Art

13 oct 2022

Paris+ par Art Basel : 5 artistes émergents à découvrir

Pour la première copublication de Numéro art et Paris+ par Art Basel, la critique d’art Ingrid Luquet-Gad a sélectionné cinq projets parmi les 16 présentations solo du secteur Galeries Émergentes de la foire d’art contemporain, présentée du 20 au 23 octobre prochains au Grand Palais Éphémère.

En collaboration avec Paris+ par Art Basel.

Détail d’une oeuvre de Caline Aoun, qui sera présentée par Marfa’ à Paris+ par Art Basel. Avec l’aimable permission de l’artiste et Marfa’, Beirut.

1. Caline Aoun (née au Liban en 1983), présentée par Marfa’, Beyrouth

Caline Aoun pense la durée, et pour la penser, elle la montre : par les traces sédimentées de son passage, celles que l’on tend à oublier, ou à ne plus percevoir. Contre le temps accéléré du flux digital, l’artiste rend tangible une durée rematérialisée, sédimentée et organique. Avec Matters of Time [Matières du temps], l’artiste décline une série d’œuvres autour d’une fontaine centrale infusée d’encre d’imprimante cyan.

Aux murs, une série de monochromes sur papier, réalisés à partir de la superposition d’impressions, se font les palimpsestes de leur durée – le titre mentionnant la couleur de l’encre tout autant que l’exacte durée d’un processus de plusieurs heures. Ces œuvres sont prolongées d’une toile de coton imbibée des résidus d’impression du studio de l’artiste, ou encore de toiles laissées en extérieur, exposées au passage des saisons et aux végétaux s’y déposant en négatif. Un manifeste pour une décélération sécessionniste, à portée de main de chacun. 

Marlon de Azambuja, “Monumental” (2015). Avec l’aimable permission de l’artiste et Instituto de visión, Bogota et New York.

2. Marlon de Azambuja (né en 1978 au Brésil), présenté par Instituto de visión, Bogota et New York

Dans sa nouvelle série Posse, Marlón de Azambuja orchestre la rencontre entre deux registres : soit une porcelaine européenne du 18e siècle représentant un groupe de perruches bariolées, positionnée sur la modélisation en béton d’une architecture brutaliste. Rencontre de contraires donc, mais qui n’est fortuite qu’à première vue. L’artiste s’emploie précisément à excaver les systèmes d’exploitation asymétriques hérités des Lumières et de la modernité universaliste, coloniale et patriarcale.

C’est ceux-ci qu’il observe au sein de l’architecture fonctionnaliste brésilienne, et dont il traque les conséquences sur la vie des sujets contemporains auxquels il s’inclut. L’oiseau tel que placé sur son socle ne fait alors rien moins que rendre visible ces filiations, de l’exotisme projeté jusqu’aux manières d’habiter imposées. Aujourd’hui encore, les corps demeurent contraints par une rationalité coulée dans le béton qui nie leur libre expression.

Thea Gvetadze, “Kind Philosopher” (2022). avec l’aimable permission de l’artiste et LC Queisser, Tbilisi.

3. Thea Gvetadze (née en 1971 en Lettonie), présenté par LC Queisser, Tbilissi

Il n’y a pas, chez Thea Gvetadze, de langage, sujet ou médium dominant. Plutôt un registre de techniques et de matériaux – argile, mosaïque, textile ou peinture sur velours – qui, ensemble, expriment une sensibilité vernaculaire : celle qui dote les fables de leur portée atemporelle et les formes d’expression populaire de leur vérité affective. L’artiste s’en imprègne lorsqu’elle arpente les régions rurales de Géorgie, qu’elle se penche sur leurs représentations historiques tout en se mettant à l’écoute de ses habitant∙e∙s actuel∙le∙s.

