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Hedi Slimane
Hedi Slimane, né le 5 juillet 1968 à Paris, photographe styliste français et visionnaire insaisissable, façonne depuis plus de deux décennies un monde à part — fait de silhouettes affûtées, d’icônes underground et d’une élégance acide. À travers ses années chez Dior Homme, Yves Saint Laurent et désormais Celine, il compose une partition visuelle où chaque note est taillée au scalpel.

Les débuts de Hedi Slimane
Avant de tailler le monde dans la ligne étroite d’un blazer noir, Slimane avait déjà trouvé son outil de prédilection : la lumière. Adolescent, il s’initie à la photographie, explorant ce noir et blanc cru qui deviendra sa signature. La caméra est son premier atelier : il ne dessine pas encore des vêtements, mais cadre déjà des silhouettes, saisissant les attitudes plus que les corps.
À Paris, il étudie l’histoire de l’art, hésite un temps à devenir journaliste, mais très vite s’oriente vers la mode. Sa fascination pour les coupes précises et la radicalité formelle le pousse vers les ateliers. En 1996, Yves Saint Laurent l’accueille pour diriger la ligne masculine Rive Gauche, première étape d’un chemin qui ne cessera de mêler la couture et le rock, la photographie et la silhouette. Chez lui, rien n’est décoratif : tout est structure, ombre, respiration. Déjà, il impose une ligne qui ne cherche pas la monumentalité mais la tension.
L’homme qui photographiait la jeunesse

Avant même d’habiller les corps, Slimane les fixe dans une intensité presque documentaire. Sa photographie noir et blanc, à la fois sèche et sensuelle, refuse la pose. Elle capture la vibration de l’instant, la fragilité d’une jeunesse saisie dans son incandescence. Ses modèles, souvent anonymes, apparaissent sans fard, comme projetés dans une lumière qui les dénude plus qu’elle ne les éclaire. Chaque cliché est une épure : un visage, un geste suspendu, un silence. Le grain charnel de ses images évoque une vérité brute, qui n’a rien de nostalgique.
Portraitiste de l’underground
On y croise Pete Doherty, Sky Ferreira, ou des silhouettes anonymes capturées entre Berlin et Los Angeles. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas le lieu mais la vibration : une jeunesse musicale, flottante, parfois perdue, mais toujours magnétique. L’appareil devient sanctuaire, le portrait manifeste. Slimane ne photographie pas une génération ; il invente une mythologie contemporaine de la jeunesse.
De l’image à la mode, sans couture
Ce passage de l’image au vêtement se fait naturellement. Pour Slimane, la mode n’est que l’autre face de la photographie : un prolongement. Dès son arrivée chez Dior Homme, il transpose l’esthétique rock de ses clichés dans un vestiaire nerveux. Les silhouettes se resserrent, se tendent. Comme si ses photographies avaient trouvé un volume à habiter.
Dior Homme ou l’avènement du skinny chic

En 2000, Slimane prend les commandes de Dior Homme. La mode masculine est encore engoncée dans des volumes larges, hérités des années quatre-vingt-dix. Il renverse l’équation. Sa silhouette skinny — pantalons seconde peau, blazers effilés, chemises fuselées — devient une norme mondiale.
Ce n’est pas seulement un style : c’est un manifeste. La mode masculine bascule d’un coup dans une nouvelle ère. David Bowie l’adopte, Karl Lagerfeld en fait un régime personnel pour entrer dans ses costumes, Daft Punk s’y reconnaît. Une révolution silencieuse, mais planétaire.
Le masculin en mue
Ce choix n’est pas anodin. Derrière cette ligne tranchante, Slimane redéfinit le masculin. Fini le costume-pouvoir, place à un corps libéré, affiné, parfois androgyne. L’homme qu’il dessine est affranchi : un dandy moderne, à mi-chemin entre le rocker et le moine urbain. Il ne s’agit pas d’un affaiblissement mais d’une réinvention. Le minimalisme qu’il impose dit autre chose : que l’élégance masculine peut être une tension, non une armure.
Yves Saint Laurent, le territoire brûlant

En 2012, Slimane revient chez Yves Saint Laurent. Son premier geste est un coup de tonnerre : il rebaptise la maison Saint Laurent Paris. Les critiques s’enflamment, l’héritage semble menacé. Mais cette rupture cache une stratégie claire : débarrasser la maison d’un académisme pesant pour renouer avec l’esprit insoumis de son fondateur.
Les défilés deviennent incandescents. Les silhouettes s’inspirent des clubs new-yorkais, des rues du Marais, des arrière-scènes de concerts. Le cuir, les bottines cubaines, les mini-robes pailletées s’imposent. L’univers punk et rock s’infiltre dans une couture jusque-là corsetée. Détesté par une partie de la critique, adoré par la jeunesse mondiale, Slimane impose Saint Laurent comme le nouvel étendard d’une élégance acide, nocturne, subversive.
Celine sans accent, Slimane sans détour

En 2018, il prend la direction artistique de Celine. Son premier geste, encore, est de gommer l’accent du logo. Là encore, une secousse. Exit l’héritage féminin et intellectuel de Phoebe Philo : Slimane impose sa lecture radicale, plus sombre, plus nerveuse, plus jeune.
Une nouvelle jeunesse, toujours
Mais cette fois, le ton est différent. Slimane n’imite pas Dior ni Saint Laurent. Chez Celine, il affine. Moins démonstratif, plus mélancolique. Le vestiaire se peuple de blousons noirs, de jeans taille haute, de lunettes opaques. Il quitte ses fonctions chez Céline en octobre 2024.
Bright Young Things, l’édition comme manifeste
En 2025, Slimane fonde Bright Young Things, maison d’édition dédiée à la photographie, à la poésie et aux voix marginales. Ce n’est pas un à-côté, mais un prolongement vital de sa vision. Il y publie ses images, mais aussi celles d’artistes émergents, souvent queer, toujours insaisissables. Il brouille les frontières : livre ou manifeste, archive ou constellation ? Ici, l’objet imprimé devient un lieu de résistance.
Une esthétique éditoriale ultra-sélective
Comme dans ses collections, ses ouvrages obéissent à une rigueur absolue : noir et blanc, typographie réduite, composition minimale. Chaque livre devient un objet de culte. Non un produit, mais une aura matérialisée.
Et ensuite ?
Qu’attendre d’un créateur qui semble toujours une époque en avance ? Peut-être rien, peut-être tout. Hedi Slimane ne cherche pas la tendance, il la sculpte dans le silence. Ses vêtements, ses images, ses livres composent un univers total, où le rock et la mode, la jeunesse et la mélancolie forment un seul langage.