17 mar 2022

Rencontre avec Laure Hériard-Dubreuil, fondatrice du concept-store The Webster au succès exceptionnel

En 2009, séduite par l’énergie et l’architecture Art Déco incomparables de la ville de Miami, Laure Hériard-Dubreuil, ouvre The Webster, un concept-store à la sélection pointue qui attire rapidement la faune internationale de la foire d’art contemporain Art Basel. Numéro a interviewé la business woman française, désormais à la tête de dix boutiques, sur son parcours et sur les tendances actuelles.

 

propos recueillis par Léa Zetlaoui.

Laure Heriard-Dubreuil, fondatrice de the Webster

Dans l’industrie de la mode et du luxe, la réussite de Laure Hériard-Dubreuil incarne à merveille l’idée que l’on se fait de l’american dream. Si cette entrepreneuse solaire, qui voit le jour en 1977 à Paris, a la chance d’avoir grandi dans un milieu aisé (sa famille possède les cognacs Remy Martin), elle ne doit son éclatante réussite qu’à son audace, sa détermination et sa bienveillance. En 2009, bien que Miami Art Basel en soit déjà à sa 7 ème édition, la ville de Floride à la réputation peu reluisante peine à tirer profit du rayonnement qu’est censé lui prodiguer la célèbre foire d’art contemporain. Séduite par l’énergie de cette ville et son style Tropical Art déco si particulier, Laure Hériard-Dubreuil jette son dévolu sur The Webster, un hôtel rose et bleu construit en 1939 au sein duquel elle ouvre un concept-store aux sélections ultra-pointues. Rapidement, The Webster devient une adresse incontournable pour la faune artistique qui peuple Art Basel. tandis que sa fondatrice impose en douceur son goût pour une mode colorée et ludique, fun sans être kitsch, exigeante sans être snob. À cette époque où les réseaux sociaux et les influenceurs n’existent pas encore, The Webster, à l’instar des concept-stores Colette ouvert à Paris en 1997 et Dover Street Market, inauguré à Londres en 2004, jouit d’une réputation et d’un pouvoir prescripteur incomparables dans l’industrie de la mode. Et tandis que les marques de luxe, galeries d’art et restaurants branchés, convaincus par le succès de The Webster, envahissent peu à peu Miami en s’installant au sein du très luxueux Design District, la business woman française déploie son concept à travers le pays. Désormais à la tête de dix boutiques, dont une dans le très branché quartier de Soho à New York (2017) qui accueille également le salon du coiffeur David Mallett, une à Los Angeles signée de l’immense architecte David Adjaye (2020) et sa première située hors des Etats-Unis, à Toronto (2021), Laure Hériard-Dubreuil a su transformer The Webster en une entreprise pérenne, qui s’est adaptée progressivement à tous les changements majeurs de l’industrie, notamment l’ascension du e-commerce et des réseaux sociaux. Aujourd’hui dans ses boutiques, les maisons de luxe françaises et italiennes comme Dior, Chanel ou Fendi côtoient les jeunes labels LaQuan Smith, The Attico, Palm Angels et Casablanca, tandis que régulièrement, The Webster signe des collaborations exclusives avec de grandes marques à l’instar de Bottega Veneta avec une pochette fuchsia ou de Mugler pour une collection de pièces shapewear ajourées roses également. Pour Numéro, Laure Hériard-Dubreuil revient sur son parcours et sur le succès de The Webster.

 

Depuis l’ouverture de votre première boutique en 2009 à Miami, le nom et l’image de The Webster sont indissociables de cette ville de Floride. Comment avez-vous choisi cette destination?

Quand j’ai découvert Miami, à l’occasion de la foire d’art contemporain Art Basel, je suis tombée amoureuse de Miami. C’est une ville puissante, notamment grâce à son hub financier, et en même temps historique, avec une architecture Art déco unique au monde, qui plus est, située au bord de la mer avec un climat tropical. Outre le fait que c’est un point de rencontre entre les États-Unis et l’Amérique Latine, il y a une gaité et une joie de vivre exceptionnelle qui émanent de cette ville.

 

À l’époque, Miami n’était absolument pas une destination mode, vous avez pris un vrai risque.

