18 déc 2020

Du flamenco à Balenciaga, comment le créateur Arturo Obegero ravive le patrimoine espagnol

Diplômé de la Central Saint Martins — une des composantes de l’université des arts de Londres —, le jeune créateur espagnol Arturo Obegero propose depuis deux ans des collections théâtrales et poétiques où se lisent aussi bien l’histoire de la danse espagnole que la tradition de la haute couture. Numéro a rencontré ce nouveau talent de la mode dans l’intimité de son studio francilien, lieu d’incubation et de production de toutes ses créations. 

Nous sommes en septembre 2009. Alexander McQueen vient de marquer l’histoire de la mode en présentant le tout premier défilé retransmis en direct. Animé par ses silhouettes aux airs d’aliens, ses chaussures à plateformes “armadillos” et ses caméras-robots sorties d’un film science-fiction, l’événement attire des milliers d’internautes excités à l’idée de pénétrer en direct le cadre ultra-privé du défilé de mode et inspire toute une génération de créateurs en herbe. Arturo Obegero est de ceux-là. Spectateur du défilé depuis son petit village du nord-est de l’Espagne, où l’accès total à Internet est arrivé il y a peu, l’adolescent sent naître en lui une véritable vocation : lui aussi deviendra ce designer mêlant à ses pièces avant-gardistes la performance et le spectacle. Une décennie plus tard, le jeune Asturien semble sur la bonne voie.

 

Car l’histoire d’Arturo Obegero est celle d’un éternel optimiste ne reculant devant rien pour réaliser son rêve. Mû par une ambition sans faille, il commence à économiser dès le lycée puis étudie la coupe et le patronage pendant quelques années, avant d’embarquer pour Londres. Accepté à la prestigieuse Central Saint Martins — une des composantes de l’université des arts de Londres —, l’Espagnol y voit l’opportunité de relier aussi bien ses collections à sa propre histoire qu’à son goût viscéral pour la danse et la performance scénique. Ses deux pièces phares s’en font l’exemple éloquent : un pantalon taille haute noir ultra-cintré et évasé en bas, inspiré par le danseur espagnol Antonio Gades, et une chemise fluide en soie écrue, directement montée d’après un modèle appartenant au grand-père qu’il a perdu il y a quelques années. Toutes deux habillent le créateur lorsqu’il nous accueille dans son studio en banlieue parisienne : “Mes créations sont devenues comme une dramatisation de ma façon de m’habiller”, s’amuse celui qui a découvert dès l’enfance son amour pour le corps en apprenant le flamenco et les danses traditionnelles de sa région.

C’est en 2018, suite à une expérience d’un an dans les ateliers de la maison Lanvin, qu’Arturo Obegero décide de lancer son propre label. Enfant des années 90, l’Espagnol fait partie de cette génération de créateurs pour qui la dimension éco-responsable du travail n’est plus une question, et qui désirent ardemment apporter une expérience couture au prêt-à-porter. Régulièrement, le jeune homme va s’approvisionner dans le quartier du Sentier, récupérant les chutes de tissus des plus grandes maisons : tous ses pantalons, par exemple, sont coupés dans des matériaux utilisés par Givenchy, tandis que ses chemises donnent une nouvelle vie à des tissus Fendi. Si plusieurs pièces sont produites en édition très limitée, à dix modèles par taille pour homme et pour femme, le créateur propose également de nombreuses créations très ajustées qui nécessitent des prises de mesures et des séances d’essayages dans son studio, où il crée et produit tout par lui-même. Ces expériences uniques enthousiasment celui qui espère un jour, fort d’années de travail et de persévérance, rejoindre le très prisé calendrier de la haute couture.


À ce propos, une carrière l’inspire tout particulièrement : celle du grand couturier Cristóbal Balenciaga, dont il partage aussi bien la région d’origine que le goût pour la théâtralité du vêtement. “Ce que Balenciaga fait à travers son travail, je veux en faire de même : c’est quelque chose de transcendantal, qui ne correspond pas seulement à la tendance du moment. Je veux que devant mes pièces, on ressente la même émotion quelle que soit l’époque ou le contexte.” Incarnation sobre et évidente de cet héritage, le noir domine toutes les collections d’Arturo Obegero depuis celle de son diplôme. Une performance de l’artiste Charles Ray, les clichés en clair-obscur de la photographe Viviane Sassen, les ballets de Pina Bausch ou les costumes des spectacles butō sont autant d’œuvres d’art insufflant au créateur des manières de structurer le corps par cette couleur profonde et essentielle. “Le noir est pour moi la couleur qui peut raconter toutes les histoires, commente Arturo Obegero. Tout comme le flamenco, iI peut transmettre l’émotion la plus enjouée et dynamique jusqu’à l’expression la plus misérable du chagrin.” Et si ses créations sont souvent très sculpturales lorsqu’elles sont statiques, certaines passent des “colonnes à l’encre” dès lors que le corps les anime. En atteste une robe ébène dont les pans en mousseline de soie sont attachés aux manches pour évoquer les mouvements fluides des jupes furieusement soulevées par les danseuses de flamenco.

C’est à nouveau le mouvement qui inspire à Arturo Obegero sa collection printemps-été 2021. Plus précisément celui provoqué par le Nordeste, un vent puissant voire ravageur qui souffle sur la région d’Asturies. Là où les volumes bouffants de hauts à manches longues et pantalons noirs et les pans fluides de débardeurs, robes asymétriques et combinaisons blanches matérialiseraient les bourrasques, des bodies, culottes courtes et gilets ajustés enserrent le corps à l’aide de ceintures, comme pour mieux provoquer ce contraste visuel. Ces nouvelles pièces témoignent aussi de son goût immodéré pour les fleurs : dans l’un des ensembles, merveille de savoir-faire réalisée en six semaines, 700 bandes de satin et de tulles s’enroulent autour du corps pour y dessiner des boutons de rose tandis que plusieurs bijoux en argent les pétales des hortensias, qui peuplaient jadis le salon de la grand-mère du créateur. Soucieux de rendre un nouvel hommage à ses origines, Arturo Obegero a d’ailleurs choisi d’y intégrer une pierre noire très rare de sa propre région, l’azabache, travaillés par des artisans locaux. Tel un chef d’orchestre, le créateur génère depuis son studio la rencontre poétique de toutes les influences qui le constituent : “Pour cette collection, j’ai imaginé un vent si fort qu’il amènerait dans mon village tous les danseurs qui m’inspirent, et que cet environnement deviendrait leur scène.” Maintenant que le décor est planté, le spectacle n’a plus qu’à commencer.