30 nov 2020

Tom Ford: art du choc et luxe décomplexé

Dans les années 90, le créateur américain a participé à l’avènement d’une nouvelle ère du luxe, mondialisé et décomplexé, en dirigeant d’une main de maître toute la chaîne créative de la maison Gucci. Toujours control freak mais moins porno chic –, il développe depuis 2006 son propre empire fondé sur sa connaissance intime de l’art de se distinguer, au masculin.

Tom Ford, autoportrait Polaroid.

Dans le domaine de la mode où les saisons valent souvent pour des siècles, on pourrait presque dire que “les années Tom Ford” remontent à l’Antiquité. Sauf que l’approche globale de ce designer américain est toujours une référence quelque vingt-cinq ans plus tard. À tout dire, celle-ci a même été le détonateur du rayonnement actuel du secteur. Avant, il s’apparentait à une niche. Depuis, il s’agit d’un business sans frontières, florissant et décomplexé qui mêle luxe, glamour et investissements en or massif. Le tout arrosé de marketing et d’images chocs, voire pornos, qui étaient chics (et tolérées) à son époque où Internet n’existait pas encore.

 

 

Juste avant le changement de siècle, Tom Ford donne ainsi le “la” chez Gucci. Et pas seulement. À Milan et ailleurs, on attend chacun de ses défilés comme un signe du Messie. Le thème est radicalement différent d’une saison à l’autre. L’idée est que la nouvelle collection vieillisse la précédente, qu’elle pousse au shopping de nouveaux accessoires, toujours et encore. Rapidement, cette mécanique “fordienne” proche de l’obsolescence programmée fonctionne à merveille. Et pléthore d’autres maisons de s’en inspirer, bien qu’elles ne puisent pas forcément leurs origines dans la maroquinerie comme la marque florentine.

 

 

 

“Certains sont dotés à la naissance d’une volumineuse bourse testiculaire. D’autres naissent avec des petites couilles…” Découvrez notre interview de Tom Ford

 

La collection capsule Tom Ford x Mr Porter.

En 1990, le Texan originaire d’Austin avait rejoint Gucci comme styliste quasi débutant sur le prêt-à-porter féminin. Auparavant, celui qui s’était rêvé acteur dans ses jeunes années avait tout d’abord étudié l’art dramatique, puis l’architecture et le stylisme de mode faute d’être parvenu à percer du côté de Hollywood. Il avait également fini de se former auprès de marques d’outre-Atlantique avant de décrocher ce poste en Italie, au sein de la vénérable maison qui avait été l’emblème du luxe transalpin au cours des seventies, mais qui n’était plus vraiment dans le coup depuis quelques années. Les descendants de Guccio Gucci s’en étaient même progressivement délestés au profit d’investisseurs qui nommèrent à sa direction générale, au milieu des années 90, le représentant de sa filiale américaine. Un certain Domenico De Sole qui formera un parfait tandem avec le sulfureux créateur américain dont les premières collections féminines pour la maison au double G ont d’ores et déjà rencontré un franc succès.

 

 

Ford ne tarde d’ailleurs pas à être élevé au rang de “directeur artistique”, titre inédit dans la profession, qui lui offre les coudées franches, de la création à la publicité, en passant par la décoration des boutiques, le casting des vendeurs et la mise en scène des vitrines. Il a un œil sur tout et, avouons-le, c’est désirable à souhait. Rapidement, il s’essaye au prêt-à-porter masculin de façon tout aussi sexy. Ce dressing est taillé pour lui. Parfois, il se met même en scène dans les campagnes publicitaires. Quand il ne présente pas ses play-boys mêlés à des héroïnes tout aussi torrides qui, souvent, les dominent du haut de leurs escarpins.

Bella Hadid au défilé Tom Ford automne-hiver 2020-2021 à Los Angeles.

Au sommet de sa carrière à l’approche des années 2000 chez Gucci, Tom Ford n’hésite pas à cumuler des fonctions similaires chez Yves Saint Laurent qui appartient désormais au même groupe. Jusqu’au printemps 2004, où il démissionne de tous ses mandats. Deux ans s’écouleront avant qu’il ne revienne à la mode sous son patronyme, via des lignes de lunettes et de cosmétiques pour commencer, suivi du prêt-à-porter masculin qui est son domaine de prédilection. L’homme Tom Ford qu’il dessine ne manque évidemment pas de sex-appeal, mais c’est un garçon plus mature, moins fashion, qui affectionne les vêtements façonnés dans les règles de l’art à l’aide de matières d’exception. En 2009, il renoue avec le cinéma et signe le long-métrage A Single Man qui remporte plusieurs prix, suivi de Nocturnal Animals en 2016 qui rencontre un succès plus mitigé, la critique lui reprochant une esthétique ultra sophistiquée qui est sa patte gagnante dans la mode.