Rencontre avec Lewis OfMan : “J’ai commencé la musique grâce à un jeu video”
Numéro a rencontré le jeune musicien à l’occasion de la sortie de son nouvel EP, Dancy Party : 17 minutes de musique électronique entre le disco kitsch et les menus de chargement d’un jeu vidéo vintage.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
On a longtemps assigné Lewis OfMan à des genres qui n’étaient pas les siens. En tout cas, pas à ceux qu’il affectionne. Nouveau visage de la pop kitsch pour les uns, artisan d’une électro souriante pour les autres… le Français de 23 ans fait valser les foules à coups de synthés criards et de gimmicks efficaces, mais ne jure pourtant que par les compositeurs italiens – de Morricone à Cipriani – et les faiseurs de mélodies à la Richard Hawley [Pulp]. Parfois, l’ex-khâgneux s’abandonne aussi au sentiment de solitude agréable impulsé par l’On the Road de Jack Kerouac, une nostalgie légère que l’on retrouve parfois dans le jazz… Lewis Delhomme – son patronyme civil – a pourtant fait du chemin depuis son premier EP de 2014, Disconsolate, posté à l’époque sur Bandcamp. À croire que ses morceaux phares, construits à force de bidouillages et de fantasmes musicaux, restent des énigmes, à l’image de Flash qu’il a simplement “pris dans la gueule”. Celui qui s’amuse à remixer les titres de Keziah Jones et de Lana Del Rey a accepté de répondre aux questions de Numéro. Il évoque son nouvel EP Dancy Party, sa fascination pour les défilés de mode et ses sessions musicales avec le rappeur Rejjie Snow…
Numéro: Vos morceaux me font souvent penser à une bande originale de jeu vidéo vintage ? Cet univers vous est-il familier ?
Lewis OfMan: [Il frappe dans ses mains] Je suis content que vous me posiez cette question ! J’ai justement commencé la musique grâce à un petit jeu video musical sur le Sony Ericsson de ma mère. Si j’aime autant cette culture c’est aussi parce qu’on apprend à jouer seul, en autodidacte, au même titre qu’on découvre le fonctionnement d’un synthétiseur. Aujourd’hui, j’établis souvent des parallèles entre ma vie et les jeux video : s’il n’y a pas d’ennemis, pas d’adversité, pas de challenge, vous n’êtes pas sur le bon chemin.
Le rythme – et par extension les percussions – est-il le point de départ de chacun de vos morceaux ?
La plupart de mes musiques sont instrumentales. Et pour qu’elles soient intéressantes, il faut qu’elles aient une âme. Trouver un rythme, puis un riff de basse et compléter le tout par des accords est un schéma classique qui mène souvent vers un morceau médiocre. David Bowie disait que l’on met le doigt sur quelque chose d’intéressant lorsqu’on est légèrement dans l’inconfort. Comme la sensation de ne presque plus avoir pied lorsque vous plongez dans l’océan. C’est ce qui m’est arrivé lorsque j’ai commencé à composer le morceau Attitude, après avoir découvert de nouveaux samples un peu nineties. J’avais la sensation de ne plus avoir pied car quelque chose fonctionnait bien entre les percussions et le clavier Yamaha DX 7 que j’utilisais. J’ai ajouté les paroles “Attitude” un an plus tard. Mon but est simple : composer une œuvre que vous pourrez écouter tout le temps et partout. Imaginer que ma musique dépend d’un contexte particulier m’emmerde profondément.
Les plateformes de streaming vous affilient souvent à la pop francophone. Ce rapprochement vous semble-t-il pertinent?
Je ne me sens pas du tout proche de ces gens… D’ailleurs je n’aime pas vraiment leur musique. Mais les morceaux que j’ai sortis jusqu’ici – et notamment mes collaborations avec la chanteuse Vendredi sur mer – induisent forcément les auditeurs en erreur. Lorsque je chante en français, ce n’est pas parce que j’aime Michel Berger. Avec le temps, il m’arrive même de regretter certains morceaux, voire d’en avoir franchement honte. C’est le cas pour la chanson Le métro et le bus [2017] que je trouve “mignonne”, tout au plus.
“Lorsque je produis pour un autre artiste, je deviens son journal intime.”
