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L’interview mode de Zahia Dehar, de Karl Lagerfeld à la tendance Barbiecore
L’actrice Zahia Dehar, à l’affiche du film L’air de la mer rend libre de Nadir Moknèche, nous parle de Karl Lagerfeld, de sa collection de lingerie et de son amour pour la mode.
propos recueillis par Violaine Schütz.
En 2010, Zahia Dehar a été celle « par qui le scandale arrive ». En effet, la première fois que l’on entend parler d’elle dans les médias, c’est pour une affaire de mœurs impliquant plusieurs footballeurs. Appelée seulement, à l’époque, par son prénom, Zahia Dehar est escort girl. Un métier source de fantasmes et de jugements faciles. L’opinion publique aurait pu alors la dévorer toute crue. Sauf que, d’une intelligence folle, la jeune femme parvient à se reconvertir illico. La mode succombe à ses charmes. Tout le monde veut la photographier, de Pierre et Gilles à Ellen von Unwerth en passant par Ali Mahdavi. Puis Isabelle Adjani déclare vouloir produire un documentaire sur la it-girl. Elle déclare, en 2012, dans Gala avoir « flashé sur son parcours (…) émouvant, troublant et dérangeant. » L’actrice a le « coup de cœur » pour « cette très jeune femme qui affole le monde à la beauté si singulière qui hypnotise ». Selon l’héroïne de La Reine Margot (1994), Zahia Dehar « vit dans la contradiction du regard de ceux qui vous jugent, vous détestent… mais sont tentés de vous aimer (…) Tout cela je l’ai connu très jeune. C’est vraiment douloureux à vivre… ».
L’interview mode de l’actrice Zahia Dehar, de Karl Lagerfeld à sa collection de lingerie
Très rapidement, après avoir défrayé la chronique, Zahia Dehar lance une ligne de lingerie de luxe, qu’elle fait défiler. Karl Lagerfeld shoote son premier lookbook. Lui aussi est séduit par la candeur et le sex-appeal de l’ex-escort girl. Lorsque Michel Denisot demande à l’immense couturier, sur le plateau du Grand Journal pourquoi il l’aime, il explique : « Et pourquoi pas ? Elle est ravissante (…) Elle se tient comme une petite reine. » Pour l’ancien directeur artistique de la maison Chanel, elle incarne « la tradition française de la courtisane ». Il racontait en effet dans les colonnes de Libération, il y a un peu plus de 10 ans : « Pour moi, Zahia est dans la lignée des courtisanes françaises, de la Païva en passant par la Belle Otero, Émilienne d’Alençon jusqu’à la divine Liane de Pougy. Une tradition purement française que le monde entier a admirée et copiée. »
Mais Zahia Dehar n’est pas seulement une muse qui court les défilés (Lanvin, Dior, Jean Paul Gaultier, Schiaparelli), elle est aussi une actrice au talent naturel troublant. Révélée en 2019 par Une fille facile de Rebecca Zlotowski, qui loue son phrasé digne d’une héroïne de Rohmer, elle est à l’affiche, ce mercredi 4 octobre 2023, de l’émouvant L’Air de la mer rend libre de Nadir Moknèche. L’occasion de revenir, avec la comédienne de 31 ans, sur ses moments mode les plus marquants.
« J’ai été en avance sur beaucoup de choses, notamment sur le travail avec la paille vu après chez Jacquemus. » Zahia Dehar
Numéro : Vous avez créé trois collections de lingerie, depuis 2012, et avez organisé des défilés. Où en êtes-vous aujourd’hui par rapport à votre marque ?
