4 sept 2020

Biennale de Venise : plongez dans le pavillon français de Laure Prouvost

L’artiste qui représente la France à la Biennale de Venise cette année est en couverture du nouveau Numéro art. Née à Croix en 1978, Laure Prouvost s’installe très jeune à Londres. Pari gagnant, en 2013, l’artiste est récompensée du prestigieux Turner Prize. Ses vidéos et installations ont déjà des allures de contes de fées dysfonctionnels et loufoques multipliant les jeux de langage. Elle rend ainsi hommage à son grand-père (fictif?) disparu en creusant un tunnel jusqu’en Afrique. Après son exposition au Palais de Tokyo en 2018, elle représente la France à la Biennale de Venise avec la commissaire Martha Kirszenbaum. On la retrouve sur la lagune accompagnée de son animal fétiche : la pieuvre.

Texte par Kathy Noble.

Portraits par Harley Weir.

Laure Prouvost à la 58e Biennale de Venise

En écrivant ces lignes j’essaie de me rappeler la première fois que j’ai rencontré Laure Prouvost – sans y parvenir. Ce que je sais, c’est que je connaissais sa voix avant de la connaître. Je l’avais entendue en tant que narratrice de l’une de ses vidéos lors d’une projection londonienne, et je m’étais demandé alors si je ne l’avais pas déjà rencontrée quelque part. En l’écoutant, j’avais en effet éprouvé un intense sentiment de “déjà-vécu”, comme si elle m’avait un jour parlé en rêve, comme si je l’avais connue dans une vie antérieure. En l’appelant pour évoquer avec elle son projet pour le Pavillon français à la Biennale de Venise, j’ai été ravie de l’entendre à nouveau. Sa voix est douce, basse, apaisante, pleine d’autorité aussi. Elle me calme instantanément. Je pourrais l’écouter pendant des heures.

Le Pavillon Français, un road-trip de Nanterre à Venise

Avant de développer son projet pour le Pavillon français de la biennale, Laure s’est lancée dans un road-trip qui l’a conduite de Nanterre à Venise, en passant par Croix (près de Roubaix), sa ville natale. En chemin, elle a tourné un lm intitulé Deep Blue Sea Surrounding You/ Vois ce bleu profond te fondre, enrôlant au passage douze personnes d’âges et de parcours très divers, chacune possédant un talent particulier (notamment la magie, la danse ou la musique). La troupe constituait ainsi une sorte de cirque ambulant dont les membres étaient unis par leur expérience commune d’une passion particulière.

En amont de ce voyage, divisé en plusieurs segments, Laure avait écrit, en collaboration avec d’autres, un scénario qui intercalait différentes “couches” de français, d’anglais, d’italien, d’arabe et de dialecte néerlandophone. L’idée d’entreprendre ce voyage, de partir chercher quelque chose ou quelqu’un et de mélanger fiction et réalité était directement issue de ses précédents travaux.

Blouse avec jabot en soie, CHLOÉ. Chemise et pantalon en soie, ACNE STUDIOS. Page de droite : robe-chemise en coton, LOEWE. Richelieus “zizi” en cuir, REPETTO.

Une exposition conçue comme le corps d’une pieuvre

Laure décrit l’itinéraire qu’elle a imaginé pour son projet de la façon suivante : “Un voyage vers notre inconscient. À l’aide de nos cerveaux logés dans nos tentacules, nous creusons des tunnels vers le passé et l’avenir, en direction de Venise. Suivons la lumière.” L’installation Deep Blue Sea Surrounding You/Vois ce bleu profond te fondre pose la question de la formation de l’identité, depuis le concept d’identité nationale jusqu’à un lieu où cette identité n’existe pas, où le langage, son appropriation et son détournement conduisent à l’éloignement et aux malentendus. Laure Prouvost a également tiré son inspiration du cadre de la biennale : une île envahie par les eaux, submergée quand il pleut, et qui s’enfonce lentement dans la mer.

L’artiste conçoit l’exposition comme le corps d’une pieuvre, avec la tête au milieu, et comme une métaphore des origines de notre planète. Elle veut nous placer en immersion dans le ventre d’une créature inconnue, afin de découvrir qui nous sommes. La mer est la métaphore par excellence de l’inconscient, puisqu’elle reste l’un des derniers lieux inexplorés de notre planète, son contenu à peine entrevu restant inaccessible. La question de l’identité, de sa formation à la fois consciente et in- consciente, de son expression, de sa perception par autrui, de ce que veut dire être un autre, ou bien l’Autre – tout cela occupe une place fondamentale dans Deep Blue Sea Surrounding You, qui pose aussi la question de la représentation d’une nation.

Blouse avec jabot en soie, CHLOÉ. Chemise, ACNE STUDIOS.

Dans ses Exercices de style (1947), Raymond Queneau raconte 99 fois l’histoire d’un homme qui prend le bus, à chaque fois dans un style différent. La plupart d’entre nous effectuons régulièrement les mêmes trajets, empruntons les mêmes rues, faisons nos courses dans les mêmes supermarchés. L’expérience globale semble identique, mais dans les détails de ce que nous ressentons en chemin, elle est différente. Laure décrit l’élan qui l’a poussée à réaliser Deep Blue Sea Surrounding You comme un besoin de mieux comprendre qui nous sommes. Saurons-nous mieux le comprendre en restant en territoire connu, ou en voyageant ?

Si nous entreprenons ce voyage vers l’ailleurs, pourrons-nous échapper à nous-mêmes, “sortir de notre esprit” – ou prendrons-nous conscience, une fois arrivés, que nous sommes le produit de l’endroit d’où nous venons ? Même si elle s’appuie sur des comportements et des objets du quotidien, l’œuvre de Laure Prouvost a des allures de conte de fées. Ses histoires sont souvent un peu fantastiques, ou relèvent du mythe, comme si les protagonistes partaient chercher un trésor de l’autre côté de l’arc-en-ciel, un mirage dans le désert, une maison en pain d’épices – pour que s’opère au cours du voyage une sorte de transformation radicale.

L’œuvre de Laure Prouvost, entre mythe et conte de fées

Comme moi, et comme beaucoup d’autres, Laure est à la recherche de quelque chose. Mais, comme moi et comme beaucoup d’autres, elle ne sait pas exactement ce qu’elle cherche, ce qui rend la chose impossible. Chaque fois qu’elle découvre ou apprend quelque chose de nouveau, elle se rend vite compte qu’elle l’a mal interprété, mal compris. Que la surface, l’image, les lettres ou les sons ne sont pas ce qu’ils paraissaient. Et à chaque fois qu’elle parvient à cette conclusion, elle repousse l’image pour découvrir ce qu’il y a derrière, réarrange les lettres pour voir ce qu’elles révèlent, et murmure les mots à voix haute pour entendre leurs secrets. Il se peut alors qu’elle ne trouve pas ce qu’elle est venue chercher, mais en général, elle saisit autre chose. Elle m’a raconté que l’idée de Deep Blue Sea Surrounding You était centrée sur le voyage qui l’a conduite à réaliser cette œuvre : un voyage qui n’atteint aucun point culminant, n’a aucune fin concrète, mais nous fait connaître l’expérience d’être avec d’autres que soi, tout au long du chemin. 

Laure Prouvost. Deep See Blue Surrounding You/Vois ce bleu profond te fondre”, du 11 mai au 24 novembre 2019, Pavillon français, Biennale de Venise.