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Rencontre avec Marion Barbeau, danseuse et actrice proche de la maison Chanel
Première danseuse du ballet de l’Opéra de Paris, Marion Barbeau s’est créé un espace de liberté pour sonder ses propres désirs. La découverte du jeu d’actrice, sous la direction notamment de Cédric Klapisch dans En corps, qui lui a valu une nomination au César du meilleur espoir féminin, est venue résonner fortement avec ses aspirations. Aujourd’hui, la jeune femme proche de la maison Chanel se donne le temps d’explorer une nouvelle relation entre son corps et son esprit.
Marion Barbeau : révélation du film En corps de Cédric Klapisch
Près d’un million et demi de cinéphiles ont découvert Marion Barbeau en 2022 dans la peau d’une danseuse blessée et forcée de se reconstruire, cœur battant du film de Cédric Klapisch, En corps. Le rôle lui a valu une nomination au César du meilleur espoir féminin. Avant cela, la trentenaire était surtout connue du public de l’Opéra de Paris. Parvenue au grade de première danseuse – l’ultime marche avant de pouvoir être nommée étoile – en 2019, elle occupait alors la scène avec autorité et rigueur. La jeune femme que nous rencontrons n’est clairement plus la même. Après avoir passé ses journées depuis l’enfance à utiliser son corps tel un instrument, une brèche s’est ouverte.
“Je viens de demander une année sabbatique supplémentaire, nous dévoile-t-elle. Si je reviens à l’Opéra, ce ne sera pas avant la saison 2024-2025. Les choses ont grandi en moi depuis très longtemps.” La retraite dans la célèbre institution parisienne se prend à l’âge de 42 ans (pour les femmes), alors qu’on y entre tôt. Dans le cas de Marion Barbeau, c’était au début des années 2000, à l’école de danse, avant d’intégrer le corps de ballet à l’âge de 17 ans, en 2008. Une grande partie de sa vie, donc. Peut-être un peu trop ? La néo-actrice ne fait pas dans les déclarations à l’emporte-pièce et n’évoque pas vraiment de rupture, plutôt un cheminement personnel et artistique qui l’a menée là où elle se trouve aujourd’hui. “Quand, en 2018, j’ai passé mon dernier concours pour accéder au rang de première danseuse, déjà je n’étais plus très sûre de vouloir être danseuse étoile. C’est un peu bizarre parce que toute ma vie j’ai voulu faire ça, et au moment où j’ai pu y accéder éventuellement, ce n’était plus là. Il y avait autre chose.” Marion Barbeau parle de questionnements, de remise en question de tous ses rêves. Bien avant la tentation du cinéma, la première étape a été la découverte de la danse contemporaine, peu enseignée lors de la formation des danseurs à l’Opéra de Paris, alors qu’elle fait de plus en plus partie du répertoire.
“C’est venu comme une évidence. Pour ma part, cela s’est passé avec Benjamin Millepied d’abord, puis beaucoup avec Aurélie Dupont [les deux ont été directeur et directrice de la danse à l’Opéra de Paris]. Je crois que le vrai tournant a été ma rencontre avec Hofesh Shechter en 2018. Ensuite, j’ai eu un coup de foudre pour Sharon Eyal.” Le ballet Faunes, créé en 2021 par la chorégraphe israélienne, donne à Marion Barbeau l’occasion d’exprimer un aspect inédit de sa gestuelle, entre animal et végétal, féminin et masculin. À l’époque, la jeune femme sort des confinements liés à la pandémie de Covid. “Pour la première fois de ma vie, je formais et entraînais mon corps tous les jours exactement comme je le voulais. J’avais décidé de ne pas du tout prioriser la danse classique. Je me suis initiée au yoga et au Gaga, un style contemporain créé par Ohad Naharin, pour être plus à l’aise dans l’improvisation. Quand je suis revenue à l’Opéra, je me suis dit que je n’allais pas y rester sans interruption jusqu’à mes 42 ans et que je n’étais pas sûre d’avoir envie de rôles classiques. Avant, j’avais du mal à l’assumer et à le conscientiser.”
