Rencontre avec le créateur Vincent Pressiat, adoubé par Julia Fox
Glamour et provocantes, les collections du talentueux Vincent Pressiat convoquent à la fois la folie d’un cabaret à Pigalle et le raffinement de l’époque victorienne. Son approche hors norme de la mode associée aux défilés spectaculaires de son label créé en 2020 en font déjà l’un des jeunes créateurs préférés des stars comme Julia Fox.
Propos recueillis par Thibaut Wychowanok.
Numéro : Julia Fox défilant en fausse fourrure et en robe réalisée à partir de chambres à air, voilà l’image qui a marqué votre dernier défilé…
Vincent Garnier Pressiat : Julia Fox est une guerrière ultra hot. Nous savons tous ce qu’elle a fait pour en arriver là. Et j’aime ça. J’avais aussi en tête de faire défiler Zahia pour le show. C’est une femme intelligente qui sait assumer son corps et sa féminité, et jouer avec. Clairement, elles nous manipulent. Et j’adore ça ! L’une de mes premières collections célébrait les Tsiganes : les gens du voyage sont, eux aussi, forts mentalement. Ils font preuve d’une liberté impressionnante vis-à-vis de la société. J’en suis très envieux.
Et comment faire passer ce message à travers des collections ?
Je martèle une image précise qu’on reconnaît au premier coup d’œil : élégant et… provocant. Une bourgeoise dépravée. J’ai vécu pendant dix ans au parc Monceau. Voilà pour le côté bourgeois. Et pendant des années, à Pigalle, j’allais chez les dépravés. J’aime le contraste. Dans ma vie, il n’y a pas de milieu, je cherche les extrêmes. Quand on pense Pressiat, on pense toujours à des silhouettes très longilignes et à des pièces très cintrées ou, au contraire, à des manches et à des carrures imposantes. Ce sont des “iconiques” que j’aime retrouver. Pour moi, les vêtements sont des armures. Vous pouvez être n’importe qui avec un vêtement : un véritable caméléon. L’armure est une protection et une affirmation, à la fois guerrière et extravagante.
Vous avez fait vos premiers pas chez Margiela. Que représente pour vous John Galliano ?
C’est la personne qui m’a fait aimer la mode. Ce qui est amusant, c’est que je n’ai jamais postulé pour travailler avec lui. L’un des assistants de John avait mis une photo de moi sur un mood board d’inspiration. Je devais être un peu club kid à l’époque et amuser la galerie. John a adoré mon look et a demandé à me rencontrer. J’ai reçu un mail improbable, je n’y croyais pas. Mais c’était bien Galliano. Je m’attendais à passer un entretien d’une heure, mais à mon arrivée on m’a dit qu’en douze minutes l’affaire serait pliée. J’ai oublié tout ce que j’avais préparé, je me suis rué dans la salle en criant je ne sais quoi. John s’est levé avec un grand “Ah !” et m’a embrassé. C’était fait…
La vie nocturne semble particulièrement vous inspirer. Plutôt oiseau de nuit, alors ?
La nuit est un espace de liberté. J’ai beaucoup travaillé dans le cabaret, en tant que chauffeur de salle. Ça faisait très Studio 54, les gens étaient lookés. J’aime ce côté show time. Aujourd’hui, je suis encore physio au Bisou Club à Paris, et je n’hésite pas à dire aux clients : “Vous n’allez pas entrer habillés comme ça ! Je veux de la folie !”
Tout part de mes amis et des lieux que je fréquente. J’aime le cabaret et la techno. J’aime l’élégance victorienne et les pantalons fittés des années 70.” – Vincent Pressiat.
Mais la folie, ce n’est pas seulement la nuit et le cabaret, j’imagine…
Je m’inspire surtout de ma vie. Je ne ferai jamais une collection sur l’Égypte, par exemple. Tout part de mes amis et des lieux que je fréquente. J’aime le cabaret et la techno. J’aime l’élégance victorienne, ses petits boutons et ses grands cols, et les manches incroyables ou les pantalons fittés des années 70. J’aime aussi la modularité des vêtements. Un pantalon peut se “déclipser” pour devenir un mini short. Les manches d’un haut s’enlèvent. Tout est fait pour s’amuser.
Parmi vos premiers soutiens, on compte Michèle Lamy, que vous avez rencontrée dans un cabaret, et votre ami Victor Weinsanto qui est également créateur…
Disons que le nom de Michèle Lamy revient souvent parce que c’est une amie célèbre. Mais mes amis au quotidien sont des gens que j’ai connus très jeune en arrivant à Paris. Avec Victor, nous avons monté nos maisons en même temps, nous avons les mêmes usines. Et nous nous entraidons. Il n’y a pas de jalousie. Nous nous sommes rencontrés dans le métro et nous ne nous sommes jamais quittés.
Votre dernier défilé prenait place autour d’une Cadillac en hologramme et de pneus de voiture. On vous imagine mal passionné de vitesse…
Au contraire, nous vivons dans un monde où tout va trop vite. Nous produisons trop, le monde dépérit et nous regardons ailleurs. La voiture est une allégorie de tout cela. Ma grand-mère m’avait offert une toute petite Cadillac blanche quand j’étais enfant. Je jouais avec elle et avec les poupées Bratz. C’était très vulgaire, mais j’adorais. C’est d’elles que vient sans doute ma passion pour les chaussures à plateformes et les minijupes. Pour en revenir au défilé, je voulais surtout partager une idée de collectif, de travail commun, de vraies rencontres. J’ai été entouré d’une équipe exceptionnelle. À l’ère des réseaux sociaux, nous avons l’impression d’être ensemble mais nous n’avons jamais été aussi seuls. Je voulais travailler avec un collectif – pour la musique, les décors ou le documentaire que nous avons tourné – avec lequel les relations seraient organiques et réelles.