Rencontre avec Sofiane Zermani (Fianso), rappeur et acteur magnétique
Rares sont les artistes issus de la musique à briller au cinéma. Mais le rappeur français Sofiane Zermani alias Fianso, 38 ans, a réussi le pari de se montrer aussi talentueux et intense dans les deux domaines. Rencontre avec un artiste charismatique, à l’affiche du film de braquage Les Règles de l’art.
propos recueillis par Violaine Schütz,
Sofiane Zermani, acteur et rappeur flamboyant
Rares sont les artistes issus de la musique à briller au cinéma. Mais le rappeur français Sofiane Zermani alias Fianso, 38 ans, a réussi le pari de se montrer aussi talentueux et intense dans les deux domaines. Après une prestation remarquée dans le thriller aquatique Netflix Sous emprise (2022), il est apparu en requin de la finance magnétique et faussement généreux envers une apprentie tradeuse venue de banlieue dans le fascinant film La Vénus d’argent, puis confirme son talent d’acteur avec les films Barbès, little Algérie (2024) et Reine mère (2025).
Cette semaine, l’acteur charismatique au sourire charmeur revient dans le film Les Règles de l’art. Une comédie aux accents de polar inspirée du spectaculaire vol de cinq chefs-d’œuvre au musée d’Art moderne de Paris en 2010. Sofiane Zermani y incarne Éric Moreno, un marchand d’art aussi flamboyant que névrosé, passé maître dans l’art de l’arnaque et des entourloupes. Face à Melvil Poupaud, qui campe son acolyte, un expert en horlogerie déboussolé, l’acteur déploie une palette de jeu surprenante.
Ce rôle taillé sur mesure pour cet interprète habité, à la fois brut et nuancé, confirme qu’il est bien plus qu’un rappeur reconverti. L’occasion parfaite pour discuter avec lui des ponts entre musique et cinéma, de ses comédies algériennes favorites, de ses projets à venir… Et de sa définition très personnelle de la réussite.
L’interview de Sofiane Zermani alias Fianso, à l’affiche du film Les Règles de l’art
Numéro : Dans le film Les Règles de l’art, vous incarnez un marchand d’art véreux. Comment s’est déroulée la rencontre avec votre personnage ?
Sofiane Zermani : J’ai évidemment mis un peu de moi dans ce personnage, dans son débit de parole, dans quelques codes de “margoulin”. Mais il fallait aussi que je m’en éloigne vite. Le look, le vieillissement, tout ça m’a aidé. J’ai pris 14 kilos pour casser mon physique trop affûté, afin d’imaginer qu’il sortait d’une mauvaise passe. Il fume, il mange, il a toujours un truc dans les mains, il bouge sans arrêt, comme un prédateur. Il parle pour noyer l’autre sous les mots. C’est un beau parleur, un sophiste non assumé. Ce rôle m’a vraiment happé et l’idée de former un duo avec Melvil Poupaud m’a profondément séduit.
En effet, vous partagez l’affiche avec Melvil Poupaud, dont le personnage se situe totalement à l’opposé du vôtre…
On s’est adorés sur ce tournage et Melvil est devenu un pote. C’est un acteur ambitieux, mais avec une ambition saine : il compte sur son talent, son travail, et il est hyper généreux. Il est toujours au service des autres, que ce soit de ses partenaires ou du réalisateur. Et si tu es prêt à recevoir, tu passes un moment génial avec lui.
“La réussite, c’est faire ce qu’on veut après avoir fait ce qu’on doit !” Melvil Poupaud
Le personnage d’Éric Moreno que vous incarnez dans le film, tout comme celui de Farès dans La Vénus d’argent, accorde une grande importance à l’argent, à la réussite et à ses signes extérieurs (belle voiture, belle montre, chemises bien coupées)…
Quand on n’a pas grand-chose, on a tendance à vouloir en montrer beaucoup. C’est exactement ce que fait Éric. Il brille, il claque, il en fait des tonnes — mais c’est un leurre. C’est sa manière d’attirer l’attention, comme un prestidigitateur. Ses montres, ses voitures, ses chemises, ça fait partie de son attirail. Moi, je vois ça comme une façade, pas comme un réel besoin. Dans la vraie vie, plus tu cherches à afficher ta réussite, plus tu frôles le ridicule.
C’est-à-dire ?
C’est un peu comme ces vêtements de luxe ultra logotypés, souvent achetés pour prouver qu’on a « réussi », alors qu’en réalité, ce sont des signes d’un besoin de reconnaissance plus que d’un accomplissement profond. Quant à Farès, il emploie tous les codes d’un monde auquel il appartient (la finance), mais encore plus auquel il veut appartenir. Je suis plus discret que lui mais au-delà de l’argent, c’est le statut et la position sociale de Farès qui m’inspirent et me ressemblent.
Quelle est pour vous la définition de la réussite ?
La réussite c’est faire ce qu’on veut après avoir fait ce qu’on doit !
“L’art fascine parce qu’il reste l’un des derniers bastions culturels perçus comme élitistes.” Sofiane Zermani
Pourquoi d’après-vous, l’univers de l’art est-il aussi cinématographique ?
