15 oct 2018

Rencontre avec l’artiste Will Boone, entre jaquettes punk et masques de Frankenstein

De John F. Kennedy au logo de Chevrolet, ce jeune artiste, d’origine texane, puise nombre de ses sources d’inspiration dans les symboles de la culture populaire américaine. Plus récemment, son travail s’est orienté sur le thème des masques, comme pour mieux retrouver le sujet essentiel de l’identité que questionne son œuvre.

Propos recueillis par Nicolas Trembley.

Will Boone. © Jeff McLane.

En clôture de son cycle de cartes blanches laissées à diverses galeries étrangères, la Galerie Patrick Seguin invite la galerie de David Kordansky, basée à Los Angeles. Ce dernier a choisi de ne présenter qu’un seul artiste : Will Boone, qui n’a encore jamais exposé en France. Will Boone est né au début des années 80, au Texas. Son travail s’appuie sur les clichés de la sous-culture vernaculaire américaine. L’artiste, qui n’a pas réellement suivi de formation classique, a d’abord produit des pochettes de disque pour différents labels, notamment punk, puis s’est fait connaître pour ses peintures formées de lettres géantes surperposées les unes aux autres. Mais, dans ses expositions, il construit également des structures inspirées d’archétypes architecturaux comme le garage ou la prison. L’année dernière, il a imaginé une installation dans le désert, près de Coachella, formée d’une trappe par laquelle on s’enfonce dans le sol pour se retrouver dans un bunker de protection antiatomique où patiente la figure (grandeur nature) de l’ancien président américain John F. Kennedy. Le Texas est souvent le point de départ de ses œuvres. Pour Paris, il a conçu de nouvelles sculptures à partir du logo Chevrolet, et des peintures qui représentent la créature de Frankenstein ou tout simplement de monstres. Boone tend à réfléchir, tel un miroir, la mythologie d’une certaine Amérique historique qui resurgit aujourd’hui dans le contexte contemporain déviant de Trump.

Voyeur (2018). Acrylique sur toile sur panneau en bois. © Jeff McLane. Courtesy of David Kordansky Gallery, Los Angeles

Numéro: Quel est votre parcours ?
Will Boone : Je suis né en 1982, à Houston, au Texas. J’y ai suivi mon cursus universitaire et j’y suis resté jusqu’en 2007.

 

Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec l’art ?
Ma grand-mère avait des petits cow-boys en bronze Remington dans son salon. Ils m’ont beaucoup influencé. Enfant, j’ai aussi été très frappé lorsque je me suis retrouvé face à l’une des combine paintings de Rauschenberg – celle avec la chèvre et le pneu, exposée au musée des Beaux-Arts de Houston.

 

Qu’est-ce qui vous intéresse aujourd’hui ?

Le site Craigslist.

 

Vous avez d’abord été connu pour vos peintures de lettres graphiques imprimées les unes sur les autres…
Je travaillais sur un projet, dans mon studio, avec des lettres en vinyle, des autocollants qu’on utilise pour la signalisation. Sans le faire exprès, j’ai empilé toutes les lettres que j’avais utilisées pour écrire un mot sur mon bureau. J’y ai vu une alternative au langage et aux mots. Pendant un an, j’ai fait des petits travaux sur papier. Puis ils sont devenus des ébauches. J’ai finalement appris à les peindre. Cela m’a pris du temps et le processus était extrêmement carré. Je me suis imposé toutes ces règles à contrecœur. Après avoir compris ce que je pouvais en faire, j’ai laissé les choses venir à moi, et les mots se sont transformés en sons.

 

 

 

“Rechercher, expérimenter, réagir, traîner dans des magasins bizarres et parler avec des gens – ce sont ces éléments qui guident mon travail. Exactement comme si je partais en voyage.”

