Louvre Couture : 4 pièces de mode exceptionnelles, de Chanel à Iris van Herpen
Il y a quelques semaines, le musée du Louvre inaugurait “Louvre Couture. Objets d’art, objets de mode”, sa toute première exposition de mode contemporaine, déployée dans les salles du département d’Objets d’art. Au programme, des dizaines de vêtements, accessoires et bijoux jusqu’au 21 juillet 2025 s’invitent parmi les enluminures, les armures et autres assiettes décorées des collections permanentes. Focus sur 4 pièces d’exception, signées John Galliano, Karl Lagerfeld, Alexander McQueen et Iris Van Herpen.
Par Louise Menard.
Publié le 26 février 2025. Modifié le 28 février 2025.
Louvre Couture : une première exposition de mode contemporaine au musée
Le Louvre a beau être le musée le plus visité du monde, il n’en regorge pas moins de territoires moins explorés, souvent négligés au profit de ses chefs-d’œuvre les plus connus. Situé au premier étage de l’aile Richelieu, le département d’Objets d’art est de ceux-là – bien qu’il contienne l’une des plus grandes collections d’objets d’art du monde (riche de quelques 8 500 œuvres).
Un ensemble que l’institution a souhaité raviver, tout en poursuivant la volonté de sa présidente Laurence des Cars de faire entrer le contemporain dans les salles. Depuis le 24 janvier, le musée présente dans ces salles “Louvre Couture. Objets d’art, objets de mode”, sa toute première exposition de mode. Mettant en scène pas moins de 99 pièces datant de 1960 à aujourd’hui, issues de défilés de haute couture, de collections de prêt-à-porter, d’archives d’accessoires et de bijoux, celle-ci se traverse comme une déambulation parmi les collections permanentes d’objets d’art du musée, que ces récents ajouts invitent à (re)découvrir avec un œil neuf.
D’Yves Saint Laurent à Schiaparelli, des trésors de savoir-faire
“Ce qui nous intéresse, c’est que tous ces créateurs géniaux se nourrissent du musée et de l’histoire de l’art, et qu’ils en extraient des inspirations qu’ils télescopent ensuite avec leur propre culture populaire, musicale, contemporaine”, confie Olivier Gabet, directeur du département des Objets d’art. Dans ce riche catalogue, on passe en effet d’une robe haute couture automne-hiver 1997-1998 Yves Saint Laurent, installée près d’une couronne reliquaire, à un manteau Marine Serre semblable en tout point aux motifs d’une tenture du Moyen Âge, en passant par un look solaire griffé Schiaparelli haute couture, placé aux côtés de trois manteaux de l’Ordre de chevalerie du Saint-Esprit…
Prêtées par des maisons de luxe, des fondations comme le musée Yves Saint Laurent mais aussi de plus jeunes griffes comme Charles de Vilmorin, les pièces ont été choisies en raison de leurs liens, suggérés ou factuels, avec les époques et les civilisations incarnées matériellement dans ces salles. Focus sur quatre d’entre elles.
De la laque de Coromandel au manteau Chanel haute couture
“Ce qui différencie un grand créateur d’un autre, c’est sa culture”, précise Olivier Gabet en introduisant l’exposition. Et qui de mieux que Karl Lagerfeld pour incarner la figure de l’artiste érudit, avide de savoirs ? Grand passionné de littérature, d’art et d’histoire, le célèbre créateur allemand a démontré au fil de sa carrière l’étendue de ses inspirations, des kimonos japonais ancestraux – revisités chez Chloé – aux fresques égyptiennes, en passant par les costumes masculins des années 20, qu’il a réinterprétés chez Chanel.
C’est dans le fameux bureau historique de Gabrielle Chanel au 31 rue Cambon que le “Kaiser” découvre un jour des paravents en laque de Coromandel, précieux trésors de la célèbre couturière. Apparues en Chine au 17e siècle, puis importées en Europe pour être plaquée sur le mobilier en bois, les laques étaient très appréciées des Occidentaux pour leurs dessins de scènes impériales, pastorales et mythologiques asiatiques, souvent représentés dans des tonalités dorées et ambrées sur des arrière-plans sombres.
Pour la collection Chanel haute couture automne-hiver 1996-1997, Karl Lagerfeld imagine un long manteau bleu nuit orné de motifs inspirés de ceux des paravents. Des centaines d’heures de travail seront nécessaires aux prestigieux ateliers de la maison Lesage pour les broder à l’aide de fils et de sequins. Au Louvre, la présentation de cette pièce aux côtés d’une commode en laque de Coromandel souligne désormais le respect du créateur pour sa source d’inspiration.
