Des pistes d’athlétisme au Centre Pompidou : la folle histoire de la Nike Air
C’est l’une des, si ce n’est la basket la plus iconique de l’histoire de la mode. Commercialisée en 1987, la Nike Air est une prouesse technique et esthétique, qui, au gré de ses réinventions, n’a pas pris une seule ride. Alors que la marque lui dédie une exposition au Centre Pompidou jusqu’au 11 août 2024, plongée dans les inspirations et les défis qui ont jalonné sa création…
Par Camille Bois-Martin.
De la première Nike Cortez à la semelle Air Sole
Au début des années 70, deux grandes marques de sport dominent le marché américain : Adidas et Puma. Vendues moins de dix dollars (un investissement pour l’époque), les baskets se composent alors toutes d’une semelle en caoutchouc spongieux – y compris les premières chaussures Nike lancées par Philip Knight en 1972, les célèbres Cortez. Premières sneakers de course de la marque, elles se distinguent surtout pour leur logo, la fameuse virgule (dite swoosh) dessinée par une étudiante en dessin de l’université d’État de Portland, Carolyn Davidson.
Ce n’est que sept ans plus tard, en 1979, que Nike introduit une révolution dans le monde de la basket, sur une idée d’un ingénieur aéronautique totalement extérieur à l’univers du sport : Frank Rudy. Lassé de l’inconfort permanent qu’il ressent dans ses bottes de ski, il imagine un rembourrage à base de gaz inerte encapsulé dans du plastique polyuréthane. Emprisonné dans une enveloppe de plastique, l’air contenu emmagasine alors les chocs de chaque pas et les redistribue pour assurer une propulsion maximale et un confort inédit.
Convaincu que son idée peut valoir de l’or, Frank Rudy démarche les entreprises de sport américaines, sans résultat. Jusqu’à ce que la jeune marque Nike n’accepte d’explorer son projet… Philip Knight en personne essaye ses semelles à l’occasion de l’un de ses footings quotidiens et, persuadé du potentiel de cette invention, achète le brevet et le renomme Air Sole.
En 1978, Nike commercialise ainsi ses premières chaussures avec des semelles à base d’air, sous le nom accrocheur de Nike Air Tailwind (traduisible par vent arrière), promettant aux coureurs une vitesse sans précédent. À l’approche du marathon d’Honolulu, la marque propose à la vente 250 paires, à 50 dollars l’unité – soit cinq fois plus cher que le reste des chaussures vendues à cette époque. Mais le succès est immédiat, et le modèle s’écoule en à peine 24 heures.
Les difficultés de Nike et le coup de génie de Tinker Hatfield
Dans la décennie qui suit, Nike s’impose rapidement en leader sur le marché des marques de sport américaines, portée notamment par les grands sportifs du moment tels que le champion de 1 500m Steve Prefontaine. Mais avec l’avènement du fitness féminin, pour lequel la marque ne propose pas de sneakers adaptées, et l’opacité de la technique à base d’air pour le grand public, les ventes chutent.
De voyage à Paris, Tinker Hatfield, designer chez Nike, est alors frappé d’un coup de génie : et si la basket laissait apparente la technologie surprenante qui se cache au sein de sa semelle ? Aux États-Unis, les équipes de la marque ne sont pas convaincus par l’idée, qu’elles peinent à visualiser. Pourtant, Hatfield a, lui, une image très claire en tête, celle de la façade du Centre Pompidou, inauguré quelques années auparavant en 1977, et que les Parisiens renomment alors “Notre-Dame-des-Tuyaux”.
Imaginé par les architectes Renzo Piano et Richard Rogers, le musée parisien ne fait pas non plus l’unanimité. Contrastant avec le gris des toits de la capitale et les pierres des bâtiments haussmanniens alentours, les six niveaux de l’institution se déploient à cœur ouvert dans la ville au gré de murs en vitre, rejetant sur l’extérieur du bâtiment tout ce qui reste habituellement caché. Ainsi les tuyaux des circulations électriques, d’air et d’eau se matérialisent au travers d’une large infrastructure colorée bleu, jaune, rouge et verte, donnant directement sur les rues de Paris. Impossible de louper le Centre Pompidou, donc. Et c’est justement ce qui plaît à Tinker Hatfield.
Ni une, ni deux, le designer rentre en Oregon, où se situe le siège de Nike, et pitche une paire de baskets rouge et blanche, dont la semelle laisse apparaître trois bulles d’air en transparence. Comme pour le musée parisien, la basket américaine laisse ainsi entrevoir son intérieur et son fonctionnement… La première Nike Air Max est née.
De Michael Jordan à Virgil Abloh : la Nike Air, entre technique et esthétique
Commercialisée à partir de 1987, la Nike Air transporte la technique novatrice de la marque américaine dans une toute nouvelle dimension esthétique qui, au fur et à mesure des années, prend de plus en plus d’ampleur. Des pieds du personnage Marty McFly dans Retour vers le futur, partie 2 (1989) à ceux de Spike Lee dans Do The Right Thing : le mythe de la Nike Air devient populaire, et se pare des prouesses des athlètes qui la personnalisent. À l’image du plus célèbre, le basketteur Michael Jordan, qui conçoit avec Nike le fameux modèle dit Air Jordan, depuis devenu un des iconiques de la marque.
Portée par de célèbres sportifs, la Nike Air se transforme rapidement en accessoire quotidien, porté dans la rue comme sur les stades et sur les pistes des plus grands tournois sportifs, accompagnant l’avènement de la mode sportswear au début des années 90. De nombreux couturiers s’emparent alors de la Nike Air pour mieux la réinventer au fil des décennies, de Rei Kawakubo avec Comme des Garçons (2009), à Virgil Abloh pour Off-White (2017), en passant par Sacai (2019) et, plus récemment, par le créateur Jacquemus (2022).
Mais la paire reste, à l’origine, conçue pour des athlètes de haut niveau, qui peaufinent de plus en plus leur esthétique autant que leur technique. Une symbiose entre style et innovation, que Nike entend pousser un cran plus loin à l’avenir, en invitant notamment ses ambassadeurs à imaginer sur-mesure leur chaussure. Intitulée A.I.R (Athletes Imagined Revolution), le projet s’appuie sur des machines à impression 3D et sur une intelligence artificielle pour allier l’imagination des champions à leurs besoins.
Ainsi peut-on découvrir au Centre Pompidou la basket de Killian Mbappé, conçue par ce dernier pour maximiser sa vitesse grâce à une plaque d’air intégrée sous le pied, et prenant l’apparence d’un avion de chasse. Ou encore celle de la championne américaine du 100m Sha’Carri Richardson, qui incarne ses trois concepts essentiels – la confiance, la persévérance et la grâce–, matérialisés à travers une chaussure recouvrant tout le pied, de la cheville aux orteils. Bref, le passé, le présent et le futur du sport semblent se retrouver, encore aujourd’hui, dans une seule et même basket : la Nike Air.
Exposition “L’Art de la victoire. Art of Victory”, jusqu’au 11 août 2024 au Centre Pompidou, Paris 4e.