Est-ce pour fuir cet enfer que vous avez composé avec le rappeur irlandais Rejjie Snow?
Il m’a permis de m’éloigner de la France et de me rapprocher davantage de mes influences : la soul et le jazz. Enfin je produisais quelque chose que je trouvais cool et qui ressemblait à ce que j’écoutais ! Et puis c’était la première fois que je collaborais avec quelqu’un dont j’étais fan. [Rires.] Par chance, nous nous sommes retrouvés chez moi, dans mon salon. En studio, j’aurais été beaucoup plus intimidé. Je lui ai présenté mes maquettes, la première était Rainbows…
Vous avez également collaboré avec des maisons de mode. S’adapter au monde impitoyable du luxe est-il un exercice périlleux ?
Lorsque je produis pour un autre artiste, je deviens son journal intime. Je me force à réaliser des choses que je pensais moyennement viables, je me surprend à recréer des sentiments bizarres avec de la musique. Composer la bande-son d’un défilé, c’est habiller des images et des gens, c’est le luxe dans tous les sens du terme. Il n’y a pas si longtemps, je regardais justement le défilé Saint Laurent sur les dunes du désert marocain [printemps-été 2021]. Qu’est ce que j’aurais aimé en composer la musique ! Lorsque j’ai travaillé pour la marque Afterhomework, je n’avais que peu d’indications pour m’aider : “des bruits de ressort”, quelque chose “d’un peu violent”. J’ai alors compris que l’on pouvait acquérir une grande violence dans la saturation des sons. Quelque chose que SebastiAn fait très bien par exemple.
Les autres musiciens vous font-ils complexer ?
Plutôt mes amis que “les autres musiciens“. Je suis fasciné par leurs aptitudes, leur cheminement de pensée et la façon dont ils parviennent à illustrer précisément leurs idées en musique et en images. Quant aux jazzmen, ils me rendent jaloux: ils n’ont pas besoin de calculs, d’ordinateurs ou d’effets superflus. Ils se contentent de jouer et cela suffit pour que ce soit somptueux. Je suis aussi très impressionné par la maîtrise du détail chez des artistes tels que Frank Ocean, Kanye West ou Solange. Non seulement ils s’entourent de musiciens très compétents mais en plus ils parviennent à produire des œuvres organiques, décousues et pourtant ultra cohérentes.
Pourquoi ne percevez-vous pas vos morceaux de la même façon que votre public ?
Souvent, on a honte de ce qu’on crée parce que c’est trop personnel. C’est justement cela qui va toucher les gens. Comme une photographie sur laquelle on se trouve horrible alors que tout le monde nous trouve très séduisant. [Rires.] Pour vous donner un exemple, je ne pensais pas qu’un morceau comme Flash [2017] serait intéressant. J’en étais trop proche. Et j’ai du mal à réaliser que ma musique est sincère lorsqu’elle l’est vraiment…
Parce que vous avez besoin d’une approbation extérieure ?
C’est une question complexe. Je m’oppose à l’idée selon laquelle un artiste ne devrait suivre que sa propre intuition. Parfois il m’arrive de composer des morceaux qui ne me correspondent pas. En général, c’est parce qu’ils ressemblent à quelque chose que j’ai entendu ailleurs. Il m’est arrivé de m’essayer à la bossa nova en plaçant quelques accords. Mais deux mois plus tard, en réécoutant votre travail, vous vous rendez compte de sa médiocrité. [Rires.]
Justement, d’où viennent toutes les influences latino-américaines de votre nouvel EP, Dancy Party ?
De mon imaginaire. Ce sont des influences que je fantasme et qui me sont parvenues via des photographies, des cartes postales ou des chansons d’Astrud Gilberto et d’Antônio Carlos Jobim. C’est une musique que j’idéalise depuis que je suis tombé sur la collection de vinyles de mon père, il y a quelques années. J’ai pioché dedans au hasard et The Girl From Ipanema était ma porte d’entrée vers ces pays où je n’ai jamais mis les pieds.
Êtes-vous plus compétent lorsque vous êtes triste, comme la plupart de vos homologues ?
Non. Je suis compétent lorsque que je compose une musique pour séduire une fille. [Rires]
Dancy Party, de Lewis OfMan, disponible.