Le tournage du film de Cédric Klapisch, en 2021, est venu accentuer ce mouvement d’émancipation. La rencontre avec le cinéaste, fan de l’Opéra de Paris, avait eu lieu bien avant. Il a écrit un rôle qui, d’une certaine manière, ressemblait à son parcours. “C’était moins proche de mon parcours avant le film qu’après l’avoir tourné, cela a résonné en moi d’une manière très étrange.” Pour créer son scénario, Klapisch a rencontré de nombreux danseurs, une génération aux aspirations différentes. “Je crois que ça l’intéresse profondément d’écouter la jeunesse de la danse. Ce qu’il a mis en scène ressemble au parcours de plein de gens à l’Opéra. Il y a dix ans, c’était moins le cas.” Lorsqu’elle passe des essais avec François Civil, qui joue le rôle de son kiné dans En corps, Marion Barbeau s’excuse d’être une débutante, avant de prendre progressivement de l’assurance. “Si Cédric me faisait confiance, je me faisais confiance. Je me suis bizarrement peu posé de questions. J’ai abordé ce projet avec beaucoup d’inconscience. J’ai répété avec un coach et cela m’a rapprochée de la manière dont je fonctionnais dans ma vie professionnelle : travailler jusqu’au dernier moment pour être la plus libre possible.” De la danse au jeu, il n’y aurait qu’un pas ? Celle qui a tourné un nouveau film et s’apprête à enchaîner avec deux autres – sans scènes de danse… – décèle des points communs. “Ce sont deux pratiques très différentes, mais il y a cette façon de connecter le corps et l’esprit, la mission du danseur, que j’ai pu essayer de mettre en pratique dans le jeu.”
“Chanel me ramène à mon histoire familiale et à ma grand-mère, une beauté très classique qui aimait porter les vestes de la maison.” – Marion Barbeau
Le cinéma correspond à une passion depuis l’enfance pour Marion Barbeau, qui a découvert la cinéphilie auprès de son père, avant de s’approprier cette culture à l’adolescence. “Avec lui, j’ai des souvenirs très forts d’avoir découvert Jacques Tati ou La Party de Blake Edwards, un film doudou. Rohmer, beaucoup. J’ai aussi eu ma période Buñuel. J’adore les premiers films d’Audiard, où le rapport au corps et à la sensualité me touche. Récemment, j’ai adoré Aftersun de Charlotte Wells, et son acteur Paul Mescal. Je n’ai pas de modèle, mais c’est comme ça que j’aimerais jouer : il ne dit rien, mais il dit tout.” Après y avoir goûté, le cinéma lui fait de plus en plus envie. “Même si ce n’était pas prévu dans ma vie, même si je ne fais pas la course aux castings, quand des rencontres doivent se faire, je vais foncer.” Certaines portes se sont ouvertes, comme celles de la maison Chanel, mécène du gala d’ouverture de la saison de la danse de l’Opéra de Paris, qui l’a invitée à son dernier défilé haute couture et l’a habillée pour les César en robe bustier noire fendue. “Par le biais de Dimitri Chamblas, un chorégraphe avec qui je vais travailler ce printemps, j’ai rencontré la directrice artistique Virginie Viard à Los Angeles. Chanel me ramène à mon histoire familiale et à ma grand-mère, une beauté très classique qui aimait porter les vestes de la maison. Lors de mon entrée dans le ballet de l’Opéra, mes grands-parents m’avaient même offert la montre Première. Donc c’est très symbolique pour moi.”
Les mois et les années qui viennent diront si Marion Barbeau décide de laisser l’Opéra définitivement derrière elle. “On se demande parfois si ce n’est pas juste un résidu de Louis XIV en plein milieu de Paris. C’est un peu le cas, mais ce n’est pas que cela, heureusement. Les derniers directeurs ont tous eu cette envie de se positionner dans le monde qui nous entoure.” Pour l’instant, il n’est pas question de décisions radicales, plutôt d’approfondir le chemin emprunté depuis quelques années. “La danse a toujours une grande place dans ma vie, mais il y a des questions de planning. Je me promène entre le cinéma et la danse. Je n’entretiens pas mon corps régulièrement, mais dès que je peux, j’essaie de bouger.”
Avec cette dernière phrase, l’impression d’atteindre une certaine vérité se dessine. Pour Marion Barbeau, il est toujours question d’une expérience physique, d’intensité, mais d’une manière nouvelle. “Une dualité se développe en moi, car cela m’intéresse de voir comment mon corps évolue sans la danse. C’est une chose que je n’ai jamais pu observer dans ma vie. En même temps, il n’y a pas un jour sans que je danse, c’est dans ma peau et j’espère qu’il en sera ainsi jusqu’au dernier jour de ma vie.” Quelque temps avant qu’on ne la rencontre dans un café du XVIIIe arrondissement de Paris, loin des ors du palais Garnier, elle avait remis les pointes… pour la première fois depuis trois ans. “Cela m’a mise dans un état bizarre. C’était un peu difficile, mais c’est vraiment dans mon ADN, dans un coin de mon corps. D’un autre côté, si je devais faire un ‘trois actes’ [elle a dansé son dernier ballet classique, le Raymonda de Rudolf Noureïev, en 2019], il faudrait que je travaille très longtemps.”