C’est vrai que Miami était une ville endormie comparée aux années 90, quand Gianni Versace et Madonna y séjournaient. Il n’y avait aucune boutique de mode, le Design District (où se situent aujourd’hui les galeries d’art et boutiques de luxe ainsi que les restaurants branchés) n’existaient pas encore et quelques multimarques proposaient une sélection très ennuyeuse. Même si on m’a vivement déconseillée de m’installer ici, en tant que française je n’avais pas d’a priori sur la ville ou le quartier de South Beach, j’avais toute l’énergie d’une jeune entrepreneuse et j’ai eu un véritable coup de cœur pour ce bâtiment bleu et rose qui accueille la première boutique The Webster. Au fur et à mesure des années, les choses ont changé, notamment grâce à Art Basel et aujourd’hui, Miami est devenue une destination privilégiée des maisons et marques de luxe.

 

Dès le lancement de The Webster en 2009, vos sélections ultra-pointues de prêt-à-porter et accessoires contrastent avec l’image que l’on se faisait de Miami. Avez-vous rencontré des difficultés à imposer votre vision?

Quand j’ai commencé les achats pour The Webster, les marques me montraient des produits très bling, à l’image de la ville. Tout ce que j’ai acheté selon cette esthétique ne s’est pas du tout vendu. En revanche, ce qui marchait c’étaient les pièces que j’aimais et voulais porter. J’ai très vite compris qu’il faudrait travailler en profondeur l’identité de The Webster pour qu’elle corresponde à mes goûts et que l’on me fasse confiance

La boutique The Webster de Los Angeles signée de l’architecte David Adjaye

Un pari que vous avez relevé avec brio puisque régulièrement des maisons et labels font appel à vous pour des collaborations, reprenant votre esthétique ludique et colorée.

Mon équipe et moi croyons beaucoup aux pièces que nous choisissons. Il y a toujours dans nos sélections cet esprit solaire et ludique et nous gardons cette vision sans nous laisser influencer par l’aspect commercial. Même quand il s’agit de sélectionner des pièces pour notre boutique de New York, bien que le climat et le style de vie soient différents de ceux de Miami ou Los Angeles. Et effectivement, c’est aussi ce que les marques et les designers apprécient. Parfois, les créateurs demandent même à revoir nos choix car ils apprécient les sélections. C’est très flatteur et ça me rend fière. 

 

Comment expliquez-vous le succès fulgurant de The Webster et son rayonnement international immédiat ?

Je pense que le succès de The Webster est bien sûr lié à celui d’Art Basel. La foire à apporter une clientèle internationale et sophistiquée qui ne manquait jamais une occasion de faire du shopping chez The Webster. D’ailleurs, au début, la boutique était davantage connue à l’internationale, grâce au bouche à oreilles, qu’au niveau national. 

 

Vous avez aujourd’hui dix boutiques aux Etats-Unis et une à Toronto, à quand un espace parisien?

Je m’implique énormément dans mon projet au point d’habiter dans les villes des trois flagships de The Webster, Miami, New York et aujourd’hui Los Angeles. Ainsi je peux développer au mieux de nouveaux marchés, comprendre les habitudes et envies de la clientèle locale et adapter l’esthétique et la sélection de chacune des boutiques. C’est pour cela que je n’envisage pas d’ouvrir un espace à Paris sans revenir y habiter et pour l’instant ce n’est pas dans mes projets. Mais il ne faut jamais dire jamais! J’essaye tout de même d’avoir une présence en France, comme lors de ma collaboration avec le Bon Marché en 2015!

 

Parmi toutes vos boutiques, quelle est votre préférée et pourquoi?

Je dirai celle de Miami South Beach car c’est la première, celle qui a donné son nom et son identité à tout le concept de The Webster. D’ailleurs je pense lui donner un petit lifting dans les prochains mois!

La première boutique The Webster à Miami

Ces derniers mois, quelles marques ont eu le plus de succès auprès de vos clientes ? 