Zahia Dehar : J’ai imaginé trois collections couture de lingerie. Mais en arrivant à Londres, je me suis concentrée sur le cinéma, et j’ai pris beaucoup de cours de théâtre. J’ai donc mis ma marque en stand-by. Je voulais aussi aller vers plus de légèreté. Ce que j’aime au cinéma, c’est que la seule responsabilité que l’on a, c’est notre rôle, notre personnage. Pour le reste, on est guidé par le réalisateur ou la réalisatrice, enveloppé dans une bulle de créativité. Il n’y a pas de contrainte de gestion et d’organisation. Des choses inhérentes au fait d’avoir une marque, qui devenaient trop lourdes pour moi. Mais je n’ai pas renoncé complètement à mes collections. Il s’agit simplement d’une pause.
Quelle la pièce mode la plus précieuse à vos yeux ?
C’est difficile d’en choisir une. Il y en a plein… Mais je dirais la robe de mariée de ma collection de lingerie de 2012 semi transparente, en tulle décorée de pétales de fleurs de cerisier et brodée de strass Swarovski. Pour la présenter, lors du défilé, je suis apparue dans une boîte en carton d’emballage façon poupée Barbie.
Vous étiez en avance sur la tendance Barbiecore…
Tout à fait. J’ai été en avance sur beaucoup de choses (rires). Tout le travail avec la paille que j’avais montré lors d’un défilé de lingerie en 2013 ressemble vraiment à ce qui a été fait l’an dernier en mode, notamment chez Jacquemus. Tout le côté paysanne, je l’avais déjà développé à mon échelle. Je porte d’ailleurs l’une des robes en paille de l’une de mes anciennes collections dans la saison 2 de Drag Race France.
« Je ne suis pas les tendances. Le plus important, selon moi, c’est que mon ADN demeure au fil des années, malgré les modes. » Zahia Dehar
Karl Lagerfeld vous adorait. Qu’est-ce que son adoubement vous a apporté ?
Je l’adorais. Les souvenirs de mes rencontres avec lui resteront gravés à jamais dans ma mémoire. Après mon shooting pour la couv de V Magazine, il m’a photographiée pour le lookbook de ma première collection de lingerie. C’était un moment très important dans ma carrière, qui m’a permis d’avancer. Je n’arrivais pas à y croire. Je n’osais pas viser si haut. Grâce aux gens de V Magazine qui nous ont présentés, il s’est montré très ouvert et ne m’a pas jugée. Quand je lui ai raconté les histoires derrière les pièces de lingerie et que je lui ai montré la collection, ça lui a plu.
Vous avez posé pour de nombreux photographes cultes tels que Pierre et Gilles ou Ellen von Unwerth. Qu’avez-vous appris à leurs côtés ?
Ils ont tous une manière différente de te faire poser. Tu te rends compte que certains veulent que tu joues, d’autres, que tu sois plus naturelle. Pour Pierre et Gilles, qui m’ont photographiée en Marianne, il fallait que je sois très figée, dans le contrôle, car le moindre détail compte dans leurs clichés. Les doigts doivent être parfaitement posés, dans une certaine direction, au millimètre près. Pour d’autres photographes, il faut bouger dans tous les sens. Entrer dans chaque univers apprend à être versatile même si je préfère quand ça bouge, car c’est plus simple pour moi.
Comment décririez-vous votre look ?
J’aime ce qui est léger et près du corps, qui épouse les formes. Je ne suis pas les tendances. Le plus important, selon moi, c’est que mon ADN demeure au fil des années, malgré les modes. Je reste fidèle à mon style. Je ne veux pas me laisser modeler.
Vous arrive-t-il de sortir de chez vous en jogging et baskets ?
Je ne sortirais jamais de chez moi en jogging en coton large. Même pour rester toute seule chez moi, je n’aime pas trop ça. Par contre, je sors à Londres dans la rue en leggings et baskets. Quand je cours la journée, et que j’ai plein de choses à faire, c’est quand même plus pratique d’être relax.
L’air de la mer rend libre (2023) de Nadir Moknèche, avec Zahia Dehar, Kenza Fortas et Youssouf Abi-Ayad, actuellement au cinéma.