6 sept 2021

L’œuvre autodétruite de Banksy retourne aux enchères

Seulement trois ans après s’être auto-découpée en direct lors de sa vente chez Sotheby’s, l’œuvre Love is in the Bin du street artist Banksy repassera sous le marteau jeudi 14 octobre. Son estimation oscille déjà entre 4 et 6 millions de dollars, soit quatre à six fois plus qu’en 2018. Un événement qui interroge à nouveau sur la sincérité du geste engagé de son auteur : conservée par une collectionneuse, la toile n’avait en effet pas été intégralement détruite…

Londres, 5 octobre 2018. Dans la salle des enchères de la maison de vente internationale Sotheby’s, le public est en émoi. L’un des pochoirs muraux les plus populaires du street artiste Banksy, une jeune fille en robe lâchant un ballon de baudruche rouge, apposé sur une toile blanche, désormais soigneusement présentée dans un cadre doré, passe sous le marteau et bat un record de vente : elle franchit la barre du million de dollars (1 135 219 million de dollars exactement), bien au-delà des estimations qui la valorisaient entre 200 000 et 400 000 dollars maximum. Un montant qui sonne comme la consécration de l’artiste anonyme (entré dans le circuit des enchères une décennie plus tôt) autant que celle de l’art urbain, longtemps boudé par les plus prestigieuses maisons de vente. Mais le clou du spectacle n’est pas encore arrivé : à peine le claquement sec du marteau du commissaire-priseur vient-il de retentir que la peinture Girl with Balloon s’anime mystérieusement. À la manière d’une feuille sortant d’une imprimante, la toile glisse lentement vers le bas et sort de la partie inférieure du cadre découpée en fines lamelles. La foule pousse des cris d’effroi, vivant  une grande première dans l’histoire des ventes aux enchères : une œuvre vient de s’autodétruire en direct, grâce à un mécanisme contrôlé à distance par des complices de l’artiste présents dans la salle.

 

 

Le coup de Banksy ne manque pas de faire réagir. Pendant que le directeur du département d’art contemporain de la maison de vente se déclare “Banksyed” (“Banksy-é”), l’artiste lui-même (dont on ne connaît toujours pas le visage), publie sur son compte Instagram une vidéo de l’action et répond aux plus sceptiques en précisant que Sotheby’s n’était pas de mèche avec lui, que l’œuvre avait bel et bien été découpée, et qu’il s’agissait là de sa seule et unique version. Connu pour ses œuvres engagées et souvent anticapitalistes, l’homme est alors massivement applaudi pour son audace et sa capacité à tourner le marché de l’art en dérision au sein même de ses murs les plus luxueux. Quelques jours seulement après son acquisition par une collectionneuse anonyme, Girl with Balloon se voit rebaptisée par l’artiste Love is in the Bin (“L’amour est dans la corbeille”), en référence à l’atteinte portée à son aura sacrée, tandis que l’image devient virale, jusqu’à apparaître dans la communication de multinationales telles que McDonalds et Ikea. Un destin qui finit par interroger sur les réelles motivations de son auteur. Des critiques commencent alors à s’élever sur la sincérité de son geste, dénonçant une simple stratégie de publicité. D’autant que la toile n’a pas été totalement détruite : grâce à l’habile dispositif de Banksy, seule la moitié de l’œuvre a été incisée en fines bandes régulières qui n’empêchent nullement d’en voir le dessin initial au complet, et conservent la partie supérieure intacte, encore à l’intérieur du cadre.

 

 

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que l’œuvre fasse son retour aux enchères. Seulement trois ans après son adjudication, la propriétaire de la peinture décide déjà de s’en séparer. C’est toujours la maison Sotheby’s, mais son département de New York cette fois-ci, qui organisera la vente. Et la promesse de bénéfice n’est pas négligeable : en seulement trois ans, nourrie par la viralité de ce coup de théâtre, la valeur de l’œuvre a quadruplé avec une estimation désormais comprise entre 4 et 6 millions de dollars. Si ce nouvel épisode connaît la même trajectoire et la même popularité que le précédent, la valeur de l’œuvre pourrait encore croître lors de la vente du 14 octobre. Relique d’un moment unique dans l’histoire de l’art, Love is in the Bin semble cristalliser aussi toute l’ambiguïté de Banksy, dont l’image engagée semble se retourner contre lui alors même que sa cote sur le marché de l’art ne cesse de s’élever. À moins que, à l’occasion de sa seconde vente, l’œuvre ne disparaisse cette fois-ci sans laisser de trace…