28 nov 2025

Pourquoi Guillaume Diop est-il un performeur hors norme ?

Nommé étoile du Ballet de l’Opéra de Paris en 2023, Guillaume Diop a connu depuis une notoriété fulgurante, qui pourrait faire perdre l’esprit à un jeune homme né en l’an 2000. Star de la cérémonie d’ouverture des JO, invité au Met Gala, représenté au musée Grévin, le Parisien garde la tête froide et conserve intacte sa passion de la danse. Alors qu’il brillera à nouveau sur la scène de l’Opéra de Paris à partir du 1er décembre 2025 dans le spectacle Contrastes, Numéro est allé à la rencontre d’un performeur hors norme.

  • propos receuillis par Olivier Joyard

    portraits par Jean-Baptiste Mondino

    réalisation par Charles Varenne.

  • Guillaume Diop, star de la danse au firmament

    Sur scène pour danser un ballet classique ou dans une rue du onzième arrondissement parisien, en streetwear chic, Guillaume Diop a tout d’une apparition. C’est d’abord sa silhouette, longiligne et sculptée, qui tape dans l’œil. Puis sa façon unique d’évoluer dans l’espace, mélange de force et de pure finesse. Et enfin sa voix, douce et posée, presque timide, qui nous aidera à le connaître un peu mieux.

    Mais que sait-on vraiment de lui ? En mars 2023, lors d’une représentation de Giselle délocalisée à Séoul, Guillaume Diop est devenu le premier danseur étoile noir de l’Opéra de Paris, nommé alors qu’il n’avait pas encore atteint le grade de premier danseur. Une ascension fulgurante qui fait partie de son histoire, mais ne le définit pas. Le rencontrer, c’est aller au-delà du symbole, pour reconnaître une star, un enfant du siècle – né pile en l’an 2000 – qui incarne comme peu d’autres la culture et l’excellence made in France.

    Un danseur au look affirmé, aperçu au Met Gala 2025

    Durant l’été 2024, le monde a découvert Guillaume Diop sur le toit de l’Hôtel de Ville de Paris, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Il dansait en jupe et sneakers, sous une pluie battante, menant une chorégraphie à laquelle participaient, disséminés dans d’autres lieux de la capitale, plusieurs centaines de danseurs. Cet automne, le musée Grévin le sacre en tant qu’icône grand public. Sa statue de cire a été inaugurée le 22 septembre. Elle le montre en tenue de scène, bras tendu, comme une invitation. “Quand je leur ai annoncé que j’avais été contacté, mes parents étaient dingues, raconte l’intéressé. On allait souvent au Musée Grévin avec ma sœur. C’est un bel hommage, car l’univers de la danse classique est assez niche. Je n’aurais jamais cru me retrouver là”.

    Briser les plafonds de verre ressemble à une seconde nature pour Guillaume Diop. Il se murmure qu’il pourrait être prochainement être nommé à l’Ordre National des Arts et Lettres. En mai, il a connu l’honneur d’une invitation au Met Gala, dont la thématique était “Superfine : Tailoring Black Style” – le dandysme noir. Celui qui a grandi dans le 18e arrondissement de Paris est arrivé superbe en Valentino, portant une version couture d’un boubou sénégalais – un hommage aux origines de son père – et des chaussons en référence au ballet. “Je ne m’attendais pas à voir autant de portes s’ouvrir. Cette notoriété soudaine impose une forme de pression, surtout que je suis quelqu’un qui se remet énormément en question. Mais quand je repense à tout ce qui a eu lieu depuis que j’ai été nommé étoile, la fierté domine”.

    Ce métier demande tellement que si on n’est pas passionné, ça casse”. Guillaume Diop

    Même les surdoués doutent. Pour slalomer entre les remous éventuels, Guillaume Diop marche à l’écoute de soi, sans chercher la lumière qu’il attrape malgré tout. “Ma maman m’a souvent répété : ‘Tant que ça te fait plaisir et que tu aimes ça, continues, mais le jour où ça te fait plus de mal qu’autre chose, il faudra arrêter‘. Ce métier demande tellement que si on n’est pas passionné, ça casse”.

