitale : comment évoluer vers un modèle socio-économique qui tend vers des perspectives de développement durable ?
Afin de répondre à cette question, l’astrophysicien consacre deux parties de son ouvrage à des solutions concrètes applicables individuellement et collectivement telles que diminuer notre consommation, migrer vers une alimentation plus saine et végétarienne, réduire ses déplacements, créer moins de déchets, mettre en commun les ressources de la planète ou encore acheter d’occasion. L’auteur n’oublie pas de développer leur utilité pour la planète, en rappelant sans cesse pourquoi l’humanité doit aspirer à un changement radical dans son fonctionnement : “On ne peut plus continuer sur la lancée actuelle, même en usant de prouesses technologiques. On ne peut plus autant se déplacer. On ne peut plus autant renouveler. On ne peut plus autant gaspiller. On ne peut plus autant tuer.” Privilégiant la pédagogie, Aurélien Barrau tente d’éveiller les consciences en présentant une tentative de réflexion honnête “à ce qui est possible et souhaitable” sur la situation environnementale catastrophique dans laquelle nous nous trouvons. Il réussit ainsi à mettre en lumière, avec des mots simples, l’urgence face à laquelle nous sommes et les motivations des mouvements écologiques actuels.
Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité de Aurélien Barrau (2019), Michel Lafon.