De la tour Eiffel à un désert de sel, comment Cercle a révolutionné la Boiler Room
Le DJ Mome en concert à huis clos sur la Tour Eiffel, FKJ mixant sur l’eau en plein cœur du désert bolivien… voici quelques-uns des projets fous qui ont vu le jour grâce à Cercle, digne héritier des Boiler Room londoniennes.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Digne héritier du projet londonien Boiler Room – qui diffuse les set de DJ en direct sur Internet –, les créateurs de Cercle ont vu encore plus loin en installant platines et sound system dans les lieux les plus improbables de la planète bleue. En 2016, les Français ont installé le DJ Mome entre les jambes d’acier de la tour Eiffel. Plus tard, après une émission au sommet des Alpes suisses, ils parachutaient le multi-instrumentiste FKJ sur une plateforme effleurant la surface d’une eau miroitante dans le désert Salar d’Uyuni, au sud-ouest de la Bolivie. Cercle est devenu un média musical respecté, scruté par des labels désireux de voir leurs artistes exalter dans des lieux somptueux. Drop, nouveau projet lancé en 2019 par l’équipe, étend le concept au hip-hop, à la pop et à la soul. Rencontre avec Pol Souchier, porte-parole de Cercle qui a aujourd’hui atteint sa vitesse de croisière.
Numéro : Le projet Cercle a littéralement explosé depuis quelques mois, comment en est-on arrivé là ?
Pol Souchier : Tout a commencé dans un appartement, celui de Derek Barbolla. Il a créé une sorte de mini radio en filmant des DJ dans son propre salon. Mais le tapage diurne a rendu fou les voisins. [Rires.] En véritable cinéphile, Derek a toujours voulu mêler musique et vidéo sans pour autant devenir réalisateur de clip. Bien avant la création de Cercle, il écumait les boîtes parisiennes. D’ailleurs, c’est comme ça qu’il a rencontré Phillipe Tuchmann qui, à l’époque, était le DA du Faust. Phil a demandé à Derek de venir filmer un de ses événements et de le retransmettre en direct sur Internet, il était persuadé que les gens regarderaient depuis chez eux. C’est l’inverse qui s’est produit, tout le monde voulait débarquer.
Il y avait un véritable filon à exploiter…
Exactement. Derek a développé le projet en tournant des vidéos dans une cave mais, très vite, il a voulu frapper un grand coup en imaginant un DJ set à huis clos au deuxième étage de la tour Eiffel, diffusé en direct sur Facebook. Quelque chose de grandiose. L’artiste Mome sortait son album Panorama au même moment… c’est comme ça que tout a réellement commencé.
Comment définir Cercle alors ? Une boîte d’événementiel fanatique de musique électronique ?
Nous créons des lives originaux tout en valorisant le patrimoine. Dans l’inconscient collectif la musique électronique est toujours associée à la rave, aux caves sombres et à la drogue. Et certains puristes souhaitent encore rester dans cet univers obscur et métallique. Cercle propulse la musique électronique hors de sa zone de confort. Nous n’avons jamais été une boîte d’événementiel car nous créons des événements exclusivement dédiés à Cercle. Aujourd’hui nous sommes sept à travailler pour Cercle à plein temps mais lors des émissions, plus d’une centaine de personnes rejoignent le projet (cadreurs, sécurité, pilotes de drones etc).
Comment sélectionnez-vous les lieux dans lesquels les artistes se produisent ?
Tout est question d’envie, d’esthétique et de faisabilité. Le lieu est le paramètre le plus important, celui qui va marquer les spectateurs. Avant, certaines émissions étaient confirmées au dernier moment. Aujourd’hui nous avons six à huit mois d’avance. Il s’agit de raconter une histoire à partir d’une relation entre un artiste et un lieu particulier. Nous valorisons des patrimoines culturels et et des patrimoines naturels.
Vous êtes donc passés maîtres dans l’art du harcèlement d’offices de tourisme ?
Effectivement nous contactons beaucoup d’offices de tourisme mais également les responsables de certains lieux directement. Il y a eu pas mal de refus car la musique électronique a mauvaise réputation. Nous voulons redorer son blason. C’est pourquoi nos live sont en plein jour. Cercle ramène cette culture underground dans la lumière.
“Beaucoup d’artistes nous appellent. Notre directeur artistique ne travaille plus beaucoup.”
Le brainstorming duquel a surgi le terme “cercle” était-il insoutenable ?
Je n’était pas là à l’époque ! Le logo représente un cercle ouvert, une référence directe à la notion de communauté grandissante… Dans nos émissions le public encercle la scène et les caméras embarquées créent une réelle immersion lors du Facebook live.