    Dès le départ, la danse a été son grand amour, lui qui pratiquait également l’athlétisme, avant de privilégier cette activité pourtant peu prisée des garçons et des personnes racisées, souvent laissées à la porte. “Mon choix a été instinctif. Mes parents, eux, étaient en mode : ‘‘Tu fais ce que tu veux’’. Après être entré à l’Opéra de Paris à douze ans, Guillaume Diop a gravi les échelons sans modèle. “Dans un documentaire tourné en 2012, on m’a interviewé avec les copains. Il y avait à côté de nous un danseur étoile, Matthias Heymann. Ils étaient tous à dire qu’il voulaient être comme lui… sauf moi. J’expliquais que si je dansais comme lui, je n’apporterais rien de nouveau (rires). J’ai toujours été comme ça !”.

    Sa personnalité s’exprime sans détours quand il raconte son arrivée dans la grande institution française. “Il n’y avait pas de danseurs de couleur ou métis dans le corps de ballet, c’était difficile de se projeter et de s’identifier à tel ou tel danseur”. En 2016, Diop a passé une année à New York au Alvin Ailey American Dance Theater, une compagnie de culture noire. Malgré une offre pour rester, il rentre à Paris… Son crédo consiste depuis à changer les choses de l’intérieur, comme en 2020, lorsqu’il publiait avec d’autres un manifeste signé par 400 salariés de l’institution, intitulé “De la question raciale à l’Opéra de Paris”. Cette dénonciation des discriminations dont sont victimes les minorités a provoqué une prise de conscience en haut lieu.

    Déringardiser un art parfois considéré comme élitiste

    L’homme que nous avons face à nous n’a pourtant rien d‘un militant politique. C’est par et pour la danse que Guillaume Diop s’exprime, déringardise un art parfois considéré comme élitiste, voire obsolète. Il faut l’avoir vu danser pour comprendre l’incandescence de sa gestuelle, l’émotion qui s’en dégage. Sa vie est réglée depuis l’enfance autour d’une idée féroce de la performance artistique. “Tous les matins, à l’Opéra, on a un cours de danse. Si notre technique n’est pas suffisamment solide, difficile de passer à l’étape suivante”. Le danseur trouve toujours son compte dans la discipline. “J’aime bien les sauts, agréables et libérateurs. J’apprécie particulièrement les manèges”.

    On apprend qu’il s’agit de séquences durant lesquelles le danseur ou la danseuse principale traverse la scène en solo, effectuant une série de sauts. Quand on lui demande son pas préféré, Guillaume Diop met en avant la technique des entrechats 6, où les pieds battent trois fois l’un contre l’autre. “Les sauts se font un peu en avançant. Je trouve ça très fort. A la fin de Giselle, le personnage d’Albrecht en enchaîne 32”. Il faut le voir pour le croire. Pourtant, ce danseur d’exception connaît aussi les limites de la technique. La sienne a beau avoir peu d’équivalent, elle doit rester au second plan. “Ce que j’aime le plus, c’est raconter des histoires”.

    On atteint là un impensé de la danse classique, ce mystère qui consiste à communiquer une émotion singulière dans une discipline ultra codifiée. “Quand je travaille avec un chorégraphe ou quand je fais un pas de deux, je pense toujours à des moments vécus, explique Guillaume Diop. Je suis connecté à la vie à travers la danse”.

    J’ai été nommé danseur étoile très jeune, je venais d’avoir 23 ans. La retraite à l’Opéra est à 42 ans, c’est encore long, j’ai envie de garder la flamme !”. Guillaume Diop

    Le jeune homme de vingt-cinq ans prend des notes dans un carnet et réfléchit à son histoire personnelle avant de peaufiner une interprétation, fait entrer en jeu sa mémoire émotionnelle. “Je n’ai compris cela que quand j’ai obtenu des rôles qui demandent une intériorité. Avant, dans le corps de ballet, ce qui compte le plus est d‘être ensemble, en ligne, de respecter la formation”. S’il n’a pas la nature d’un briseur de lignes, Guillaume Diop exsude un profond désir de liberté, condition pour maintenir son désir intact.

    Contrairement à d’autres personnalités de l’Opéra qui ont fini par quitter la compagnie (on pense à Marion Barbeau, devenue comédienne, notamment chez Klapisch), le parisien cherche avant tout un équilibre, en favorisant les collaborations extérieures. “De cette manière, j’alimente mes personnages et cela me permet d’éviter la routine. J’ai été nommé danseur étoile très jeune, je venais d’avoir 23 ans. La retraite à l’Opéra est à 42 ans, c’est encore long, j’ai envie de garder la flamme !”.

