20 mar 2019

Tom Ford, du porno chic à la présidence de la mode américaine

Hier, le créateur Tom Ford prenait la présidence du CFDA (conseil des créateurs de mode américains), succédant ainsi à Diane Von Furstenberg. De son triomphe en tant qu’inventeur du porno chic chez Gucci dans les années 90 à cette ultime reconnaissance, en passant par ses années de disgrâce puis sa réussite en tant que réalisateur, retour sur le parcours hors norme d’un maître de l’image.

 

 

La campagne Gucci printemps-été 2003

Gucci : l’avènement du directeur artistique et du porno chic

 

Au cours de ses dix années au poste de directeur artistique de Gucci, Tom Ford fera bien plus que bousculer la maison : il bouleversera la mode. C’est en 1994 qu’il se voit confier la direction artistique de Gucci, appuyé par Domenico De Sole pour la partie business. On est alors en plein cœur des années 90, marquées par l’Antifashion et incarnées par les créateurs comme Helmut Lang, Jil Sander, Martin Margiela et Rei Kawakubo, à l’opposé des femmes fatales et sculpturales des années 80. C’est dans cette ère du minimalisme et du punk que Tom Ford ( qui travaille déjà dans la maison depuis plusieurs années) dévoile sa collection automne-hiver 1995, la première signée de son nom, qui est totalement à l’image de son créateur : sexy et charismatique. Satin, pantalon ultra taille basse, string apparent, logos omniprésents, robes outrageusement sexy… une mode clinquante, certes, mais parfaitement exécutée grâce au savoir-faire des artisans italiens Gucci.

 

Le Texan “refaçonne” Gucci à son image : alliant avec dextérité créativité et attractivité commerciale, exhumant des pièces d’archives oubliées comme le sac bambou ou les mocassins à mors, s’intéressant aussi bien à l’architecture des boutiques qu’aux campagnes de publicité, le créateur control freak propulsera Gucci au sommet. Non content d’être le premier directeur artistique avéré, il lancera à travers ses campagnes sulfureuses, conçues avec Mario Testino et Carine Roitfeld, l’ère du porno-chic, confirmant que le sexe fait vendre. La campagne printemps-été 2003 – montrant la mannequin Carmen Kaas, toute de Gucci vêtue et les poils pubiens taillés en G, s’apprêtant à recevoir un cunnilingus – incarne à elle seule cette période. Une esthétique, qui, si elle semble parfaitement impossible aujourd’hui, s’étendra sur plus d’une décennie.

 

 

L’échec Yves Saint Laurent et le départ de la mode

 

Cinq ans après l’arrivée de Tom Ford, en 1999, un nouvel événement place la maison italienne au cœur de l’actualité : le combat acharné que se livrent  François-Henri Pinault, président de PPR (aujourd’hui Kering) et Bernard Arnault, président de LVMH pour acquérir la poule aux oeufs d’or Gucci. Le duo Ford-De Sole arbitre en faveur de François Pinault, déjà propriétaire de la maison Yves Saint Laurent. Nullement rassasié par sa réussite italienne, Tom Ford prend également les rênes du prêt-à-porter de la maison parisienne. Au grand dam du duo Saint Laurent/Bergé, qui n’hésite pas à clamer haut et fort sa désapprobation. (Ce n’est que cinq ans après avoir quitté la maison, en 2009, que Tom Ford ne se confiera sur la difficulté de ses années Saint Laurent.) Chez Gucci, le duo Ford/De Sole affiche toujours une réussite insolente, suivi aussi bien par l’industrie de la mode que par la Bourse de Wall Street, tant les dollars grimpent sur les comptes en banque des investisseurs, comme l’écrit Cathy Horyn dans le New York Times. Finalement, ses mésententes avec François-Henri Pinault – et probablement aussi les ventes décevantes chez YSL – auront raison de lui. En 2004, il quitte les deux maisons. Il sera d’ailleurs plusieurs fois récompensé par le CFDA (conseil des créateurs de mode américains). Chez Gucci, il décroche en 1995 le prix de l’“International Designer of The Year”, puis en 2001, celui du « Womenswear Designer of the Year”. Chez Yves Saint Laurent, en 2002, il obtient encore celui de l’“Accessory Designer of the Year”. Laissant une trace indélébile dans l’histoire de la mode, le créateur texan attendra 2010 pour opérer son revenir sur les podiums. Un retour remarqué certes mais pas forcément pour les raisons que l’on croit. 

 

 

 

Le retour en grâce avec le cinéma

 

Pendant ses six ans loin des podiums, Tom Ford n’a pas chômé. Une somptueuse ligne de parfums et cosmétiques avec Estée Lauder, un premier film (A Single Man) acclamé par la critique avec Colin Firth (nommé aux Oscars et aux Golden Globes) et Julianne Moore, les costumes du James Bond Quantum of Solace… en virtuose tout-terrain, il continue d’apposer sa vision glamour dans les industries de la beauté et de l’entertainment. En 2009, les rumeurs sur un possible retour sur les podiums du créateur star commencent à enfler, confirmées par la programmation d’un défilé en septembre 2010. Présentation ultra-secrète, invités triés sur le volet, aucune photo autorisée pendant l’événement, aucune photo diffusée après… pour le lancement de la première collection qui porte son nom, Tom Ford adopte un comportement à la fois arrogant et mystérieux, censé intrigué les futures clientes, et qui excite la presse autant qu’elle l’irrite. Les critiques seront d’ailleurs soit silencieuses (New York Times) soit assassines (Le Figaro), accusant le créateur texan, jusque-là adulé, d’être resté ancré dans le passé. Il faut dire qu’en six ans, la mode a changé : le porno chic a cédé la place aux créations austères de Phoebe Philo ou au streetwear romantico-gothique de Riccardo Tisci chez Givenchy. Et le nom de Tom Ford ne suffit pas à convaincre.

 

Toujours aussi cyclique et versatile, la mode commence, dès 2016, à puiser dans l’héritage très bling des années 2000. Une tendance qui s’amplifie, avec des fers de lance comme Kim Kardashian qui, plusieurs fois ces derniers mois, arbore des créations très sexy signées Tom Ford époque Gucci. Loin d’avoir été refroidi par l’accueil glacial reçu à son retour, Tom Ford, de son côté, continue chaque saison de proposer des collections glamour et féminines, conçues dans de très belles matières. “J’aime les beaux vêtements classiques, alors c’est ce que je fais”, déclarait-il au magazine Vogue US, commentant sa collection automne-hiver 2019. Aujourd’hui moins dans l’excès mais toujours aussi influent, Tom Ford succède désormais à l’illustre Diane Von Furstenberg sur le trône du CFDA, “par devoir”, comme il le précise à Vogue. Tandis que la mode américaine semble souffrir ces temps-ci d’un exode de créateurs et d’un manque indéniable de créativité et de crédibilité, l’arrivée à la tête de la plus haute institution américaine de mode de ce génie du marketing va sûrement transformer les choses. Affaire à suivre.

 

Empereur du glamour et du sensuel, véritable maître de l’image, control freak aux déclarations chocs, Tom Ford fait partie de ces créateurs stars dont le nom restera gravé à jamais dans l’histoire. Vingt-cinq ans après sa nomination au poste de directeur artistique de Gucci, voilà qu’il vient d’être nommé président du CFDA (conseil des créateurs de mode américains). Entre-temps, il a réalisé deux films au succès tant public que critique, et aussi lancé sa ligne de cosmétiques, son propre label, et, depuis quelques mois, sa ligne de sous-vêtements. Un parcours étonnant qui en dit long sur celui qui est désormais chargé de veiller sur la création made in America.