10 mar 2023

Paul Smith’s picks from the Musée Picasso

Jusqu’au mois d’août, le musée Picasso prend des couleurs grâce à une exposition imaginée par le créateur de mode Paul Smith, qui revisite ses collections permanentes. Pour Numéro, le Britannique revient sur quatre chefs-d’œuvre du maître espagnol.

Propos recueillis par Camille Bois-Martin.

Interview conducted by Camille Bois-Martin.

Portrait de Paul Smith devant « L’Acrobate » de Pablo Picasso (1930)

Cette scénographie, c’est exactement le monde créatif et coloré dans lequel je vis !” s’enthousiasme Paul Smith devant son exposition au musée Picasso de Paris. Imaginée par le créateur, « Célébration Picasso” dépoussière les collections permanentes du musée avec beaucoup de couleurs et une énergie électrique qui n’est pas sans rappeler celle du Britannique de 76 ans. À l’heure des cinquante ans de la mort de Pablo Picasso (1881-1973), artiste parmi les plus exposés du monde, de nombreuses institutions le mettent à l’honneur au sein d’une programmation exceptionnelle des deux côtés de l’Atlantique. Et qui de mieux que Paul Smith pour imaginer une scénographie originale ? Connu et reconnu pour ses rayures et son utilisation des couleurs, le créateur qui a lancé son label en 1970 est un électron libre dans le monde de la mode. Saison après saison, il fait son bonhomme de chemin et touche à tout ce qui attire son attention – de la mode en passant par le design, le cyclisme, l’automobile… et la conception d’une exposition.

 

Sur les trois étages du musée, Paul Smith a investi plusieurs salles de ses couleurs vives, plongeant ses visiteurs dans un univers de bleu pour les toiles de la période mélancolique de Pablo Picasso, dans une atmosphère rouge et rose pour Les Demoiselles d’Avignon… ou encore dans une ambiance jazz pour la pièce dédiée aux années 50, dans laquelle sont diffusés des morceaux de Thelonious Monk. L’exposition réunit plusieurs dizaines de chefs-d’œuvre, et met ainsi en avant la richesse des collections du musée grâce au regard “fou” et “farfelu” de Paul Smith, pour reprendre ses propres mots. Pour Numéro, ce dernier revient sur quatre œuvres qui l’ont marqué parmi cette riche sélection.

Pablo Picasso, « Tête de taureau », printemps 1942, selle et guidon (cuir et métal), 33.5×43.5x19cm, Musée national Picasso-Paris, Dation Pablo Picasso, 1979. MP330

Quand une selle de vélo devient sculpture

 

“De mes 12 à mes 18 ans, j’étais cycliste professionnel. Je ne pratique plus depuis longtemps, mais je reste passionné par ce sport et son actualité. Donc, ma décision de vous parler de cette sculpture faite à partir d’une selle de vélo s’imposait ! Elle fait le lien entre Pablo Picasso et moi. Il y en a un autre : là, je suis assis dans mon studio, une grande salle remplie de choses étranges que je garde parce qu’elles sont belles, petites, douces, grosses, dures… car, comme Picasso, je crée en m’inspirant d’objets que je réutilise ou que je conserve. Je pense d’ailleurs que les similitudes dans notre processus créatif sont une des raisons qui ont conduit le musée à me choisir pour cette exposition.”

Portrait « Paul en Arlequin » (1924), Pablo Picasso dans l’exposition « Célébration Picasso, la collection prend des couleurs » © Musée national Picasso-Paris, Voyez-Vous (Vinciane Lebrun) / Succession Picasso 2023

Inspiration de Picasso, le théâtre infiltre l’exposition

 

“La combinaison de couleurs de cette peinture me touche beaucoup, je la qualifierais presque d’optimiste. Pablo Picasso s’était déjà représenté en costume d’Arlequin vingt ans plus tôt [en 1905], et là, dans Paul en Arlequin, il peint le portrait de son fils – qui s’appelle lui aussi Paul ! – dans ce même costume aux couleurs criardes. J’ai choisi cette toile parce qu’elle fait écho à son histoire familiale, mais surtout pour son lien avec le théâtre et l’approche théâtrale de Picasso dans ses œuvres. Dès le départ, j’avais l’intention d’imaginer une scénographie théâtrale. J’ai donc placé Paul en Arlequin [1924] sur un mur placé au bout d’un couloir, et j’ai recouvert l’entièreté de la cimaise du même motif arlequin à losanges jaune et bleu. Ainsi, on peut apercevoir le portrait depuis les deux pièces précédentes, d’où il apparaît comme une révélation… un vrai coup de théâtre !”

