14 nov 2022

Ellen von Unwerth tells the story of 5 photographs featuring Naomi Campbell, Kate Moss, and Claudia Schiffer

Après trois décennies de carrière flamboyante aux côtés des supermodels (Naomi Campbell, Kate Moss, Claudia Schiffer…), qu’elle capture sous tous les angles, la photographe Ellen Von Unwerth dévoile une collection de Polaroïd inédits saisis sur le vif lors de certains de ses shootings les plus connus. D’abord présentée à la maison d’enchères Phillips de Paris, du 7 au 11 novembre, cette collection de clichés passera ensuite sous le marteau à Londres le 22 novembre 2022. Pour Numéro, elle raconte les backstage de cinq images cultes.

Propos recueillis par Erwann Chevalier.

Interview by Erwann Chevalier.

© Steven Kugler

Avec ses photos glamour et sexy, la photographe Ellen von Unwerth a marqué les années 90. Intensité du grain, noir et blanc énergique, couleurs saturées et cadrage serré caractérisent l’univers provocateur et intimiste de celle qui a capturé la naissance des supermodels – notamment Naomi Campbell, Kate Moss, Claudia Schiffer, Carla Bruni – à l’aube des nineties pour devenir une référence de la photographie de mode. La photographe autodidacte, née en 1954 à Munich, a extrait de ses archives personnelles une collection de Polaroïd, instantanés saisis sur le vif au cours de ses shootings mode les plus connus. Du 7 au 11 novembre, chacun pourra admirer ces clichés dans les bureaux parisiens de la maison d’enchères Phillips (7e arrondissement), avant leur passage sous le marteau le 22 novembre, à Londres.

 

Je me suis dit que c’était mieux de les vendre que de les laisser dans une boîte”, confie la photographe à Numéro. Car ces images, qui, souligne-t-elle, “n’ont jamais été vraiment montrées émaillent le brillant parcours d’Ellen von Unwerth, comme autant de souvenirs personnels. Ex-mannequin éprise de photographie, elle passe progressivement derrière l’objectif et commence à vendre ses photos à quelques magazines de mode. Son talent fera le reste. Elle signera notamment en 1989 une campagne très remarquée pour le label Guess mettant en scène Claudia Schiffer. Quand on parcourt du regard ces Polaroïd, on découvre les icônes des podiums que tous les photographes s’arrachaient à l’époque. Naomi Campbell alanguie sur un bar, Kate Moss à peine âgée de seize ans, un café à la main, Claudia Schiffer à moitié nue devant une piscine, la it-girl Paris Hilton, espiègle, arrosant d’eau un homme…  autant d’images qui prouvent qu’elle sait exalter avec talent le naturel et la vivacité du moment. Pour Numéro, Ellen von Unwerth revient sur les secrets qui se cachent derrière cinq photographies cultes.

Splendor in the Garden, Kate Moss, Miami, 1993 © Ellen von Unwerth

1. Splendor in the Garden, Kate Moss, Miami, 1993

 

“C’était un des premiers shootings de Kate Moss. Je travaillais déjà avec les supermodels et Kate est arrivée avec cette nouvelle tête, ses dents un peu pointues, sa minceur, son visage juvénile… Elle avait seize ans. Ça a été un coup de cœur immédiat entre nous deux. C’est l’année précédente que je l’avais rencontrée pour la première fois lors de son tout premier shooting pour Vogue Italie, où elle avait l’allure d’une lolita. Le Polaroïd que vous voyez ici a été capturé lors de son deuxième shooting à Miami, cette fois-ci, pour l’édition américaine de Vogue. Elle était entourée de six ou sept filles, mais elle était là avec sa fraîcheur et son charme qui contrastait. Je me rappelle qu’on a fait les prises de vues un peu partout dans la ville, sur la plage, mais surtout dans des endroits qu’on a cherchés toutes ensemble. Ce Polaroïd a été pris le matin au moment où nous prenions notre café. En la regardant, je me suis dit qu’elle était tellement belle que je devais prendre mon appareil pour capturer ce moment hors du temps. C’est très intimiste, pas du tout posé, il n’y avait personne autour. On se complique tellement la vie pour essayer de faire des photographies incroyables, alors que, finalement, les moments volés, si vrais, sont toujours les photographies les plus belles!”