L’installation Divine Beauty, Hellish Bitterness for One’s Own, and Universal Orphanhood [Beauté divine, amertume infernale pour les siens, et statut d’orphelin universel] démontre cette approche. Mural composite, peinture grand format et compositions textile déclinent l’apparition théâtrale du « philosophe bienveillant », un personnage hybride à la chair de pastèque, à la cage thoracique humaine et bardé d’un micro telle une prothèse technologique. Le sage va parler : il est à l’image de l’engagement de l’artiste en faveur de ceux∙elles maintenu∙e∙s en marge de l’élocution – et de la visibilité.

Nile Koetting, “Compressed +” (2021). Avec l’aimable permission de l’artiste et Parliament, Paris.

4. Nile Koetting (né en 1989 au Japon), présenté par Parliament, Paris

Les enfants du post-internet ont grandi. Cette génération d’artistes des années 2010, biberonnée au Web 2.0, aura développé un vocabulaire visuel explorant l’environnement techno-médiatique quotidien : fluide, moiré, propulsé en orbite digitale. Les futur·e·s connecté·e·s radieux·ses, dépassant les frontières physiques et les inégalités terrestres, iels y auront cru. Mais en une poignée d’années à peine, les temps se sont durcis : urgence climatique, pandémies globales, soubresauts d’une humanité se redécouvrant faillible et fragile. Nile Koetting leur succède et, en conséquence, adapte et nuance le propos de cet héritage à travers des installations qu’il active souvent avec des performances.

Il ne s’agit plus de s’échapper dans le Cloud, mais d’habiter malgré tout un réel confus, où la survie élémentaire n’est plus assurée malgré les gadgets technologiques dont chacun·e s’entoure pour tenter de paramétrer un quotidien anxiogène. Alors, de sa formation issue du théâtre japonais butō et de la performance, il tire les protocoles d’une chorégraphie sociale qui introduisent une dystopie imminente. À l’instar du projet Upcoming Events [Événements à venir] : une scène de théâtre, éclairage rasant compris, dont les sculptures vidéo, assises transformables et ikebanas en impression 3D, répètent une imprévisibilité programmée.

Yong Xiang Li, “Hydraulic Masc 1” (2021). Avec l’aimable permission de l’artiste et Antenna Space, Shanghai.

5. Yong Xiang Li (né en 1991 en Chine), présenté par Antenna Space, Shanghai

Dans chacun des médias qu’il investit, Yong Xiang Li introduit des déplacements iconographiques furtifs. Basé depuis une décennie en Allemagne, tout est chez lui question de décentrements d’une subtile érudition. Au sein de sa plus récente installation, chaque œuvre est disposée en octogone, sa face peinte disposée vers l’extérieur. Il faut alors, pour percevoir le motif qui se dérobe à la vision en surplomb, tourner autour de dispositifs tridimensionnels qui reprennent les structures du mobilier d’usage : une assise, une étagère, un paravent, potentiellement repliables et rendu·e·s à leur usage fonctionnel. Avec ce dispositif, l’artiste fait appel à une perception incarnée et sensuelle, introduisant une mise en scène d’une sensibilité queer rejouée.

Si les sièges déclinent un jardin stylisé de bambous, les plus grandes structures, celles qui, spatialement, cachent et présentent à la fois, répètent la même ambiguïté au sein de la représentation : dans l’une, le profil d’un visage mutin et fuyant est dissimulé dans le coin inférieur, et dans l’autre, une saynète domestique d’un autre jeune garçon qui, tout en jouant nonchalamment avec un félin, déporte à son tour son regard du cadre pour attraper celui du spectateur∙rice-voyeur∙se. Au fil d’une infinie partie de cache-cache, le sujet de la représentation semble se montrer pour mieux se dérober, conscient du danger de l’objectivation tout en se prêtant au potentiel érotique du jeu. 

Les pratiques des cinq artistes sélectionnés sont présentées dans le secteur Galeries Émergentes de la foire Paris+ par Art Basel, du 20 et 23 octobre 2022 au Grand Palais Éphémère, Paris 7e.