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Anitta
Née le 30 mars 1993 dans la chaleur minérale de Honório Gurgel, quartier populaire de Rio, Anitta est apparue comme un manifeste en mouvement. Avec sa sensualité chorégraphiée, son instinct marketing chirurgical et sa voix caméléon, elle traverse les genres, les langues, les continents. À l’intersection du funk carioca, de la pop internationale et de la culture digitale, elle incarne bien plus qu’une star brésilienne : une visionnaire qui redéfinit les contours d’une pop mondiale décentrée et assumée.
Publié le 10 juin 2025. Modifié le 22 juillet 2025.
Les débuts d’une ascension hors norme

Dans le tumulte sonore du Brésil, une voix s’élève avec force dès le début des années 2010. Cette voix, c’est celle d’Anitta. Elle n’attend pas qu’on l’invite. Elle prend sa place. Dès 2013, avec Show das Poderosas, elle impose un style qui désoriente les puristes et électrise la jeunesse. Son énergie brute, sa gestuelle maîtrisée, sa voix tendue entre funk carioca et pop mondiale : tout indique une artiste qui pense et performe avec stratégie. L’artiste comprend rapidement que le corps est langage. La chanteuse s’en empare. Elle le sculpte, le met en scène, le revendique comme un outil de pouvoir.
Très vite, elle transcende la scène brésilienne. Son esthétique, pourtant ancrée dans les favelas, épouse les codes internationaux. Bang, Envolver, Paradinha : chaque clip devient un manifeste chorégraphique, où le regard s’aimante au mouvement. Elle dirige chaque image avec la précision d’un cinéaste. Tout est pensé. Rien n’est gratuit. Chaque vidéo traduit une maîtrise absolue de l’impact visuel. Par conséquent, ses clips ne sont pas des accessoires promotionnels. Ils constituent une œuvre à part entière, où le corps se fait récit, et la musique, terrain d’émancipation.
Mais si Anitta fascine, ce n’est pas uniquement pour ses performances. La chanteuse maîtrise l’ère numérique avec une acuité rare. Sur Instagram, elle scénarise son quotidien. Sur TikTok, l’artiste orchestre le buzz avec une intuition redoutable. La chanteuse ne se contente pas d’exister dans les médias. Anitta les utilise.
Une discographie plurielle, miroir d’une identité mouvante
Cette stratégie devient manifeste avec l’album Kisses, sorti en 2019. Un disque trilingue – portugais, espagnol, anglais – pensé comme une déclaration d’indépendance artistique. Anitta refuse d’être assignée à une scène unique. Elle voyage entre les langues, les styles, les influences. Chaque morceau semble émaner d’un fragment de son identité. Poquito explore une sensualité contemporaine, tandis qu’Atención revendique une autonomie farouche. Tu y Yo, quant à lui, incarne une douceur amoureuse teintée de mélancolie. Ce projet affirme une vision : celle d’une artiste qui ne demande pas la permission, mais dessine sa propre carte du monde.
Malgré cette expansion internationale, Anitta reste fidèle à ses racines. Le funk carioca, genre musical né dans les quartiers périphériques de Rio, demeure son socle. La chanteuse l’exporte sans le travestir et en polit les contours sans en trahir la rugosité. Elle donne à cette musique populaire une légitimité globale, sans la dénaturer. Son travail contribue à élever cette esthétique, longtemps marginalisée, vers un espace de reconnaissance artistique. Elle fait ainsi du funk brésilien un langage universel.
La scène mondiale comme terrain de jeu
De Girl from Rio à son duo avec Madonna sur Faz Gostoso, l’artiste multiplie les coups d’éclat. Mais derrière le vernis des succès, c’est une stratégie identitaire assumée : détourner les clichés pour mieux raconter sa propre histoire. Sous ses allures de divertissement calibré, son œuvre murmure une critique douce mais ferme des représentations. L’ironie, la sensualité, le second degré : tout chez elle participe à un discours politique.
Entre art, business et influence
Loin de se cantonner à la scène musicale, Anitta s’impose comme une entrepreneuse redoutable. Elle investit la mode, collabore avec de grandes maisons, prend position dans le débat public. Chaque apparition devient une déclaration, chaque silence, une posture. Elle incarne cette génération d’artistes qui comprennent que le pouvoir se construit aussi bien dans les chiffres que dans les symboles.
Derrière elle, une nouvelle génération d’artistes féminines hispanophones et lusophones revendiquent haut et fort leur autonomie. Anitta ouvre des voies : linguistiques, esthétiques, politiques. Qu’il s’agisse de son engagement féministe, de sa visibilité queer ou de son rapport décomplexé à la performance, elle incarne une forme d’empowerment doux mais déterminé.
Sur TikTok, Instagram, Twitter, elle ne se contente pas de poster — elle scénarise. Ses contenus ne sont jamais anecdotiques : ils alimentent un récit global, où l’intime flirte avec le spectacle, et où la provocation devient une forme d’art.
Sa trajectoire n’est pas un simple parcours de star. Anitta dessine une carte du pouvoir au féminin. Elle montre qu’on peut conjuguer sensualité et stratégie, plaisir et engagement, corps et conscience. Elle illustre une nouvelle forme d’empowerment : sans rigidité, sans dogme, mais avec une puissance tranquille.
Et demain ?

Anitta n’est plus simplement une chanteuse ou une célébrité brésilienne. Elle est un signal. Celui d’un Sud qui parle, qui crée, qui exporte. À une époque où la culture se cherche de nouveaux centres de gravité, elle incarne une réponse flamboyante, joyeuse, radicale. Rien chez elle n’est laissé au hasard. Et c’est peut-être cela, plus que ses tubes, qui signe sa modernité absolue.
En définitive, Anitta n’est pas seulement une chanteuse. Elle est un phénomène culturel. Une voix qui danse, qui pense, qui agit. Une voix qui vient d’en bas, qui monte, et qui rayonne. Dans l’histoire contemporaine de la pop globale, elle occupe une place singulière. Elle ne cherche pas l’universalité. Elle l’impose, sans jamais renier d’où elle vient.