Qui est Violet Chachki, la drag-queen qui embrase le Crazy Horse ?
Révélée par l’émission RuPaul’s Drag Race, qu’elle a gagnée en 2015, la drag-queen américaine aux airs de pin-up des années 50 met en scène son corps de rêve sur la scène burlesque et dans les arts du cirque. Courtisée par les plus grandes maisons de mode, de Jean Paul Gaultier à Miu Miu, l’artiste foule jusqu’au 28 juin la scène du Crazy Horse, le mythique cabaret parisien.
Par Matthieu Jacquet.
Violet Chachki : une drag-queen iconique sur la scène du Crazy Horse
Une peau de porcelaine et des lèvres rouge carmin, une longue perruque noir de jais et des sourcils finement tracés au crayon dans l’esprit des années 30… Lorsque Violet Chachki apparaît dans les loges feutrées du Crazy Horse, corsetée dans son fourreau noir assorti de longs gants d’opéra, juchée sur des talons aiguilles vertigineux, c’est une gravure de mode qui semble prendre vie sous nos yeux. Magnétique et impressionnante, cette figure rappelle aussi bien la célèbre mannequin Dovima que la star du burlesque Dita Von Teese, l’une de ses inspirations majeures, même si Violet Chachki est bien plus grande que ses aînées : 1,85 m (sans stilettos).
Neuf ans après avoir été couronnée “future star du drag américain” par l’émission de télé-réalité américaine de compétition Rupaul’s Drag Race, distinction ultime pour les drag-queens aujourd’hui, la jeune trentenaire se retrouve en tête d’affiche du plus illustre cabaret parisien, du 24 au 28 juin.
Un lieu qui, depuis son ouverture en 1951, a accueilli des danseuses telles que Lova Moor et Rosa Fumetto, mais aussi, plus récemment, des guest stars comme Pamela Anderson, Noémie Lenoir ou encore Arielle Dombasle. La participation de Violet Chachki marque toutefois un tournant dans l’histoire du “Crazy” : pour la première fois, un artiste au corps masculin partage les planches avec ses emblématiques danseuses.
Des bars gay d’Atlanta au cabaret mythique de Paris, la success story de Violet Chachki
Mais comment passe-t-on de jeune habitué des bars gay obscurs d’Atlanta à drag-queen parmi les plus célèbres au monde, foulant la scène du cabaret mythique de Paris autant que les podiums des grandes maisons de mode européennes ? Il faut dire que le parcours de Jason Dardo – de son vrai nom – est plutôt atypique. Né en 1992, l’Américain manifeste très tôt un intérêt marqué pour le drag et la mode, qui le mènera à créer son propre “persona” dès la fin des années 2000 : son prénom, Violet – une référence au personnage sombre et sulfureux incarné par l’actrice Jennifer Tilly dans le thriller Bound, mais aussi à la couleur de la royauté –, et son patronyme, Chachki, dérivé d’un mot yiddish pour désigner “un objet strictement décoratif”.
Très vite, la marque de fabrique de Chachki passe par un style mixant le contemporain et le rétro avec des références ultra précises, de l’illustrateur Art déco Erté à l’icône fétichiste Bettie Page, en passant par Divine, drag-queen irrévérencieuse star des films de John Waters, et les défilés théâtraux de Thierry Mugler et de John Galliano pour Dior. Mais aussi un amour pour l’univers du burlesque et du BDSM qui la distingue alors de ses homologues locales.
“Contrairement à certaines de mes consœurs, je n’ai jamais souhaité ressembler à une femme, confie-t-elle, mais plutôt à l’illustration d’une femme. D’ailleurs mon esthétique était déjà très claire dans mon esprit à l’adolescence, lorsque je m’amusais à enrouler une écharpe sur ma tête et que j’empruntais le maquillage de ma mère pour me photographier devant ma webcam !”
RuPaul’s Drag Race : la consécration pour une drag-queen en plein essor
Forte d’une confiance inébranlable, Violet Chachki rejoint le casting de la septième saison de RuPaul’s Drag Race à seulement 22 ans, soit peu de temps après sa majorité. Au-delà de son franc-parler et de sa détermination, plusieurs moments marquent son passage télévisé, notamment sur le podium, lorsque qu’elle apparaît vêtue d’un corset tellement serré (45 cm de tour de taille) qu’elle simule l’asphyxie et la nécessité de respirer dans un masque à oxygène.