L’art fascine parce qu’il reste l’un des derniers bastions culturels perçus comme élitistes. Le cinéma ou la musique sont plus accessibles, mais l’art garde cette image un peu distante, feutrée, réservée à une certaine classe sociale. Alors qu’en réalité, il est ouvert à tous. C’est sans doute ce décalage entre accessibilité réelle et image sociale qui intrigue. Le cinéma, en s’y intéressant, permet de démystifier cet univers. L’art, aujourd’hui, n’échappe pas au système capitaliste. Et c’est ça, au fond, qui le rend aussi cinématographique.
Votre nouveau film tire du côté de la comédie. Est-ce un registre que vous appréciez particulièrement ?
Ce que j’ai adoré, c’est que ce n’était pas écrit comme une comédie à la base. Petit à petit, un ton plus léger s’est installé. Est-ce que j’ai envie de continuer à tourner des films dans ce registre ? Oui, carrément. Mais pas n’importe comment. L’humour facile, calibré pour les plateformes, ce n’est pas mon truc. Faire rire, ce n’est pas prendre les gens pour des imbéciles. C’est un art. J’ai grandi avec des comédies françaises et algériennes subtiles, pleines de finesse. Ce sont ces modèles-là qui m’inspirent. Il en va de même pour les humoristes : j’ai du respect pour ceux qui construisent un vrai propos, pas juste des vannes sur le premier rang. Peut-être que je suis un vieux con, mais c’est ça qui me fait rire.
Quels sont d’ailleurs vos films et vos comédies préférées ?
Mes films préférés, ce sont Les Affranchis, Arrête-moi si tu peux et Usual Suspects. Mon réalisateur fétiche, c’est Bryan Singer (Usual Suspects) et mon acteur favori, Robert De Niro dans Les Affranchis. J’ai aussi grandi avec les films de Mahmoud Zemmouri, un réalisateur algérien que j’adore. Les Folles années du twist (1986), De Hollywood à Tamanrasset (1990)… ce sont des classiques ! Évidemment, du côté comédies françaises, j’aime Le père Noël est une ordure (1982) et Le Dîner de cons (1998). Et La vie est un long fleuve tranquille (1998) avec la famille Groseille. Ce film est incroyable, j’en ai pleuré de rire.
“L’humour facile, calibré pour les plateformes, ce n’est pas mon truc.” Sofiane Zermani
Quelques mois plus tôt, vous étiez à l’affiche du film Reine mère avec Camélia Jordana. Comment s’est déroulé ce tournage ?
Je partage un lien très fort avec Camélia Jordana, presque fusionnel. On s’aime beaucoup, c’est une amie proche, quelqu’un que je considère comme faisant partie de ma famille artistique. J’avais beaucoup aimé Un divan à Tunis (2020) le premier film de Manele Labidi. Et Reine mère était un tournage tout en douceur, une sorte de petite pièce précieuse, intime, dans un univers très féminin. Ça m’a beaucoup touché.
Dans le film La Vénus d’argent (2023), vous jouez aux côtés de Claire Pommet alias Pomme. Elle aussi, vient de la musique. Est-ce que cela a créé des liens avec vous ?
J’ai adoré le scénario et la proposition de la réalisatrice du film d’Héléna Klotz, qui mélange les mondes et questionne les identités. C’est pour ce genre de film que je fais du cinéma. Je pense que la rencontre avec Pomme est en premier lieu philosophique et cérébrale avant même de nous trouver ce point commun musical. C’est un humain “champignon” qui m’inspire beaucoup et que je respecte pour son caractère, ses positions et la cohérence de ce qu’elle renvoie avec la personne que j’ai pu rencontrer.
Pensez-vous partager des points communs avec Farès, votre personnage de La Vénus d’argent ?
Énormément ! Il porte la gagne et l’ambition sur son visage. Les vêtements qu’il porte sont mes vêtements personnels. Les expressions qu’il emploie sont souvent tirées d’impros à moi, réalisées sur le plateau. Farès est au moins constitué de 50% de Sofiane et inversement.
“Pour moi, Il y a plus de points communs que de différences entre le rap et le cinéma.” Sofiane Zermani
On vous a d’abord connu rappeur. Et rares sont les artistes musique à réussir autant en musique qu’au cinéma. Comment expliquez-vous que vous ayez été accepté tout de suite dans le monde du 7e art ?
En réalité, la question me flatte. Je pense que le fait d’avoir été sincère et le désir de faire mes preuves en passant par des petits rôles et du théâtre, ont aidé ce métier à m’accepter. Tout n’est qu’envie et rêves dans ma démarche et j’ai simplement pris l’invitation de ce monde très au sérieux.
Quels sont pour vous les points communs et les plus grosses différences entre le monde du rap et celui du cinéma ?
Pour moi, il y a plus de points communs que de différences entre ces deux mondes. Mais si je devais citer une différence, ce serait le prestige que la musique envie au cinéma.
Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
En ce moment, je travaille sur plusieurs projets. Tout d’abord, il y a le deuxième film de Vincent Maël Cardona intitulé Le Roi Soleil, avec un casting génial composé de Pio Marmaï et Lucie Zhang. Ensuite, je fais une apparition dans la série Nero sur Netflix. À la fin de l’année, je pars en tournage pour trois longs-métrages d’aventures prévus pour le printemps prochain. Et enfin, je projette également de produire et de réaliser.
Les Règles de l’art de Dominique Baumard, actuellement au cinéma.