    En juin prochain, Diop redansera à Stockholm Gustavia avec le Ballet Royal de Suède. “Il est important de renouveler le répertoire classique, en racontant des histoires en accord avec le monde contemporain. Ce ballet est centré autour de Gustav Badin. Ses parents étaient esclaves, il a été offert en cadeau par la Reine du Danemark à la Reine de Suède. Cette dernière étant opposée à l’esclavage, elle a décidé de l’élever comme son propre fils. Le ballet retrace sa trajectoire”. En décembre, le danseur participe à la soirée Contrastes, où l’Opéra de Paris accueille les chorégraphes contemporains Trisha Brown, Imre et Marne Van Opstal, ainsi que le néoclassique David Dawson. “J’ai commencé par l’éveil à la danse contemporaine quand j’étais très petit, avec une façon de bouger différente du classique. Cela a toujours été en moi. Je sens que j’en ai de plus en plus envie.”

    Une future carrière dans le cinéma ?

    Augmenter sa présence internationale, danser avec des chorégraphes contemporains, Guillaume Diop l’envisage. Pour durer, il sait l’exigence physique de la danse. Sa réponse ? Entamer avec son corps un dialogue pointu. “Même si je suis jeune, comme un sportif, j’ai appris à penser à mon âge. Je vois mon kiné trois fois par semaine et j’essaie d’avoir une hygiène de vie. Identifier les douleurs, quotidiennes ou presque, est devenu un travail en soi. Je pense avoir un peu progressé. Je m‘étais fait une fracture de fatigue au tibia gauche il y a trois ans. En juin dernier, j’ai commencé à avoir des douleurs à droite. Je me disais que ce n’était rien, mais j’ai eu le réflexe d’en parler. On a vu que c’était en train de se casser. Je me suis arrêté trois semaines, au lieu de cinq mois lors de ma première blessure”.

    Mieux se connaître, c’est aussi savoir ce dont on a envie. De cinéma, pourquoi pas. Guillaume Diop vient de tourner dans une adaptation du Fantôme de l’Opéra par Alexandre Castagnetti. “C’est ma première expérience d’acteur. On retrouve Deva Cassel, Julien de Saint Jean et Romain Duris au casting. Même si j’interprète un danseur étoile, j’ai voulu jouer des scènes de dialogues. J’ai toujours été attiré par le cinéma mais je n’y pensais pas de façon concrète jusqu’à maintenant. Pourtant, j’ai beaucoup aimé l’expérience. Je pense que cela peut m’apporter dans ma carrière de danseur de savoir jouer de façon différente”.

    Guillaume Diop, 25 ans et déjà un grand artiste

    Malgré ses envies d’ailleurs, danser à l’Opéra reste la zone de confort de Guillaume Diop. La manière dont il décrit son rituel d’avant spectacle donne l’image d’un homme apaisé, qui sait prendre soin de lui. “Le fait d’avoir une routine précise est réconfortant et décharge le stress”, confirme-t-il. Mais à quoi cela ressemble-t-il ? Nous voilà “In bed with Guillaume Diop”, comme si on y était.

    D’abord, une sieste. Au réveil, je mange des pâtes. Puis j’appelle ma maman. Ensuite, je prends un thé et je vais à l’Opéra, soit à pied, soit en vélo, pour respirer un peu. Arrivé, je papote avec ma maquilleuse avec qui je m’entends très bien. Dans ma loge, je fais une barre au sol, des exercices qui ont pour moi quelque chose de méditatif. J’écoute aussi de la musique, pas du tout classique. Ensuite, je m’échauffe et l’heure d’entrer en scène se profile…” Rien de tout cela ne se voit quand Guillaume Diop enflamme la salle. C’est le propre des grands artistes, quand les efforts d’une vie s’effacent dans l’instant décisif.

    Contrastes”, spetacle avec Guillaume Diop, à L’Opéra national de Paris, du 1 au 31 décembre 2025.

    Coiffure : Sacha Massimbo Molingo. Maquillage : Angloma avec les produits Augustinus Bader. Assistants photographe : Margaux Jouanneau et Loup Catusse. Assistants réalisation : Arthur Callegari et Lou Gueguen. Numérique : Tsuvasa Saïkusa chez D-Factory. Retouche : Marco Giani. Production : Iconoclast Image.