14 juin 2022

LVMH PRIZE 2022 : RÓISÍN PIERCE’s radical lace designs

Jeudi 24 mars 2022, le Prix LVMH dévoilait la liste des huit finalistes de sa neuvième édition, parmi lesquels, la créatrice irlandaise Róisín Pierce dont les collections intégralement blanches transforment la dentelle et la broderie en vêtements aux allures de sculptures portables, aussi radicales que romantiques.

Propos recueillis par Léa Zetlaoui.

Róisín Pierce

Évoquant aussi bien l’histoire du costume qu’une radicalité très contemporaine, les créations de Róisín Pierce laissent une empreinte indélébile. Au point que, trois ans après avoir été récompensée par le premier prix Métiers d’art de Chanel au 34e Festival international de mode et de photographie de Hyères, on se souvient encore de ses coiffes tridimensionnelles virginales, directement inspirées de sa première collection “Women in Bloom”. Depuis, la créatrice irlandaise explore avec une obsession non dissimulée des savoir-faire séculaires dans les domaines de la broderie et de la dentelle pour composer des silhouettes aussi romantiques que gourmandes. Singulière aussi bien dans son processus de fabrication que dans son utilisation quasi monomaniaque des textiles blancs, Róisín Pierce fait partie de cette jeune garde de créateurs qui militent pour préserver, moderniser et diffuser des techniques ancestrales, érigeant la mode en véritable discipline artistique. 

 

Numéro : D’où vient votre intérêt pour la dentelle irlandaise et l’artisanat européen ? 

Róisín Pierce : Je m’intéresse énormément aux textiles de mon pays d’origine, avec lesquels je ressens une véritable connexion. De l’artisanat lui-même à son histoire ou encore sa signification culturelle, je trouve ce patrimoine profondément riche et intéressant. Les traditions et l’artisanat nous sont transmis depuis des siècles à travers les textiles, le design et la broderie, cependant, les savoir-faire et leurs valeurs intrinsèques sont en perte de vitesse. Je souhaite renouveler les compétences et l’artisanat dans le cadre d’une pratique durable et moderne qui sera appréciée par une nouvelle génération, afin qu’elle puisse continuer à vivre.

Au sein de ce riche patrimoine, distinguez-vous un savoir-faire qui vous touche particulièrement ?

Je dirais la dentelle irlandaise Clones, qui a connu un essor considérable pendant la grande famine (1845-1852), car elle ne nécessitait pas beaucoup de matériaux ou d’outils à l’époque. De nombreuses écoles de dentelle ont été créées afin que les gens puissent gagner de l’argent pour leurs familles. Dans ce contexte très triste, de magnifiques pièces sont nées. C’est d’ailleurs un thème récurrent que l’on retrouve avec les tricots Aran ou encore les vêtements et textiles produits dans les blanchisseries Madeleine, des ateliers irlandais pour femmes. Ces belles choses sont souvent issues d’un passé douloureux – les revêtir aujourd’hui, c’est comme porter sur soi un petit morceau de notre histoire et se souvenir du chemin parcouru.

 

Les blanchisseries Madeleine, qui sont en fait des institutions religieuses connues sous le nom de Couvents de la Madeleine, évoquent une époque terrible pour les femmes irlandaises, car elles y étaient maltraitées, battues et exploitées. 

C’est intéressant d’explorer la connexion entre les savoir-faire et le rôle des femmes, qui cache souvent des réalités politiques et religieuses bien plus sombres. L’héritage de la dentelle irlandaise est une dichotomie. Elle reste un symbole d’oppression, car les femmes internées dans ces blanchisseries étaient maltraitées et forcées de participer à sa fabrication, mais elle représente aussi la liberté et l’émancipation, car la dentelle de Clones a aidé des familles à échapper à la pauvreté et à la famine. Je suis très émue par cette histoire. 

 

Votre approche, à la fois pratique et expérimentale, est unique dans l’industrie de la mode, comment la définiriez-vous ?

Je pense que ma pratique combine le design textile, à travers l’élaboration de nouveaux tissus, et la création de silhouettes, tout en se positionnant dans le domaine du luxe car elle explore des savoir-faire et des techniques artisanales.

Róisín Pierce
Róisín Pierce

En 2019, comment avez-vous senti que c’était le bon moment pour lancer votre propre marque ? 

Alors que je travaillais pour d’autres labels, j’étais frustrée que l’accent ne soit pas davantage mis sur la créativité ou le développement des designs. Une marque ne devrait pas exister uniquement pour vendre la robe de la saison dernière dans une nouvelle couleur. Ce qui m’excite vraiment et motive mon travail, c’est cette possibilité de découvrir un terrain nouveau, inexploré. Les traditions irlandaises, l’importance historique de l’artisanat et son impact sur le pays dans son ensemble sont des sujets qui me fascinent. C’est pourquoi j’aime vraiment proposer plusieurs variations de chaque pièce, afin de mettre en valeur une nouvelle méthode de création et toutes les possibilités de manipulation des textiles.

 

Que voulez-vous dire quand vous parlez de proposer plusieurs variations de chaque pièce ?

Mes collections sont très axées sur un processus de création au cours duquel je laisse la manipulation des tissus guider et inspirer la pièce finale. Je ne sais jamais à l’avance ce que je vais créer et c’est comme si je me lançais dans l’inconnu à chaque fois. Grâce à cette approche, je développe différentes techniques et propose des créations qui changent constamment tout en s’inscrivant dans un récit global. 

Róisín Pierce

Pourriez-vous nous en dire plus sur votre technique « zéro déchet » ? 

J’élabore une construction “zéro déchet” depuis ma toute première collection, ce qui me pousse continuellement à penser de manière plus créative. Pour moi, c’est une façon très complémentaire de travailler, car je tiens beaucoup à avoir une pratique durable, mais cela apporte aussi quelque chose de plus. Par exemple, en utilisant plusieurs carrés de tissu, je peux obtenir de nouvelles formes tridimensionnelles en fonction de la façon dont je les assemble. En construisant des formes et en les drapant, ils deviennent des patchworks, des motifs tridimensionnels alternés à des grilles délicates. L’organza léger côtoie la broderie anglaise plus lourde, bordée de coton crocheté, ainsi le contraste entre les deux matières ajoute de la profondeur et souligne subtilement la construction.

 

Jusqu’à présent, vos collections sont exclusivement réalisées dans des tissus blancs, pourquoi ? 

Depuis mon premier jour à l’université, j’ai tout créé en blanc car je trouvais que c’était plus beau. De plus, laisser de côté la couleur me pousse à me plonger plus profondément dans la construction et cela préserve des détails qui se perdraient autrement. Cela fait également référence aux créations blanches des femmes irlandaises, comme la broderie Mountmellick et la dentelle au crochet irlandaise, qui, comme je l’ai expliqué, orientent mon travail sur le plan thématique.

 

Envisagez-vous d’utiliser des couleurs à l’avenir ? 

J’aimerais beaucoup introduire de la couleur à l’avenir, cette idée me stimule beaucoup. Je saurai quand le moment sera venu.


 

www.roisinpierce.com