Qui est Joe Brainard, l’artiste qui a inspiré Jonathan Anderson pour sa nouvelle collection Loewe ?
Après s’être inspiré de l’architecte Charles Rennie Mackintosh, des artistes d’Arts and Crafts William de Morgan et William Morris, Jonathan Anderson, directeur artistique de Loewe et grand amateur d’art, annonce une collection qui rend hommage à Joe Brainard, artiste de la New York School des années 60 et 70.
par Jordane de Faÿ.
“Une forme de chaos, une période de transformation entre un expressionnisme abstrait et Dieu sait quoi ” : la définition que Joe Brainard, artiste et poète américain qui inspire Jonathan Anderson pour sa collection Loewe automne-hiver 2021-2022, donne de l’art contemporain semble appropriée à la période de chaos et de transition que nous traversons ces derniers mois.
Né en 1942, Joe Brainard grandit à Tulsa dans l’Oklahoma, et se lance dès l’adolescence, dans la pratique artistique. Durant le lycée, il se lie d’amitié avec ses camarades de classe, les poètes Ron Padgett et Dick Gallup, qui deviendront, comme Joe Brainard, des figures prédominantes de la New York School, un mouvement artistique informel des années 1950 et 1960 qui compte danseurs, poètes, peintres, danseurs et musiciens. Ensemble, ce groupe de lycéens quelque peu marginalisé crée la revue d’art et de littérature The White Dove Review. Après l’obtention de son baccalauréat, Joe Brainard déménage à New York où il rencontre le cercle d’avant-garde artistique et littéraire des années 60 dont Frank O’Hara, Alex Katz, Andy Warhol, John Ashberry, Jasper Johns…
Durant les années 60 et 70, Brainard produit – notamment sous l’emprise d’amphétamines – un nombre important d’oeuvres en tous genres comme des collages, peintures, dessins, poèmes, mais aussi des couvertures de livres, recueils de poèmes et albums de musique, des décors – notamment pour une pièce de théâtre de Frank O’Hara – et des costumes pour les compagnies new-yorkaises de danse Louis Falco Dance Troupe et la Joffrey Ballet Company. Malgré cette production effrénée et des expositions régulières, Joe Brainard peine à s’assurer une santé financière. Avec le poète Ted Berrigan, il alterne l’occupation d’un unique lit (l’un dormant le jour, l’autre la nuit) et vend ses livres, ses habits et même son sang, ou se réfugie chez des amis… Comme une grande majorité de ses contemporains de la New York School, Joe Brainard vit une vie de bohème, oscillant constamment entre succès et débâcle.
À l’instar de Patti Smith dans Just Kids, Joe Brainard relate les souvenirs de ces années new-yorkaises marquées par une effervescence artistique exceptionnelle dans I Remember (1975). Ce mémoire qui défie les conventions du genre, se présente comme un recueil de 1500 souvenirs dans lequel l’artiste juxtapose l’intime et le politique, le paysage social et géographique du New York des 60s et 70s et des bribes d’histoires personnelles, sans jamais faire de hiérarchie entre ces flashbacks. Cette oeuvre iconoclaste a inspiré de nombreux artistes et écrivains comme Georges Perec, qui, en reprend le concept pour écrire ses mémoires du Paris des années 70 dans Je me souviens (1978). C’est d’ailleurs dans I Remember que transparait l’histoire de l’acceptation de Joe Brainard de son orientation sexuelle queer. Atteint d’une pneumonie contractée à la suite du Sida, Joe Brainard meurt en 1994.
Encore aujourd’hui, ses oeuvres, qui font entre autre parties des collections du Museum of Modern Art , du Metropolitan Museum et du Whitney Museum à New York, restent difficilement classables, ce qui en fait aussi leurs particularités. Entre des oeuvres à l’esthétique très Pop Art où l’on croise imprimés floraux, couleurs vives, incorporation de comic strips et des collages plus subtiles où des objets de la vie quotidienne, tel le mégot et le paquet de cigarettes, deviennent une matière première, le travail de Joe Brainard est avant tout porté par la recherche incessante de nouvelles formes d’expression et par un goût de l’ordinaire et du trivial. “J’ai été attiré par l’ensemble du travail de Joe Brainard, en particulier par ses collages et son habileté à créer des oeuvres à partir du quotidien. En tant qu’artiste, écrivain, illustrateur et poète, il pensait et agissait en dehors des règles littéraires établies, il y a une clarté et une immédiateté dans son travail qui, je trouve, se rapporte à ce moment précis de nos existences, et à d’autres aussi,” explique Jonathan Anderson dans la préface du livre dédié à l’artiste et publié par l’organisme à but non lucratif Printed Matter et dont tous les bénéfices des ventes seront reversés à Printed Matter et Visual AIDS, une association qui met à profit l’art pour lutter contre le Sida.