Le jour où l’artiste Michael Heizer se prit pour un pharaon dans le désert du Nevada
Le 7 novembre 1970, l’artiste américain Michael Heizer, alors âgé de 24 ans, survola le désert du Nevada à bord d’un petit avion, accompagné de Guido Robert Deiro, un pilote qu’il avait engagé afin de trouver un terrain à acheter dont la configuration serait adaptée à son projet…
Illustration par Soufiane Ababri.
Texte par Éric Troncy.
Michael Heizer envisageait en effet de construire diverses sculptures abstraites et monumentales. “Je ne suis pas venu ici pour le décor. Je suis venu pour les matériaux, pour le gravier, le sable et l’eau dont on a besoin pour faire du béton, et aussi parce que le terrain désertique est bon marché, plat et parfaitement théâtral. Il n’est pas question de paysage.” Il choisit un terrain de 800 hectares dans la Garden Valley, à environ 200 km de Las Vegas, dont il fit l’acquisition parcelle par parcelle. Il s’y installa définitivement en 1972, d’abord dans une caravane, puis dans un ranch qu’il édifia sur le site. Une première construction, Complex One, fut achevée en 1974, puis une autre, Complex Two, démarrée en 1980 et terminée en 1988 – après de prévisibles déboires financiers. Il s’agissait de sculptures en béton armé et terre compactée, la plus grande mesurant plus de 300 mètres de large et 7 mètres de haut.
“Ma pratique reflète ma conscience de vivre à l’ère nucléaire. Nous sommes peut-être en train de vivre la fin de la civilisation”, expliquait Heizer, généralement peu disert sur son travail. “Je ne suis pas là pour expliquer aux gens ce que cela veut dire, dit-il au New York Times. Vous pouvez comprendre tout seul.” Difficile, cependant, de se faire une opinion puisque le site restait fermé au public tant que l’œuvre n’était pas jugée achevée : aux deux premiers Complex s’en étaient ajouté, au fil des années, trois supplémentaires – pour lesquels Heizer devait trouver des financements.
Le bruit courut que City serait achevée à la fin de l’année 2010, comme il courut de façon itérative depuis sa création jusqu’à aujourd’hui. Probablement le monde de l’art était-il impatient de découvrir enfin cette œuvre invisible qui narguait sa patience et sa curiosité. Heizer se montra décourageant, sans détour : “Je n’envisage même pas de la terminer. J’y travaillerai toute ma vie. J’irai aussi loin que je pourrai. […] Ce projet s’inscrit dans une échelle de temps que le monde de l’art est manifestement incapable d’appréhender. J’ai vécu en toute discrétion pendant plus de trente ans et n’aspire à présent qu’à la tranquillité. Tous ces gobe-mouches s’amènent comme au spectacle. Il y en a qui sur- volent [les lieux] en avion. Ici, c’est une propriété privée. Les gens s’imaginent que je vais leur montrer. Voilà une idée malavisée.”
Le 2 septembre 2022 toutefois, cinquante ans après le début de sa construction et pour un mois à peine, City ouvrit finalement ses portes aux “gobe-mouches” qui en avaient fait la demande par écrit auprès de la fondation gérant le projet. Celle-ci avait prévenu que les demandes “seraient traitées selon le principe du premier arrivé, premier servi” : pas plus de six visiteurs par jour et un ticket d’entrée à 150 dollars – finalement peu par rapport aux 40 millions de dollars dépensés dans sa production.