3 avr 2025

Rencontre avec Étienne Deroeux, talent caché de la mode

Certains créateurs cherchent éternellement à briller sous le feu des projecteurs. Étienne Deroeux, lui, préfère tracer sa route dans l’ombre, en alliant discrétion et influence. Consultant et fondateur du label FORMA, il évolue à la croisée des mondes, construisant patiemment un univers où se mêlent mode, design et expérimentation créative. Rencontre avec un créateur à suivre absolument.

  • Par Nathan Merchadier.

  • Étienne Deroeux : une enfance dans l’art et la couture

    Mon premier souvenir lié à la mode, c’est une publicité du parfum Calvin Klein CK One avec Kate Moss et Mark Wahlberg. J’avais 7 ans.” se remémore Étienne Deroeux, enfoncé dans les coussins du patio d’un hôtel parisien. Fils de conservateurs de musée, il grandit à Lille, au milieu de l’art et des artistes. Mais c’est sa tante, modéliste, qui l’initie au textile. Après avoir voulu devenir architecte, un stage déterminant auprès du créateur de mode Stéphane Rolland lui fait prendre conscience de son attrait pour la mode. “J’aimais cette idée d’être une vigie de ce qui se passe dans la société”.

    Formé à la prestigieuse École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre, Étienne Deroeux fait par la suite ses armes à New York, d’abord chez Proenza Schouler, puis aux côtés du designer américain Matthew Ames. “J’ai pris une claque culturelle. Là-bas, le sportswear et l’activewear se mêlaient à la couture, ce qui n’existait pas encore en France”. Inspiré par ce mélange, il crée en 2011, sa première marque, portant son nom, influencée par le luxe et par les codes du sportswear.

    Avec son label sobrement baptisé Étienne Deroeux, il présente des collections de prêt-à-porter féminin à Paris et à New York pendant six ans et figure parmi les créateurs nommés au prestigieux prix Woolmark en 2016. “C’était une autre époque, pré-Instagram, pré-e-commerce”, se souvient-il. Mais rapidement, il se sent enfermé. “Je voulais faire de l’homme, du parfum… Mais la marque portait mon nom, et j’avais l’impression qu’on parlait plus de moi que de mes vêtements”. Il décide alors de tourner la page pour explorer d’autres horizons.

    FORMA : un laboratoire créatif libre et organique

    Étienne lance alors FORMA en 2021, une marque qu’il décrit comme “un vestiaire pour créatifs”. Jeans, manteaux, pulls… Chaque pièce répond à un besoin simple : bien coupée, bien faite et durable. “Je suis très attaché à cette idée de proposer des vêtements qui restent dans le temps. Si tu aimes un manteau FORMA, tu pourras le retrouver des années après”. Cette philosophie de slow fashion guide sa réflexion : “La mode te dit toujours que tu n’as pas le temps, mais pour bien faire les choses, il faut du temps.

    FORMA dépasse rapidement les frontières du vêtement pour devenir une véritable plateforme créative. “On travaille actuellement sur de nouveaux objets atypiques, comme une bougie inspirée d’un réchaud militaire, fabriquée par des artisans ukrainiens”. Cette réinterprétation d’objets utilitaires symbolise sa vision du good design, où l’esthétique et la fonctionnalité doivent coexister harmonieusement. “Un de mes livres préférés s’appelle Design for the Real World [publié en 1971]. Il évoque l’idée que le design est fait pour répondre à un besoin du monde réel. Cela implique qu’il n’est pas nécessairement esthétique”.

    Avec FORMA, Étienne n’a pas l’ambition de créer la prochaine marque valorisée à 100 millions de dollars. “On cherche plutôt à construire un projet pérenne”. Déjà soutenue par des boutiques prestigieuses comme SSENSE et des créatifs de renom, la marque trouve peu à peu son public. Affranchi des diktats du milieu de la mode, Étienne Deroeux poursuit son chemin avec une liberté rare. Entre conseil aux entreprises, design et expérimentation, il reste fidèle à sa philosophie : prendre le temps de bien faire les choses, pour que chaque création ait du sens et puisse espérer laisser une empreinte durable…

    SuperSolid : l’agence qui collabore dans l’ombre avec Skepta et Kid Super

    En parallèle, Étienne Deroeux lance en 2022 SuperSolid, une agence de conseil qui accompagne des géants de l’industrie, aussi bien que des jeunes créateurs. “On travaille avec plein de gens, mais sans en parler publiquement”. Parmi ses clients, on compte le rappeur britannique Skepta, le label New-Yorkais déjanté KidSuper, ou encore le géant de la sneakers Adidas, mais aussi d’autres marques plus confidentielles…

    Sa démarche repose sur une philosophie simple : privilégier l’intention derrière un projet, plutôt que sa taille. “Parfois, on aide des jeunes créateurs qui n’ont pas beaucoup de moyens, mais qui ont une vraie vision. Comme avec la créatrice nigériane Mowalola : on l’a accompagnée pour qu’elle puisse relancer sa marque sur de bonnes bases, avec du soutien en production, et les meilleurs partenaires”.

    Cette diversité lui permet d’explorer de nouvelles perspectives tout en cultivant un équilibre rare dans l’industrie de la mode : “Aujourd’hui, j’ai le luxe d’avoir le temps. On ne cherche pas la croissance infinie, mais à poser les bonnes briques, collection après collection”.