Après les vagues de confinement qui nécessitaient des pièces loungewear et streetwear, il y a un vrai désir de silhouettes sexy et glamour, d’être sophistiquée sans avoir peur du too much. On veut des talons hauts Amina Muaddi, des robes à découpes de Laquan Smith et Mônot ou encore les mini-robes pailletées de The Attico. Sinon, aux côtés des Dior, Chanel et Saint Laurent, le label Courrèges opère un vrai retour. Ce qui me plait beaucoup car c’est une marque très parisienne, une esthétique parfois difficile à vendre aux Etats Unis.

 

Et de vos clients?

Pour les hommes, ce sont des marques très colorées et opulentes qui séduisent comme les labels californiens Amiri et Palm Angels, la marque new-yorkaise Bode, ou encore Casablanca. Aux Etats Unis, chez l’homme, on a vu aussi émergé une tendance pour les full looks qui consistent à associer la même couleur ou le même imprimé pour toute la tenue, jusqu’aux chaussures, parfois même avec des marques différentes.

 

Quelles différences constatez-vous entre les styles français et américain?

Parfois c’est plus dur pour les marques françaises de s’imposer aux Etat-Unis à cause des coupes et du climat. Pour les américain.es, le confort est primordial. Si les talons sont hauts, il faut quand même pouvoir marcher avec, si la robe est près du corps, il faut qu’elle soit stretch pour pourvoir conduire et bouger librement. Et puis, la météo est tellement différente d’une ville à l’autre. Par exemple, à Miami, il fait très chaud et humide alors qu’à New York l’hiver il fait un froid très sec.

La robe Casita du label LHD de Laure Hériard-Dubreuil

En 2017, vous avez lancé un label à vos initiales LHD. Pourquoi proposer vos créations et comment viennent-elles compléter l’offre de The Webster ?

La demande est venue très tôt de la part de nos clientes qui ont remarqué mon goût pour les couleurs vives et les imprimés et la façon dont je m’amusais avec. L’idée était de proposer des créations faciles à porter avec un prix plus accessible que les marques que je propose pour ne pas décourager les clientes qui auraient peur d’investir dans un motif ou une couleur qu’elles n’ont pas l’habitude de porter.  

 

Parmi toutes les pièces LHD, laquelle a le plus de succès? 

Sans aucun doute la robe Casitas, un modèle court boutonné avec des manches ballons. Quand j’ai imaginé cette robe, je me suis dit : que vais-je mettre dans ma valise pour aller à Miami? J’ai donc proposé une robe qui exhale un parfum de soleil, très colorée avec des motifs de palmiers. Puis je la décline en fonction de mes envies et de mes destinations ! C’est une robe très versatile et certaines clientes l’aiment tellement qu’elles l’achètent dans tous les imprimés.

 

Les vêtements et accessoires sont évidemment très présents quand on évoque The Webster, mais aujourd’hui vous proposez également des sélections enfant et des objets de décoration. 

Tout s’est fait très naturellement! J’ai toujours envisagé The Webster comme une destination où le temps s’arrête, qui certes reflète mon univers, mais aussi où les clients.es se sentent aussi à l’aise que chez un ami. Finalement le côté lifestyle a toujours été très présent avec ce mélange de pièces design, de mobilier vintage et d’œuvres d’art contemporain. D’ailleurs, dès le début, nous avons eu des demandes pour acheter le canapé ou des objets de décoration. Pour les sélections enfant, l’envie est venue naturellement quand je suis devenue mère.

 

Enfin en 2020, vous avez lancé votre première sélection de soins et maquillage. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps?

J’ai toujours voulu inclure de la beauté mais pour nous, c’est un vrai challenge. Comme je l’expliquais précédemment, le concept de The Webster s’appuie davantage sur une visite boutique qui mise sur le sensoriel et l’expérience plutôt que sur un trafic important. Or, les produits de beauté prennent non seulement de la place, mais nécessitent beaucoup de visites pour être rentable. Finalement, nous avons lancé sur notre e-shop les produits soins et le maquillage pendant le confinement et ça a cartonné. Dans peu de temps, nous allons inclure cette nouvelle sélection dans les boutiques qui génèrent beaucoup de visites comme celles de South Plaza en Californie ou ​​de Bal Harbour en Floride.

 

 

Retrouvez les collections The Webster sur thewebster.us