Miss America, Claudia Schiffer, Saint Tropez, 1994 © Ellen von Unwerth

2. Miss America, Claudia Schiffer, Saint-Tropez, 1994

 

“J’ai fait la connaissance de Claudia Schiffer au début de ma carrière, notamment à l’occasion d’un shooting pour Guess que j’ai réalisé dans les années 90. J’aimais tellement sa ressemblance avec Brigitte Bardot que, pour ces photographies réalisées à Nashville, j’ai mixé la beauté de Bardot avec celle de Dolly Parton. Cette campagne a eu un tel succès — on m’en parle encore aujourd’hui — que nous avons décidé de shooter un calendrier ensemble. C’est à cette époque que nos carrières respectives ont été lancées. Le Polaroïd que vous voyez ici a été pris à Saint-Tropez. Pour la photo qui illustrait chaque mois, nous avons imaginé un personnage différent : une James Bond Girl, un bandit sur les toits, une soubrette… Sur cette image, c’était Miss America en soutien-gorge avec le chapeau d’Oncle Sam. Claudia devait avoir 19 ans. Elle était tellement charmante, jolie et sexy à la fois que j’ai saisi ce moment à la volée. D’ailleurs je n’arrive plus à remettre la main sur ce calendrier, il faut absolument que je le retrouve !”

Big Spender, Naomi Campbell and Stephanie Seymour, Los Angeles, 1991 © Ellen von Unwerth

3. Big Spender, Naomi Campbell and Stephanie Seymour, Los Angeles, 1991

 

“Je suis souvent inspirée par le cinéma. J’ai notamment un goût prononcé pour la comédie musicale Sweet Charity, réalisée par Bob Fosse en 1966. Ce long-métrage fait partie de mes obsessions. Il a notamment influencé une série qui était destinée au Vogue Italie, que nous avons shootée à Los Angeles, dans un petit bar qui s’appellait Smalls. J’ai eu la chance d’avoir les plus belles filles du moment pour ces images. Il y avait Stephanie Seymour, Naomi Campbell, Tatjana Patitz — les supermodels des années 90. Nous avons essayé de refaire les scènes du long-métrage d’une certaine manière, avec beaucoup de glamour. Les filles étaient tellement sexy que cette série dégage une force incroyable. Cela s’est fait très naturellement, c’était une époque où elles étaient toutes copines, elles se voyaient en privé, nous faisions la fête ensemble. C’était une ambiance très familiale et saine tant sur le plan personnel que professionnel. Une chose est sûre, les filles se donnaient beaucoup sur les shootings, elles ne restaient pas assises sur une chaise sans bouger, elles jouaient devant l’objectif, elles savaient vraiment nous raconter une histoire.”

Car Wash, Paris Hilton, Los Angeles, 2004 © Ellen von Unwerth

4. Car Wash, Paris Hilton, Los Angeles, 2004 

 

“Au tout début, ce shooting était prévu pour la marque Guess, mais Paris Hilton devait aussi fournir un cliché pour une vente aux enchères caritative. À l’époque, tout le monde parlait d’elle comme de l’incroyable et sulfureuse héritière des hôtels Hilton. Nous l’avons donc prise en photo un peu “snob” en compagnie d’un homme qui aurait pu être son serviteur, son compagnon ou une simple amourette — nous n’avons jamais réellement su. [Rires.] Les prises de vues ont débuté dans la Jeep, où elle était d’abord nue, avec un petit chien qui cachait tout. Ensuite, nous sommes arrivés dans cette fameuse station essence. Son compagnon s’est mis à laver la voiture, et, sachant que chaque shooting se termine généralement dans une ambiance assez décontractée, Paris Hilton a alors décidé de taquiner le garçon en l’arrosant. J’ai immédiatement sauté sur mon appareil pour emprisonner cette effusion de joie dans mon boîtier. Ce cliché est l’exemple parfait de mon style. Je cherche surtout l’instant où le naturel reprend le dessus. Ce sont des moments un peu “absurdes” mais si vrais ! Paris Hilton est vraiment une figure de la pop culture, comme Kim Kardashian ou Julia Fox aujourd’hui… ce sont des personnages qui nous fascinent par  quelque chose de plus que leur beauté. Paris m’a toujours impressionnée, elle est très belle, un peu Barbie aussi, mais elle a ses attitudes bien à elle, et ne se prend pas au sérieux. Cette photo a marqué de nombreuses personnes. Elle me rappelle de très bons souvenirs et je la trouve toujours aussi inspirante.”

