21 juil 2025

Prix LVMH 2025 : Danial Aitouganov, co-fondateur du très ensoleillé label Zomer

Avec son label Zomer, co-fondé avec le célèbre styliste Imruh Asha, le designer néerlandais Danial Aitouganov imagine une mode colorée et profondément attachée à des souvenirs d’enfance. Cette année, le duo figure parmi les huit finalistes du prestigieux prix LVMH. À cette occasion, Numéro est allé à la rencontre d’un designer passionné. Rencontre.

  • propos recueillis par Nathan Merchadier.

  • Publié le 21 juillet 2025. Modifié le 23 juillet 2025.

    Zomer, finaliste du prix LVMH 2025

    Il suffit parfois d’un simple accessoire pour cristalliser un moment de mode. Un sac invisible composé d’un jeu de poignées sans contenant, simplement accroché au creux du bras, a récemment enflammé Instagram. À l’origine de cet objet aussi facétieux que désirable : Zomer. Fondé en 2023 par le designer Danial Aitouganov et le styliste Imruh Asha, ce jeune label néerlandais défile à la Fashion Week de Paris depuis ses débuts.

    Finaliste du Prix LVMH 2025, le duo impose en un temps record sa signature, entre silhouettes expérimentales, souvenirs d’enfance et couleurs kaléidoscopiques. Leur marque, dont le nom signifie “été” en néerlandais, témoigne d’une énergie libre, inévitablement solaire et narrative au sein d’un vestiaire pensé comme un terrain de jeu.

    Entre matières vibrantes et surréalisme stylisé : chacune de leurs pièces relève de l’exploration. Et chaque campagne visuelle de la marque, mise en scène à la manière d’un court-métrage, renforce cette volonté de créer un monde total, entre mode, cinéma et art contemporain.

    Le duo s’entoure d’ailleurs régulièrement de photographes de renom pour traduire cette vision, à l’image de la brillante Viviane Sassen (elle aussi néerlandaise), dont l’univers graphique et coloré résonne avec celui de Zomer. Rencontre avec l’un des duos qui façonne l’avenir de la création mode.

    L’interview de Danial Aitouganov, co-fondateur de Zomer

    Numéro : Quand et pourquoi avez-vous créé votre label Zomer ?

    Danial Aitouganov : Ça faisait environ dix ans que je travaillais dans l’industrie de la mode, tout comme Imruh Asha. Nous avons toujours rêvé de créer quelque chose ensemble, mais au départ, nous n’avions ni l’expérience, ni les moyens, ni le réseau. Le label Zomer est né d’un besoin d’expression personnelle. J’en avais assez de travailler pour concrétiser la vision de quelqu’un d’autre. Et de son côté, Imruh se sentait souvent limité dans ses shootings à cause de contraintes commerciales.

    En puisant dans les méandres de votre mémoire, quel est votre tout premier souvenir lié à la mode ?

    Durant mon enfance, j’étais très précis sur ce que je voulais porter. Ma mère choisissait mes vêtements, mais je n’étais jamais d’accord. Il y avait un t-shirt bleu et blanc rayé que j’adorais et d’ailleurs, on en a recréé une version dans une précédente collection.

    Un parcours mode prestigieux, entre Chloé et Burberry

    Vous avez fait vos armes chez Chloé et Burberry. En quoi ces expériences ont-elles nourri votre propre façon de concevoir la mode ?

    Chez Chloé, c’était beaucoup de maquettes, d’expérimentations avec les matières, du moulage, du drapé. On travaillait le vêtement dans l’espace. À l’inverse, chez Burberry, c’était beaucoup de croquis, un travail plus graphique. Aujourd’hui, j’essaie de combiner les deux dans ma pratique. Le dessin est rapide, mais il peut donner quelque chose de plat, alors que le 3D permet de sentir les volumes.

    À ce propos, y a-t-il des créateurs ou créatrices dont le travail vous inspire particulièrement ?