Pablo Picasso, « La Chèvre », 1950 (feuille de palmier, métal, plâtre original, technique mixte) dans l’exposition « Célébration Picasso, la collection prend des couleurs » © Musée national Picasso-Paris, Voyez-Vous (Vinciane Lebrun) / Succession Picasso 2023

Créer à partir de tout et de rien

 

Pablo Picasso a longtemps peint des natures mortes de carcasses d’animaux, et soudain, dans les années 50, il s’est pris d’affection pour les bêtes et a réalisé cette fantastique sculpture de chèvre. Si vous observez le plâtre original, le buste est fait à partir d’un vieux panier, la colonne vertébrale, d’une feuille de palmier, et les pattes, de bouteilles. Puis il a coulé le tout dans du bronze. Je me reconnais totalement dans ce processus d’assemblage et dans cette façon de regarder les objets du quotidien pour les transformer en quelque chose de beau, d’inattendu. Surtout, cette sculpture témoigne de la capacité de Picasso à se réinventer tout au long de sa carrière, de sa période bleue, sombre et mélancolique, à sa période rose lumineuse, jusqu’au cubisme… un désir de réinvention permanent dont je me sens très proche. Je suis créateur depuis longtemps maintenant, et je pense que ma longévité dans la mode s’explique comme celle de Picasso dans le monde de l’art : nous nous intéressons à tout et à toutes les formes artistiques. Je sens une connexion entre nos processus créatifs et notre carrière. Et cette exposition en est la preuve.”

[À droite] Pablo Picasso, « L’artiste devant sa toile », 1938 (fusain sur toile) dans l’exposition « Célébration Picasso, la collection prend des couleurs » © Musée national Picasso-Paris, Voyez-Vous (Vinciane Lebrun) / Succession Picasso 2023

La marinière et les croquis, Picasso intime

 

“Dans ce dessin très abstrait, Pablo Picasso s’est représenté vêtu de son iconique marinière. Quand j’ai commencé à réfléchir à cette exposition, je ne connaissais pas grand chose à sa vie personnelle, mais la première image qui m’est venue en tête, c’est cette photographie de lui où il porte justement cette marinière, prise par Robert Doisneau [en 1952]. À côté de cet autoportrait et des photos de lui, j’ai tout de suite imaginé d’accrocher une multitude de tee-shirts rayés au plafond ! Les œuvres en papier comme celle-ci sont souvent considérées comme un travail préliminaire avant l’étape de la peinture, elles ont un côté plus plus personnel, plus intime. Si vous regardez dans ma poche, vous y trouveriez un crayon et un carnet de notes. Je les garde toujours sur moi, car j’adore cette idée de pouvoir réaliser des croquis n’importe où, n’importe quand, et d’expérimenter des formes et des motifs sur le papier… Le côté brouillon de ce dessin le rapproche de ma pratique et ça me plaît beaucoup.”

 

Exposition « Célébration Picasso, la collection prend des couleurs » par Paul Smith, du 7 mars au 27 août au musée Picasso, 5, rue de Thorigny, Paris 3e.

Autoportrait, 1906 

 

« Si vous regardiez là, dans ma poche, vous y trouveriez un crayon et un carnet de notes. Je les garde toujours sur moi car j’adore cette idée de pouvoir réaliser des croquis n’importe où, n’importe quand. Les œuvres en papier sont souvent considérées comme un travail préliminaire avant la représentation peinte ; dans un sens, ça les rend plus personnelles, intimes. Ici, Picasso se rpz […]. J’aime le côté brouillon de cette œuvre car ça la rend très proche de ma pratique : expérimenter des formes et des motifs sur le papier, c’est cher à mon cœur, j’ai toujours aimé ça. »

Portrait of Paul Smith in front of « L’Acrobate » by Pablo Picasso (1930)

This set design is the exact same creative and colorful universe in which I live!”, Paul Smith declared, enthusing about his exhibition at the Musée Picasso in Paris. Imagined by the designer, “Picasso Celebration” dusts off the museum’s permanent collections thanks to lots of colors and the electric energy dear to the 76-year-old Brit. On the fiftieth anniversary of Pablo Picasso’s death (1881-1973), many institutions on both sides of the Atlantic are paying tribute to one of the most exhibited artists in the world with an exceptional programme. And who would be better than Paul Smith to conceive an original set design? Known and praised for his stripes and use of color, the designer who launched his label in 1970 is a free spirit in the fashion world. Each season, he goes merrily along and dabbles in everything that catches his attention, from fashion to design, cycling, cars… and curating exhibitions.