The Spy from the Cold, Nadja Auermann, Prague, 1994 © Ellen von Unwerth

5. The Spy from the Cold, Nadja Auermann, Prague, 1994

 

Nadja Auermann est l’une de mes mannequins préférées. Tellement belle, tellement grande, tellement sexy, avec cette force germanique qui ne la rendait semblable à nulle autre. Elle avait une aura de femme fatale. Lors de ce shooting, elle était au zénith de sa carrière. Tout le monde voulait la photographier. À ce moment-là, on a fait un voyage à Prague, pour réaliser cette série tournant autour d’une histoire d’espions. Encore une fois, on a shooté partout, dans la gare, sur les ponts, dans les rues… Personnellement, j’adore shooter dans les vieux palaces à l’atmosphère feutrée, qui incitent toujours à se demander : que s’est-il  passé entre ces murs ? Ce Polaroïd a justement été pris dans la chambre d’un de ces palaces. Nadja avait une attitude de femme mystérieuse, incarnée par cette position assise, assez masculine. Et je me rappelle très précisément que lors de ce shooting, qu’elle refusait catégoriquement de mettre des chaussures plates, alors qu’elle avait des jambes kilométriques ! Sur cette image, elle a des bottes Prada, alors qu’à cette époque, pour ressembler à ces glamazones ultra-chics qu’on trouvait justement dans le Vogue américain, il fallait absolument porter des talons. Nous avons finalement réussi à la convaincre, mais c’est assez drôle car à chaque fois que je vois cette image, je me rappelle cette histoire. Pour finir, j’ajouterai que ce sont justement ces bottes qui donnent cette force à l’image, au contraire des talons qui auraient accentué le côté glamour, pas forcément en lien avec l’objectif de cette histoire…”

 

Ellen von Unwerth, exposition du 7 au 10 novembre à la maison d’enchères Phillips, au 46, Rue du Bac, 75007 Paris. 

© Steven Kugler

With her glamorous and sexy shots, photographer Ellen von Unwerth left her mark during the 1990s. The intensity of the grain, the energetic black and white, the saturated colors and the tight framing are characteristic of the provocative and intimate universe of the one who captured the birth of supermodels in the 90s, like Naomi Campbell, Kate Moss, Claudia Schiffer, or Carla Bruni, to become the number one reference in fashion photography. The self-taught photographer, born in 1954 in Munich, has extracted a collection of Polaroids from her personal archives, snapshots taken on the spot during her most famous shoots. From November 7th to 11th, these snapshots were shown in the Paris offices of the Phillips auction house (7th arrondissement) before their auction on November 22nd in London.

 

“I thought it was better to sell them rather than to leave them in a box”, the photographer told Numéro. These images, which, she points out, “have never really been shown before”, are like so many personal memories of Ellen von Unwerth’s brilliant career. As a former model with a passion for photography, she gradually moved behind the lens and began selling her photos to fashion magazines. Her talent did the rest. In 1989, she signed a highly acclaimed campaign featuring Claudia Schiffer for the label Guess. Looking at these Polaroids, one discovers the catwalk icons coveted by all photographers at the time. Naomi Campbell lounging in a bar, Kate Moss, barely sixteen at the time, holding a cup of coffee, Claudia Schiffer half-naked in front of a swimming pool, the socialite Paris Hilton, mischievously spraying water on a man… so many images that prove that the talented photographer knows how to highlight the sparkle and the natural aspect of a moment. For Numéro, Ellen von Unwerth looks back at the secrets behind five iconic photographs.

 

Splendor in the Garden, Kate Moss, Miami, 1993 © Ellen von Unwerth

1. Splendor in the Garden, Kate Moss, Miami, 1993

 

“It was one of Kate Moss’ first shootings. I was already working with supermodels when Kate emerged with her new face, slightly sharp teeth, slimness, and youthful face… She was sixteen. It was an instant crush between the two of us. I had met her for the first time the year before during her very first shoot for Vogue Italia, in which she looked like a Lolita. The Polaroid you see here was taken during her second shoot in Miami for the American Vogue. She was surrounded by six or seven other girls, yet she was standing out with her coolness and her charm. I remember we shot all over the city, on the beach, but mostly in places we all looked for together. This Polaroid was taken in the morning when we were having our coffee. As I looked at her, I thought of how beautiful she was and took my camera to capture this timeless moment. It was very intimate, not posed at all, with no one around us. We often go to so much trouble trying to capture amazing photographs, when the stolen, real moments always offer the most beautiful ones in the end!”