“Il faut souffrir pour être belle, avait-elle alors déclaré face caméra. Et la plus belle, c’est moi.” Si la douleur est bien visible lorsque l’on entrevoit sur son corps les marques laissées par tous ces attributs, l’artiste défend son dévouement à une vision extrême de la beauté. “J’aime façonner sur moi une silhouette si exagérée qu’elle semble presque irréelle. Enfiler ces corsets si gainants et mes escarpins qui me perchent si haut altère ma posture, mon attitude. Et le fait que je sois une des seules à pouvoir les porter me fait me sentir puissante.”
À ceux qui seraient tentés de réduire son talent à sa seule apparence, l’Américaine a rapidement su démontrer, sur les scènes du monde entier, l’éventail de ses compétences : l’incarnation habitée des morceaux dont elle mime les paroles – prérequise pour la plupart des drag-queens –, la création de vêtements de toutes pièces, parfois à partir de rien, mais aussi la maîtrise de certains arts du cirque tels que le tissu et le cerceau aérien ou la jonglerie avec le feu.
L’effeuillage occupe également une place centrale dans ses performances, auquel elle ajoute, dès ses débuts, une touche très queer : lorsque la drag-queen ôte son corset puis son soutien-gorge, elle révèle chaque fois, plutôt qu’une poitrine généreuse, un torse d’homme orné de cache-tétons scintillants.
Dita Von Teese, une source d’inspiration devenue mentor et amie
Cette approche singulière séduit tant Dita Von Teese qu’elle invite Violet Chachki à tourner avec elle en 2017 et à présenter son propre numéro dans son spectacle. Un immense honneur pour celle qui n’a jamais caché sa fascination pour son aînée : “J’ai beaucoup appris de Dita, de sa manière de produire un show dans sa totalité avec un impeccable sens du détail, à celle de gérer son propre business, toujours avec une grande élégance. Un jour, elle m’a dit : ‘Ce que je veux, c’est voir le plus de choses possible dans ma journée.’ Une citation à laquelle je pense souvent.”
Ainsi, après des années de tournées, partagées entre Dita Von Teese et ses consœurs de l’écurie Drag Race, Violet Chachki décide de monter son propre seul-en-scène en 2019, dont elle assure à son tour la direction artistique complète, du déroulement des numéros à la création des costumes sur mesure, en passant par la sélection musicale et l’éclairage.
Une icône de mode qui séduit Moschino et Miu Miu
Ses qualités d’interprétation scénique et sa passion pour le vêtement (la trentenaire collectionne des pièces depuis des années) séduisent peu à peu le monde très exclusif de la mode. En 2018, la maison Prada l’inclut dans l’une de ses campagnes, tandis que Moschino l’invite à défiler à plusieurs reprises, avant de la vêtir d’une sublime robe noire lors de l’incontournable Met Gala l’année suivante : ce soir-là, Violet Chachki devient la première drag-queen, aux côtés de son mentor RuPaul, à fouler le tapis rouge de l’événement historique de la mode.
Depuis, on la croise régulièrement au premier rang des défilés haute couture Schiaparelli, Giambattista Valli ou encore Jean Paul Gaultier. Une reconnaissance parfois en demi-teinte : “Il n’est pas toujours facile d’être drag-queen dans ce milieu-là, où j’ai mis du temps à être prise au sérieux. Mais j’ai eu la chance de rencontrer des personnes comme Jeremy Scott chez Moschino et Fabio Zambernardi chez Miu Miu, deux créateurs incroyables qui expriment un sincère respect pour notre art, et qui m’ont ouvert beaucoup de portes.”
Un spectacle légendaire au Crazy Horse
Entre Los Angeles – où elle réside – et Paris, où elle se rend régulièrement, Violet Chachki prépare actuellement son show au Crazy Horse, où elle avait vu son premier spectacle en 2015 et avait été conquise. Lors de ces dix représentations dont elle coordonne aussi la direction artistique, on la verra successivement seule sur les planches avec une performance complètement inédite, réinterpréter des numéros plus classiques du cabaret, avant de se transformer, à son tour, en “Crazy Horse girl” en compagnie des danseuses originales, avec l’aide du chorégraphe Philippe Découflé.
Côté costumes, on peut déjà s’attendre à découvrir la drag-queen dans des escarpins Christian Louboutin sur mesure (évidemment), des créations du jeune duo Coperni et des pièces ornées de cristaux Swarovski, entre autres. Si l’Américaine évoque la pression liée au fait de se mesurer à un lieu aussi emblématique et de faire face à son public, elle promet toutefois un spectacle “époustouflant” qui atteindra enfin l’exigence à laquelle elle aspire depuis ses débuts. L’une de ses devises reste d’ailleurs celle de la superstar du drag RuPaul : “Incarner l’image de sa propre imagination est ce que l’on peut faire de plus puissant.”
Violet Chachki au Crazy Horse, du 24 au 28 juin, Paris 8e.