La robe impériale de John Galliano pour Dior
Dans les fastueux appartements “Napoléon III” du Louvre, entre les immenses miroirs, lustres de cristal et fauteuils pourpres du Second Empire, trône actuellement une somptueuse robe bustier de John Galliano pour la maison Dior. Issue de la collection haute couture automne-hiver 2004-2005, cette pièce volumineuse en moire et velours rouge, brodée de tulipes et d’arabesques et garnie d’un large bandeau d’hermine blanche en bas de la jupe, évoque immédiatement la cape de sacre impérial, tenue d’apparat par excellence.
Inspiré ici par l’impératrice Sissi, et plus globalement par l’opulence du vestiaire de cour au 19e siècle, John Galliano occupe une place de choix dans la sélection de “Louvre Couture”. Derrière ses défilés théâtraux pour Dior se cachent des références historiques très précises qui parachutent chaque collection dans une époque et une culture différentes, de l’Égypte antique à l’univers ultra sophistiqué des geishas japonaises.
On trouve ainsi dans l’exposition deux autres créations du Britannique pour la maison française : un manteau en satin inspiré de la toilette de Marie-Antoinette (collection haute couture printemps-été 2005) et une impressionnante robe en organza de soie peint, inspirée par l’univers baroque de Louis XIV (collection haute couture automne-hiver 2006-2007). Des témoignages éloquents de la fascination du designer pour les outils et accessoires du pouvoir.
La robe romantique à fleurs d’Alexander McQueen
Au milieu de l’aile Richelieu du Louvre, difficile de ne pas s’arrêter sur les immenses tapisseries reproduisant la tenture de Scipion (16e siècle) et leurs scènes épiques bordées de chérubins et de compositions végétales. Un décor dense et coloré auquel s’intègre désormais parfaitement une robe mythique des dernières années du créateur Alexander McQueen. Dans cette robe sablier corsetée drapée dans un organza de soie rose poudrée transparente, des fleurs pourpres, blanches et vertes jaillissent des manches et du col : on se croirait devant un panier débordant après une fructueuse récolte.
Avec cette pièce de la collection printemps-été 2007, le créateur britannique reprend le sujet décoratif par excellence, la fleur. Pour autant, précise Olivier Gabet, le talent de McQueen transparaît dans sa capacité à “se libérer de cette inspiration et à la métaboliser suffisamment, pour qu’on ne se trouve pas dans une interprétation littérale mais plutôt dans un terrain d’évocation, d’atmosphère.” À travers cette pièce aux inspirations éclectiques, on peut donc aussi bien percevoir des références au genre pictural de la nature morte, au motif de la corne d’abondance, récurrent dans les œuvres et objets d’art depuis l’Antiquité, au style baroque par la profusion et le mouvement, mais aussi à la mode du 19e siècle dans la silhouette.
Là où les créateurs ont souvent l’habitude de plaquer les fleurs sur le tissu et le vêtement, Alexander McQueen prend le contrepied en transformant en fleur celle qui le porte. L’intégration de fleurs fraîches parmi les fleurs en soie appuie la connotation plus mélancolique de la pièce, explicitée par le créateur lui-même : tout comme les fleurs se fanent, la beauté humaine n’est pas non plus éternelle.
La robe-cathédrale d’Iris van Herpen
Parmi les grands noms de la mode qui figurent actuellement au Louvre, certains entretiennent une relation privilégiée avec le musée depuis leurs débuts. À l’instar d’Iris van Herpen, qui présenta sa première exposition muséale en 2011, seulement quatre ans après la création de son label. C’est donc tout naturellement que l’on retrouve dans “Louvre Couture” une pièce emblématique des premières années de sa carrière : la robe-cathédrale réalisée pour sa collection haute couture printemps-été 2012.
Croisées d’ogives, constructions symétrique et lignes verticales, volumes acérés, arcs brisés et arcs-boutants… Tous les éléments de cette robe-sculpture aux tonalités ocres offrent un parallèle tangible avec l’architecture gothique ayant bercé l’enfance de la créatrice néerlandaise. Modélisée sur ordinateur, puis fabriquée grâce à une imprimante 3D par l’accumulation de couches de polyamide, la pièce est un exemple prégnant du niveau de précision atteignable grâce à cette technique récente.
Précurseure dans l’utilisation de l’impression 3D dans la mode, Iris van Herpen a inspiré depuis d’autres créateurs à faire de même, à l’instar de Karl Lagerfeld, qui l’a utilisée pour façonner la structure d’un tailleur de la collection Chanel haute couture automne-hiver 2015-2016. Ou encore Jonathan Anderson, dont l’étonnante minaudière pigeon créée en 2022 pour son label JW Anderson est également présentée dans “Louvre Couture”, sous une colombe eucharistique du 13e siècle.
“Louvre Couture. Objets d’art, objets de mode”, exposition jusqu’au 21 juillet 2025, au musée du Louvre, Paris 1er.