Miss America, Claudia Schiffer, Saint Tropez, 1994 © Ellen von Unwerth

2. Miss America, Claudia Schiffer, Saint-Tropez, 1994

 

“I met Claudia Schiffer early in my career, especially during a shoot for Guess that I did in the 90s. I liked her resemblance to Brigitte Bardot so much that I mixed both Bardot’s and Dolly Parton’s beauty for these photographs taken in Nashville. The campaign was so successful – I still hear about it today – that we decided to shoot a calendar together. Our respective careers launched at that time. The Polaroid you see here was taken in Saint-Tropez. We created a different character for each month – a James Bond Girl, a thief climbing on a rooftop, a maid… In this photograph, it was Miss America wearing a bra and Uncle Sam’s hat. Claudia was about 19 years old. She was so charming, pretty, and sexy at the same time that I captured this moment on the fly. In fact, I can’t get my hands on that calendar anymore, I really need to find it!”

 

Big Spender, Naomi Campbell and Stephanie Seymour, Los Angeles, 1991 © Ellen von Unwerth

3. Big Spender, Naomi Campbell and Stephanie Seymour, Los Angeles, 1991

 

“I am often inspired by films. I have a particular fondness for Bob Fosse’s musical Sweet Charity (1966). This film is one of my obsessions. It influenced a particular series for Vogue Italia that we shot in a small bar called Smalls in Los Angeles. I was lucky enough to have the most beautiful girls at that time for these images. The 90s supermodels Stephanie Seymour, Naomi Campbell, and Tatjana Patitz were there. We tried to remake the scenes from the feature to some extent, adding a lot of glamour. The girls were so sexy that this series has an incredible strength. Everything happened naturally. It was a time when they were all friends, they saw each other in private, and we all partied together. It was a very family-like and healthy atmosphere, both on the personal and professional level. One thing is for sure, the girls gave a lot of themselves on the shoots, they didn’t just sit on a chair motionless, they played in front of the camera, they really knew how to tell a story.”

Car Wash, Paris Hilton, Los Angeles, 2004 © Ellen von Unwerth

4. Car Wash, Paris Hilton, Los Angeles, 2004 

 

“This shoot was originally planned for the brand Guess, but Paris Hilton was also to provide a shot for a charity auction. At the time, everyone was talking about her as the incredible, sultry Hilton Hotel heiress. So, we took a slightly snob picture of her along with a man who could have been her servant, her partner, or just a fling – we never really knew. [Laughs.] The shooting first started inside the Jeep, where she was naked with a little dog covering her. Then, we arrived at this famous gas station. Her companion started washing the car and, knowing that every shoot usually ends in a rather relaxed atmosphere, Paris Hilton decided to spray the guy to tease him. I immediately jumped on my camera to capture this outpouring of joy through my lens. This shot is a perfect statement of my style. I look for the moment when nature takes over. These are moments that are a bit “absurd” but so real! Paris Hilton is real icon in pop culture, just like Kim Kardashian or Julia Fox today… they are characters who fascinate us with something more than their beauty. Paris has always impressed me, she is very beautiful, a bit of a Barbie too, but she has her own attitudes, and doesn’t take herself too seriously. This photo has marked many people. It brings back very good memories and I still find it inspiring.”

The Spy from the Cold, Nadja Auermann, Prague, 1994 © Ellen von Unwerth

5. The Spy from the Cold, Nadja Auermann, Prague, 1994

 

“Nadja Auermann is one of my favorite models. She is so beautiful, so tall, and so sexy, with that Germanic strength that made her like no other. She had a femme fatale aura. At the time of this shoot, she was at the peak of her career. Everyone wanted to shoot with her. We went to Prague to do this series based on a spy story. Once again, we shot everywhere, at the train station, on the bridges, in the streets… Personally, I love shooting in the hushed atmosphere of old palaces that always make you wonder ‘what happened within these walls?’ This Polaroid was taken in the room of one of those palaces. Nadja had the attitude of a mysterious woman, embodied by this rather masculine sitting position. And I remember very precisely that during this shooting, she categorically refused to wear flat shoes, even though she had mile-long legs! In this picture, she wears Prada boots, whereas at that time you definitely had to wear heels to look like those ultra-chic glamorous women featured in the American Vogue. We finally managed to convince her, but it is quite funny because every time I see this picture, I remember this story. I would like to add that these boots precisely give the image its strength, as opposed to heels which would have emphasized the glamorous side and would have not necessarily matched the storyline…”