 

 

On the three floors of the museum, Paul Smith has invested several rooms with his bright colors, taking the visitors into a blue universe, in response to the paintings from Pablo Picasso’s melancholic period, and into a red and pink one echoing Les Demoiselles d’Avignon… or into a jazzy atmosphere, with Thelonious Monk’s music being played in the room dedicated to the 1950s. The exhibition brings together dozens of masterpieces, thus highlighting the richness of the museum’s collections through Paul Smith’s “crazy” and “eccentric” lens, to use his own words. For Numéro, he looks back at four artworks from this rich selection that have made an impression on him.

Pablo Picasso, « Tête de taureau », Spring 1942, saddle and handlebar (leather and metal), 33.5×43.5x19cm, Musée national Picasso-Paris, Dation Pablo Picasso, 1979. MP330

When a bicycle saddle becomes a sculpture

 

“I was a professional cyclist from the age of 12 to 18. It’s been a while since I’ve cycled, but I’m still passionate about the sport and the events related to it. So, my decision to tell you about this sculpture made from a bicycle saddle was obvious! It links Pablo Picasso with me. There is another link too – here, I’m sitting in my studio, a large room filled with strange items that I kept because they are beautiful, small, soft, big, hard… because, like Picasso, I can create by drawing my inspiration from objects that I reuse or that I collect. Actually, I think that the similarities in our creative processes are one of the reasons why the museum chose me for this exhibition.”

Portrait « Paul en Arlequin » (1924), Pablo Picasso at the exhibition « Célébration Picasso, la collection prend des couleurs » © Musée national Picasso-Paris, Voyez-Vous (Vinciane Lebrun) / Succession Picasso 2023

One of Pablo Picasso’s inspirations: theatre permeates the exhibition

 

“The color mix in this painting deeply moves me. I would almost call it optimistic. Pablo Picasso had already portrayed himself in a Harlequin costume twenty years earlier [in 1905], and here, in Paul en Arlequin, he painted the portrait of his son – who was also named Paul! – in the same garishly colored costume. I first chose that painting because it echoed his family history, but above all because it referred to theatre and Picasso’s theatrical approach in his work. From the start, I intended to design a theatrical setting. So, I placed Paul en Arlequin [1924] on a wall at the end of a corridor and covered the whole picture rail with the same yellow and blue diamond harlequin pattern. That way, the portrait can be seen from the two previous rooms, from where it appears as a revelation… as a real coup de théâtre!”

Pablo Picasso, « La Chèvre », 1950 (Palm leaf, metal, original plaster, mixed techniques) at the exhibition « Célébration Picasso, la collection prend des couleurs » © Musée national Picasso-Paris, Voyez-Vous (Vinciane Lebrun) / Succession Picasso 2023

Creating from scratch

 

Pablo Picasso had been painting still lifes of animal carcasses for a long time, and suddenly in the 1950s, he developed a keen interest in animals and made this fantastic sculpture of a goat. If you look at the original plaster, the bust is made from an old basket, the spine from a palm leaf, and the legs from bottles. Then, he cast the whole thing in bronze. I can totally identify with that process of assemblage and that way of looking at everyday objects and transforming them into something beautiful and unexpected. Above all, this sculpture bears witness to Picasso’s ability to reinvent himself throughout his career, from his dark and melancholic blue period to his luminous pink period, right up to cubism… a permanent desire for reinvention to which I can relate. I’ve been a fashion designer for a long time now, and I think my longevity in the industry can be compared to Picasso’s presence in the art world: we both are interested in everything and all art forms. I feel a connection between our creative process and career. And this exhibition is the proof.”

[On the right side of the picture] Pablo Picasso, « L’artiste devant sa toile », 1938 (charcoal on canvas) at the exhibition « Célébration Picasso, la collection prend des couleurs » © Musée national Picasso-Paris, Voyez-Vous (Vinciane Lebrun) / Succession Picasso 2023

The sailor striped top and the sketches: an intimate Picasso

 

“In this very abstract drawing, Pablo Picasso depicted himself wearing his iconic sailor striped top. When I started thinking about the exhibition, I didn’t know much about his personal life, but the first image that came to my mind was that photograph of him wearing that sailor top taken by Robert Doisneau [in 1952]. Alongside this self-portrait and the photos of him, I immediately thought about hanging multiples striped T-shirts from the ceiling! Paper works like this one are often seen as a preliminary work before the painting stage – they indicate a more personal, intimate side. If you look in my pocket, you will find a pencil and a notebook. I always keep them with me, because I love this idea of being able to sketch anywhere, anytime, and to experiment with shapes and patterns on paper… The rough draft aspect of this drawing brings it closer to my practice. I really like that.”


Exhibition “Picasso Celebration, the collection in a new light” by Paul Smith, from March 7th to August 27th at the Musée Picasso, 5 rue de Thorigny, Paris, 3rd arrondissement.