 

 

Vous avez également travaillé sur des modèles architecturaux comme des garages et des tunnels. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Ces modèles ont d’abord été un moyen de trouver de nouvelles idées pour des installations ou des salles d’exposition : puis ces lieux, initialement prévus pour accueillir des sculptures, se sont finalement mués en œuvres d’art à part entière. À mesure que je travaillais sur ces espaces, ces miniatures sont devenues à mes yeux plus importantes que leur réalisation à taille réelle. Les nouvelles sculptures que vous préparez pour votre exposition à Paris s’inspirent du logo Chevrolet que l’on a pu remarquer dans vos précédentes toiles.

 

Pourquoi en avoir fait une sculpture ?

L’origine du Chevy logo est inconnue et, aux États-Unis, le fanatisme que suscite cette marque est tel qu’il ressemble à une forme de dévotion religieuse. Quand on parle du sujet, des gens s’évanouissent. Et d’autres adoptent un argot spécifique lors des salons automobiles à travers le pays. Le logo ressemble à une croix oblique volant dans l’air. Il est soyeux comme un SR-71 Blackbird [avion de chasse américain]. Je l’ai d’abord imaginé traversant le ciel jusqu’au bout du monde, ouvrant la voie jusqu’au paradis à tous les conducteurs de Chevrolet. J’en ai fait une première version miniature. Je lui ai attaché des ficelles comme à une marionnette, puis je l’ai photographié en train de voler dans mon studio. Ensuite j’ai eu envie de le voir en beaucoup plus grand. J’ai donc fabriqué une version de huit mètres de long en contreplaqué.

 

En ce moment, vous travaillez également sur des masques en toile qui évoquent des personnages comme le monstre de Frankenstein…
Je travaille sur ces masques depuis déjà quelques années. Pour le premier, qui porte le nom de Jason Mask, j’ai été inspiré par une pièce exposée au Metropolitan Museum of Art de New York, qui m’a bouleversé lorsque je l’ai découverte. Ces objets évoquent des lieux qui me sont chers, comme la ville de Nuevo Laredo, au Mexique. Là-bas, sur les marchés, les étals sont remplis de masques en bois peint. Mon père en avait d’ailleurs acheté un qui représentait le diable, mais ma mère refusait qu’il l’accroche dans leur chambre. Ceux que j’ai pu voir ici et ceux de la Menil Collection sont si troublants de vérité… Je voulais faire une œuvre qui soit une sorte de substitut graphique, un accessoire plat. Au début, je travaillais surtout sur des visages connus, comme celui du monstre de Frankenstein. Puis j’ai eu envie de créer de nouveaux archétypes semblables à ceux que j’observe autour de moi, le chien de garde ou la fontaine d’eau minérale… Je voulais réfléchir à ce qu’ils signifient et à la manière dont ils peuvent s’inscrire dans la tradition de la fabrication des masques. Les masques renvoient généralement aux notions d’identité et de pouvoir. Ils sont l’image de ce que nous désirons ou, au contraire, de ce que nous craignons. Tant que vous y faites deux trous pour les yeux, vous pouvez fabriquer un masque avec n’importe quoi.

 

Vous semblez à l’aise avec plusieurs types de médiums, en privilégiez-vous un en particulier ?
J’aime être artiste, mais je ne me considère pas comme un peintre, ni comme un sculpteur ni comme quoi que ce soit d’autre. J’aime fabriquer des choses, suivre l’élan qui me porte et trouver le matériau qui s’adaptera le mieux à ce que je veux faire. Rechercher, expérimenter, réagir, traîner dans des magasins bizarres et parler avecr des gens – ce sont ces éléments qui guident mon travail. Exactement comme si je partais en voyage.

 

 

Exposition Will Boone, carte blanche to David Kordansky, du 18 octobre au 24 novembre, Galerie Patrick Seguin, 5, rue des Taillandiers, Paris XIe.

À droite : Freak (2018). Acrylique sur toile sur panneau en bois. 185,4 x 122,6 x 3,2 cm. © Jeff McLane. Courtesy of David Kordansky Gallery, Los Angeles