Qui est Lee Alexander McQueen, le créateur qui a fait de la mode un spectacle sans limite ?
Si le nom d’Alexander McQueen évoque aujourd’hui des collections sombres et poétiques, pour certains, ou des baskets à semelles volumineuses pour d’autres, son couturier éponyme fut bien plus que ça. Véritable créateur de génie, Lee Alexander McQueen a révolutionné la mode avec ses créations anticonformistes et ses défilés spectaculaires, qui ont influencé toute une génération de créateurs après lui.
Par Anna Venet.
Le 11 février 2010, un séisme frappe le monde de la mode : le créateur britannique Lee Alexander McQueen a mis fin à ses jours chez lui, laissant une simple note : “Look after my dogs, sorry, I love you, Lee.” Depuis, nombreux sont ceux à avoir rendu hommage à celui que l’on surnommait “l’enfant terrible de la mode”. En 2011, le Metropolitan Museum de New York lui offre une rétrospective posthume, intitulée “Savage Beauty”, qui connaît une fréquentation record. Il fallait d’ailleurs compter quatre heures en moyenne avant d’accéder à l’exposition, qui a rassemblé au total plus de 660 000 visiteurs. Puis, en 2019, le documentaire McQueen, réalisé par Ian Bonhôte et Peter Ettedgui, revient sur l’incroyable ascension de ce couturier, à la sensibilité à fleur de peau, frappé par de nombreux traumatismes. À la suite de sa disparition, c’est Sarah Burton, responsable du studio prêt-à-porter femme depuis 2000, qui est nommée à la direction artistique de la maison. Saison après saison, elle se réapproprie en toute discrétion le travail du couturier tout en y insufflant sa propre vision, teintée de poésie et de romantisme, à l’instar de la dernière collection homme printemps-été 2022 dédiée à l’œuvre du peintre William Blake.
Lee Alexander McQueen est né le 17 mars 1969 dans une famille d’origine écossaise. Son père est chauffeur de taxi et sa mère enseignante. Bien qu’aucun membre de sa famille ne côtoie un milieu artistique, le jeune garçon développe très vite une passion pour la mode. C’est sa mère, Joyce, dont il est très proche, qui le pousse à faire un apprentissage de tailleur à Savile Row (célèbre quartier de tailleurs à Londres). Il travaille alors au sein de l’atelier Anderson & Sheppard, où il aura le privilège d’habiller le prince Charles. Grâce à sa motivation et à son talent de couturier, il intègre, directement en troisième année, le très réputé Central Saint Martins College of Art and Design. En 1992, alors que Lee présente son défilé de fin d’études, il rencontre la journaliste de mode Isabella Blow, qui achète la collection dans son intégralité, présentée dans les pages de l’édition britannique de Vogue. Par la suite, le créateur ne cesse de faire parler de lui avec des défilés provocants. En témoigne sa collection automne-hiver 1995-1996 “The Highland Rape”, qui deviendra l’un des shows les plus controversés des années 90, qui raconte la répression de la culture écossaise par les Anglais. Le créateur illustre alors ce qu’il appelle un “viol” de la culture écossaise avec des mannequins à la poitrine dénudée et aux fesses apparentes, avec parfois des vêtements arrachés, des lacérations au niveau des parties intimes et des traces d’urine à l’entrejambe. Le public, profondément choqué, accuse le créateur d’être misogyne et de romantiser le viol.
Malgré les scandales, Alexander McQueen impressionne aussi par son avant-gardisme et son anticonformisme, qualités qui le conduisent en 1996 à la direction artistique de la maison Givenchy, dont il secouera le style, tout en continuant à développer sa propre marque. C’est toujours au sein de celle-ci qu’il exprime ses excentricités les plus folles, avec des défilés incroyables et inattendus. Pour lui, la mode est un immense terrain de jeu, mais aussi un exutoire où il évacue sa souffrance. Comme on l’apprend dans le documentaire McQueen, le créateur, abusé sexuellement par son beau-frère qui battait également sa sœur, était très vulnérable. Des traumatismes qui se ressentent dans sa vision souvent provocante, parfois macabre. Pour sa collection automne-hiver 1996-1997, le créateur s’inspire de La Divine Comédie (1472) de Dante, puis réinterprète le célèbre solo chorégraphique La Mort du Cygne (1905) avec sa collection printemps-été 1999, dont le final impressionnant marquera les esprits : le mannequin Shalom Harlow vêtue d’une robe blanche se tient immobile sur une plateforme tournante pendant que deux robots projettent de la peinture sur sa robe. Deux ans plus tard, le couturier fait une nouvelle fois scandale avec sa collection printemps-été 2001, nommée “Voss”, où les mannequins sont prises au piège dans une imposante boîte en verre, façon asile psychiatrique. Une fois encore, le final du défilé dérange fortement : alors que la boîte s’ouvre, se révèle une femme aux formes généreuses entièrement nue, portant une inquiétante cagoule et reliée à un tube respiratoire, sur laquelle sont posés des papillons de nuit, réplique vivante du tableau Sanatorium de Joel-Peter Witkin.
Lee Alexander McQueen entame les années 2000 avec de multiples collections thématiques, comme le fait aussi son homologue britannique John Galliano chez Dior. Pour le défilé printemps-été 2003, il met en scène des pirates naufragés et des indigènes, il signe un hommage au réalisateur Alfred Hitchcock avec sa collection automne-hiver 2005, tandis que pour le défilé printemps-été 2005, il recrée un jeu d’échecs géant. Cependant, son univers bascule en 2007 lorsque sa plus chère amie, Isabella Blow, se suicide. Il lui dédie alors une collection, intitulée “La Dame Bleue”. La même année, il apprend que sa mère, dont il est très proche depuis toujours, est atteinte d’un cancer. Avec la responsabilité de plus de dix collections par an, des prises de drogues récurrentes, une séropositivité et une dépression chronique, il perd pied. Son défilé pour la saison printemps-été 2010, “Plato’s Atlantis”, sera le dernier. Celui-ci met à l’honneur des silhouettes hybrides mi-femme, mi-poisson, sublimées par des tenues à la fois extra-terrestres et futuristes. On y retrouve d’ailleurs les iconiques escarpins Armadillo, vertigineuses chaussures en bois signatures d’Alexander McQueen, immortalisées par Lady Gaga dans le clip de “Bad Romance”. Le documentaire McQueen révèle même que le créateur aurait songé à se suicider sur scène, pendant le final de ce défilé. Le 3 février 2010, la nouvelle de la mort de sa mère le terrasse. Huit jours plus tard, la veille des funérailles, le couturier de quarante ans décide à son tour de mettre fin à ses jours, chez lui, à Mayfair. Un destin tragique pour celui qui arrivait à transformer le chaos en beauté, et qui, dès ses débuts, fut capable d’inspirer à ses admirateurs un véritable culte.