    Deux femmes ont toujours occupé une place centrale dans mon panthéon personnel : Rei Kawakubo et Phoebe Philo. J’admire la radicalité assumée de Rei, sa capacité à bousculer les formes et les attentes. Quant à Phoebe, ses premiers défilés m’ont profondément marqué. Il se dégageait de ses vêtements une telle force, une telle élégance… J’étais un homme, mais j’avais envie de les porter !

    Comment décririez-vous l’essence même de Zomer ?

    Zomer, c’est avant tout une marque qui joue avec légèreté et humour, tout en cultivant une élégance subtile. On mise toujours sur des matières de grande qualité, un héritage de nos parcours dans le luxe, où la rigueur est primordiale. Chez Louis Vuitton, par exemple, on réalisait trois prototypes en matières nobles avant d’aller plus loin. C’est un luxe difficile à reproduire aujourd’hui chez Zomer, mais je tends constamment vers ce niveau d’exigence.

    Les coulisses de la création du sac invisible

    Quelle réflexion a guidé la création de votre collection automne-hiver 2025-2026 ?

    Tout a commencé par une conversation. J’étais dans une période personnelle où j’avais besoin de revenir en arrière. Imruh a bondi en disant : “Et si on faisait une collection à l’envers ?”. De là, tout s’est construit : le défilé a commencé par le final, certains vêtements sont pensés dos-devant. On s’est beaucoup amusés avec ça. Pour la prochaine saison, nous souhaitons passer directement à une approche 3D dès le départ, plutôt que de passer par Photoshop et le croquis.

    Et comment est née l’idée du sac invisible ?

    C’est venu un peu par hasard. Nous avons cherché des fournitures pour la collection, et avec mes stagiaires, nous sommes tombés sur des pièces détachées pour sacs. L’un d’entre eux les a tenues comme si c’était un sac et l’idée est née comme ça. On a voulu en faire un vrai objet désirable, avec de belles finitions et des couleurs attrayantes… Et on a vite senti que ça allait buzzer. Aujourd’hui, nous sommes en pleine production, et nous travaillons déjà sur une version plus fonctionnelle pour la saison prochaine.

    Vos campagnes adoptent une esthétique très cinématographique. Dans quelle mesure le cinéma influence-t-il votre travail quotidien ?

    Zomer est une plateforme, pas seulement une marque. L’image fait partie intégrante de notre langage. On aime collaborer avec des artistes qui ne viennent pas forcément de la mode. Par exemple, Vincent van de Wijngaard, qui a photographié notre dernière campagne, vient du documentaire. Il adore ce choc entre une approche “non-mode” et l’univers de la mode, ça crée des images très fortes. Et pour nous, ça donne une vraie qualité au projet.

    Le prix LVMH et le futur de Zomer

    Vous faites partie des finalistes du Prix LVMH 2025. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

    Nous n’avons que deux ans d’existence et le Prix LVMH 2025 représentait pour nous un rêve presque irréel. Alors apprendre que nous faisions partie des finalistes a été un moment d’euphorie. C’est à la fois un honneur et une étape déterminante dans le développement de notre maison.

    Quels sont les principaux obstacles auxquels se heurte aujourd’hui votre jeune maison de mode indépendante ?

    Le principal défi, c’est bien sûr le budget. Et à cela s’ajoute le fait que, n’ayant pas d’équipe dédiée à chaque pôle, nous devons tout gérer nous-mêmes : finance, marketing, production, sourcing, design… C’est extrêmement exigeant. Nous travaillons essentiellement avec des stagiaires, ce qui m’amène à découvrir des domaines qui m’étaient jusque-là étrangers, comme la production ou la comptabilité. Ce ne sont pas mes spécialités, mais j’apprends sur le tas. Mon ambition, dès que nous atteindrons la rentabilité, est de pouvoir recruter des professionnels (un développeur produit, par exemple), afin de me recentrer sur ce qui m’anime profondément : la création.

    Comment envisagez-vous le développement futur de Zomer ?

    Dans un premier temps, il s’agit vraiment de structurer la maison : consolider le développement produit, optimiser notre plateforme e-commerce, fiabiliser la production pour proposer des pièces de qualité constante. On veut poser des bases solides, faire de Zomer une entreprise saine, autonome, capable de durer.