En vous appelant Cercle, n’aviez-vous pas peur d’être engloutis par 1 500 forums de géométrie sur Google ?
Le SEO de Cercle était très mauvais au début… Mais avec le temps nous avons pris la première place.
Ne vous compare-t-on pas sans cesse à Boiler Room, ce projet londonien lancé en 2010 qui fonctionne selon le même principe ?
La ressemblance est évidente avec Boiler Room. Mais jusqu’à présent, un concert de plus d’une heure retransmis en direct dont le public est entièrement dématérialisé n’existait pas. Et la mise en exergue de la culture nous distingue de la Boiler Room. Je ne vois pas beaucoup de concurrents à ce niveau là. Seuls quelques médias comme Mixmag ont repris le concept il me semble. Nous avons commencé par les clubs car c’était le choix de la facilité : les portes sont grandes ouvertes, le matériel est déjà sur place et les coups de production sont quasiment nuls. Il n’y avait ni passion ni originalité.
À vos débuts vous courriez après les artistes. Depuis que vous avez du succès certains sont-ils revenus vous voir la queue entre les jambes pour vous supplier de les programmer ?
Beaucoup d’artistes nous appellent. Notre directeur artistique ne travaille plus beaucoup. [Rires.] Aujourd’hui, certains labels comptent sur Cercle pour faire rayonner leurs artistes lors d’une sortie d’album ou d’EP. Nous sommes devenus un média. Il faut savoir que nous créons chaque année une ligne directrice. Fakear, Amelie Lens, Charlotte de Witte… Quand nous parlons de musique électronique c’est au sens large du terme, de la techno sombre à l’électro joyeuse en passant par un artiste multi-instrumentiste comme FKJ qui n’a pas vraiment d’étiquette.
“Notre statut a changé la donne, lorsque nous tournons une émission, nous effectuons la promotion d’un lieu, de son histoire et de tout ce qui se rapporte à lui de près ou de loin.”
Pourquoi avoir créé une nouvelle marque, Drop, spécialement dédiée au hip-hop et à la soul, plutôt que d’inclure d’autres genres musicaux dans Cercle ?
Nous voulions créer une nouvelle communauté, tout recommencer à zéro plutôt que de profiter du rayonnement de Cercle. D’ailleurs nous avons diminué la fréquence de production des émissions pour des raisons qualitatives.
Qui n’a pas sa place dans Cercle ?
Les artistes trop mainstream. Je ne dis pas que c’est moins bien, simplement que cela ne nous correspond pas vraiment. Louane ne correspond pas vraiment à notre communauté par exemple. Mais cela ne m’empêche pas de rêver de certains artistes comme MC Solaar pour Drop et Laurent Garnier pour Cercle.
L’exposition Rêve électro débarque bientôt à la Philharmonie de Paris, on y verra notamment une installation imaginée par les Daft Punk. Une exposition est-elle envisageable pour Cercle ?
Pour le moment, nous ne nous sentons pas légitimes. Depuis le début j’ai mille idées. Malheureusement nous ne sommes pas des papas de l’électro comme Pedro Winter, Etienne de Crecy ou les Daft Punk.
Avez-vous déjà eu des débats houleux vis-à-vis du choix des lieux ?
Nos débats sont liés à des problèmes d’éthique et aux possibles polémiques qui pourraient surgir car un lieu déchainerait les passions. Quelque chose de trop politique par exemple. Nous cherchons à nous imprégner des paysages : au sommet d’une montagne, nous pensons plutôt à une musique épique et grandiloquente pour que l’émission soit un chef d’œuvre. Notre statut a changé la donne, lorsque nous tournons une émission, nous effectuons la promotion d’un endroit, de son histoire et de tout ce qui se rapporte à lui de près ou de loin.
Vous avez tourné des émissions dans tous les lieux possibles et imaginables, quelle émission vous a posé le plus de problèmes ?
Celle de FKJ à Salar d’Uyuni en Bolivie. 30 heures de voyages dont trois escales avec toute une équipe vidéo, des ingénieurs du son, l’artiste et sa manageuse. Le satellite venait du Pérou, une boîte locale nous a aidé et nous avons mis trois jours à préparer le direct. Sur place, l’eau a détraqué tous nos systèmes, plus rien ne fonctionnait. Finalement, c’est l’une de nos plus belles émissions même si le live a eu 5 minutes de retard…
Quelle sera la prochaine étape dans le développement de Cercle ?
L’internationalisation de Cercle et le lancement de Drop. Nous étions en Bolivie la semaine dernière, nous partons à Rio demain [émission diffusée le 15 mars dernier]. Plus de la moitié des émissions seront à l’étranger cette année. Drop n’en est qu’à ses balbutiements.